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Municipales : bons Béziers de Ménard

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La façade de l’Hôtel de Ville, où siège Robert Ménard, s’illumine en bleu-blanc-rouge tous les soirs. © Julian Renard pour Causette

Enquête. Entre coups de com popu­listes et pro­vo­ca­tions anti­mu­sul­manes, le média­tique Robert Ménard assure depuis six ans le spec­tacle à Béziers, plus grande ville de France aux mains de l’extrême droite. Face à lui, une poi­gnée de citoyen·nes ont ten­té de résis­ter. En vain. L’ex-journaliste est bien par­ti pour un nou­veau tour de piste. 

« Cinq ans de bobards à Béziers ! » La Une du jour­nal sati­rique d’opposition est sans équi­voque. Sur le petit mar­ché bio de la place de la Madeleine, au pied de l’église, les militant·es du col­lec­tif En vie à Béziers (Hérault) inter­pellent, débattent et tractent inlas­sa­ble­ment leur jour­nal gra­tuit. Leur cible ? Robert Ménard, maire sans éti­quette – mais clai­re­ment à l’extrême droite – élu il y a six ans grâce au sou­tien de l’ex-Front natio­nal (aujourd’hui Rassemblement natio­nal, RN) de Marine Le Pen et à l’abstention (37 %). Le col­lec­tif est né en octobre 2014, au len­de­main de l’élection de l’ex-journaliste et cofon­da­teur de Reporters sans fron­tières. « Se réveiller dans une ville tenue par l’extrême droite, c’est un choc », se sou­vient Didier Ribo, la soixan­taine frin­gante, lunettes rondes et cha­peau vis­sé sur la tête, membre du collectif. 

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Mathilde Vidal (au centre) dis­tri­bue le jour­nal anti-​Ménard, En vie à Béziers, dans les locaux de la Cosmopolithèque, lieu asso­cia­tif à Béziers. © Julian Renard pour Causette
La résis­tance s’organise

Sonné·es, mais pas K.-O., quelques Biterrois·es de tous bords (profs, méde­cins, édu­ca­teurs et édu­ca­trices, biblio­thé­caires…) orga­nisent la résis­tance. Une fois par mois, ils se réunissent à la Cosmo, un immeuble asso­cia­tif vétuste. L’ambiance est un peu anar, bon enfant. « On passe en revue l’actualité locale, on décor­tique le jour­nal muni­ci­pal, l’outil de pro­pa­gande à la gloire du maire, pour dénon­cer régu­liè­re­ment les men­songes de Ménard, moquer ses recettes miracles et ses pro­vo­ca­tions inces­santes », résume Mathilde Vidal, ensei­gnante réfé­rente au col­lège Paul-​Riquet de Béziers. 

“4 mil­lions par an pour l’embellissement du seul centre-​ville et 600 000 euros par an pour toutes les écoles de la ville. Quelle est la véri­table prio­ri­té de Ménard ?”

En vie à Béziers, jour­nal sati­rique d’opposition

Sur le site Internet du col­lec­tif 1 ou dans les trois numé­ros papier spécia­lement impri­més à 15 000 exem­plaires à l’occasion des élec­tions, le ton des articles comme le trait des cari­ca­tures sont mor­dants, inci­sifs. Ici un test pour savoir si « Le maire de Béziers est fas­ciste », là « 25 rai­sons de ne plus voter Robert Ménard ». Dans l’article « L’école pour les nuls », le col­lec­tif tance la pro­messe du maire d’ériger l’école comme prio­ri­té de son man­dat : « En mai 2018, un faux pla­fond de l’école Pélisson s’effondre [sur les élèves de CM2, ndlr]. Question bête : 4 mil­lions par an pour l’embellissement du seul centre-​ville et 600 000 euros par an pour toutes les écoles de la ville. Quelle est la véri­table prio­ri­té de Ménard ? » « Ce contre-​journal, c’est un tra­vail d’éducation popu­laire contre l’extrême droite. L’objectif est de contri­buer à la défaite élec­to­rale du Trumpinet local », cingle Didier Ribo, ex-​militant de la Ligue com­mu­niste révo­lu­tion­naire. Malheureusement, rien n’est moins sûr.

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Didier Ribo (avec le cha­peau) et Mathilde Vidal (à sa droite) dis­tri­buent leur jour­nal sati­rique En vie à Béziers qui « dénonce régu­liè­re­ment les men­songes de Ménard ». © Julian Renard pour Causette
La vitrine de la ville

Fin jan­vier, à l’inauguration de son QG de cam­pagne, le média­tique can­di­dat Ménard se vante d’avoir « une ville plus sûre, plus belle, plus propre ». Dans le local plein à cra­quer, il donne sa « parole d’honneur » qu’il peut faire encore mieux, sans un mot sur son pro­gramme électoral.

Son petit chef‑d’œuvre, c’est le centre-​ville. La vitrine offi­cielle et très clin­quante de son man­dat. À com­men­cer par l’Hôtel de Ville, qui s’illumine en bleu-​blanc-​rouge à la nuit tom­bée. « On se croi­rait sur les Champs-​Élysées », s’enthousiasme un jeune. Dès sa prise de pou­voir, le maire a mul­ti­plié les arrê­tés muni­ci­paux – anti-​crachats, anti-​chichas, anti-​linge aux fenêtres, anti-​paraboles, couvre-​feu pour les jeunes – et repous­sé les kebabs aux quar­tiers alen­tour. Les façades des beaux immeubles hauss­man­niens ont été rava­lées, les Halles réno­vées. Les trot­toirs sont pro­prets. La place Jean-​Jaurès a fait peau neuve à coups de mil­lions d’euros (Ménard vit juste au-​dessus). Sur les allées Paul-​Riquet, cœur de la cité occi­tane, les sans-​abri et les Gitans qui squat­taient les bancs ont été délo­gés. Une grande roue haute de 33 mètres – sou­vent immo­bile, illu­mi­née elle aus­si aux cou­leurs tri­co­lores – domine la ville toute l’année. 

Et cette poudre aux yeux fonc­tionne à mer­veille. « Robert Ménard fait beau­coup pour le centre-​ville. On n’a jamais autant par­lé de Béziers sur les pla­teaux télé. Il redonne de la fier­té aux Biterrois·es » énu­mère un com­mer­çant, qui concède toute­fois que le busi­ness « reste morose ». Même popu­la­ri­té sur la page Facebook de la ville, pas du tout fil­trée bien sûr : « Bravo, cher mon­sieur Ménard. Je vous inonde de com­pli­ments. Restez ferme pour la ville de Béziers » ou « Excellent Robert Ménard. Qu’il serve de modèle à tous les tocards qui nous gou­vernent. » L’édile de 66 ans a incon­tes­ta­ble­ment son fan-​club. Début février, un son­dage pré­di­sait même sa réélec­tion dès le pre­mier tour avec 61 % des inten­tions de vote 2. Toujours avec la béné­dic­tion du Rassemblement national. 

En six ans, celui qui se qua­li­fie de « maire popu­liste » a aus­si armé la police muni­ci­pale, dou­blé – tri­plé selon le jour­nal de la Ville – ses effec­tifs et ins­tal­lé deux cents camé­ras de sur­veillance. Ça envoie du bleu à Béziers. 

Derrière le décor

Mais der­rière l’uniforme et les amé­na­ge­ments cos­mé­tiques, c’est un autre tableau. À deux pas de l’Hôtel de Ville, les rues adja­centes sont lais­sées à l’abandon. Oublié le décor de ciné­ma. Pavés défon­cés, places déser­tées et façades décré­pies dis­si­mulent mal la pré­ca­ri­té des habitant·es. Dans le centre, un loge­ment sur trois est vacant. Plus de 6 500 appar­te­ments sont insa­lubres. Et si le sen­ti­ment de sécu­ri­té s’est pro­ba­ble­ment ren­for­cé, dans l’hypercentre en tout cas, la délin­quance de proxi­mi­té n’a pas bais­sé, selon la Cour des comptes régio­nale. Beaucoup en ville pointent par ailleurs les méthodes de « cow-​boy » d’une police muni­ci­pale décom­plexée. « Ils sont vio­lents, ils nous parlent mal, nous pro­voquent », raconte Aziz, 27 ans, chef de cui­sine. Plus loin, Amine, jeune Biterrois, se sou­vient : « Un jour, on était posé, on tenait les murs comme on dit. La police muni­ci­pale est arri­vée avec deux voi­tures pour nous contrô­ler. J’entends un des poli­ciers dire à mon col­lègue : “Vous n’êtes pas chez vous ici.” » 

Dans les quar­tiers, comme à la Devèze, quar­tier prio­ri­taire mi-​HLM, mi-​pavillonnaire, la situa­tion ne s’est pas amé­lio­rée. « On manque de tout ici : d’équipements pour les jeunes, d’événements cultu­rels, de fêtes de quar­tier, d’aires de jeux pour les enfants depuis que Ménard a déci­dé de les reti­rer après leur dégra­da­tion. Et de pré­sence humaine sur­tout : les média­teurs de la ville n’interviennent plus ici. Et quand une asso­cia­tion veut mon­ter un pro­jet, c’est com­pli­qué avec la mai­rie », témoigne en « off » une res­pon­sable asso­cia­tive. Autre point de vue, même constat : « Dans le centre-​ville, quand quelque chose est abî­mé, c’est tout de suite rem­pla­cé, net­toyé. Pas dans notre quar­tier. On n’a rien pour se réunir le soir, pour faire du sport. La ville ne fait rien pour nous », regrette un jeune homme qui a gran­di à la Devèze, assis avec ses copains au pied d’un immeuble désaf­fec­té, bien­tôt rasé. 

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Un tag anti-​police muni­ci­pale sur une barre d’immeuble en attente de des­truc­tion dans le quar­tier popu­laire de la Devèze. © Julian Renard pour Causette
Des sub­ven­tions supprimées

Béziers figure par­mi les villes les plus pauvres de France, avec plus de 30 % des 76 500 habi­tants sous le seuil de pau­vre­té 3. Deux fois plus que la moyenne natio­nale. Le taux de chô­mage atteint 23 % et dépasse les 40 % chez les jeunes 4. « L’insécurité à Béziers est avant tout sociale et éco­no­mique », rap­pelle Didier Ribo. 

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Le centre social Arc-​en-​ciel, acteur his­to­rique du quar­tier popu­laire de la Devèze, fer­mé en 2015 faute de sub­ven­tions, sup­pri­mées par Robert Ménard. © Julian Renard pour Causette

Soufflant sur les braises de la pré­ca­ri­té, Robert Ménard a enté­ri­né, dès 2014, une baisse de 365 000 euros – soit 10 % – du bud­get du Centre com­mu­nal d’action sociale (CCAS), bras armé de la ville en faveur des plus fra­giles. À la Devèze, le centre social Arc-​en-​ciel, très actif pour les jeunes, mais pri­vé de sa sub­ven­tion, a plié bagage dès 2015. Dans les écoles, ­l’accueil du matin est doré­na­vant réser­vé aux seuls enfants dont les deux parents ­tra­vaillent. Le ser­vice des sports, qui ani­mait des acti­vi­tés pen­dant les vacances, a été sup­pri­mé. « Beaucoup d’enfants ne pro­fitent plus des acti­vi­tés péri­sco­laires depuis que leur coût a plus que dou­blé. Le mer­cre­di, l’offre de loi­sirs est deve­nue déri­soire », dit Stéphanie, une maman d’écolier, résignée. 

“On assiste à une sorte de chris­tia­ni­sa­tion des évé­ne­ments cultu­rels avec la féria […] pré­cé­dée d’une messe, les pro­ces­sions reli­gieuses, la crèche de Noël à la mairie…”

Jean-​Michel Du Plaa, élu d’opposition (PS)

Côté culture, Ménard ne brille pas davan­tage. Le fes­ti­val de jazz Swing les pieds dans l’Orb, gra­tuit, et Festa d’Oc, ouvert aux musiques du monde, ont tiré leur révé­rence. Place aux sons et lumières, aux tra­di­tions popu­laires et au folk­lore méri­dio­nal, qui célèbrent le Béziers d’antan. L’Hôtel Fabrégat, un des deux sites du Musée des Beaux-​Arts, a défi­ni­ti­ve­ment fer­mé ses portes. L’autre, l’Hôtel Fayet, est fer­mé l’hiver faute de chauf­fage, et le musée Saint-​Jacques n’ouvre que le same­di sur rendez-​vous. Quant au futur musée du Palais des Évêques, il n’est pas atten­du avant 2025. Un lieu autre­fois consa­cré à l’art contem­po­rain est deve­nu un musée tau­rin, à la grande fier­té des défen­seurs de la tra­di­tion « On assiste éga­le­ment à une sorte de chris­tia­ni­sa­tion des évé­ne­ments cultu­rels avec la féria de Béziers, doré­na­vant pré­cé­dée d’une messe, la mul­ti­pli­ca­tion des pro­ces­sions reli­gieuses, la crèche de Noël à la mai­rie… », constate d’une voix pla­cide Jean-​Michel Du Plaa, élu d’opposition (PS) et figure poli­tique locale. 

À bien y regar­der, la « révo­lu­tion muni­ci­pale » pro­mise par le maire au len­de­main de son élec­tion se fait tou­jours attendre à Béziers. Mais, après tout, peu de maires en France réus­sissent à trans­for­mer leur ville au cours de leur man­dat. Robert Ménard n’est peut-​être fina­le­ment qu’un élu comme tant d’autres. 

L’idée fait bon­dir Nicolas Cossange. Boucle à l’oreille et barbe de trois jours, le chef de file des com­mu­nistes de l’Hérault et conseiller régio­nal a une tout autre vision. « Robert Ménard se sert de la ville comme d’un labo­ra­toire d’une nou­velle extrême droite, à mi–chemin entre le Rassemblement natio­nal et les iden­ti­taires », ana­lyse ce tren­te­naire qui a gran­di à Béziers, comme Ménard. Cigarette à la main, il pré­cise : « Il brise le pla­fond de verre de Marine Le Pen, récu­père les déçus du RN et une par­tie de l’électorat de droite. Derrière ‑l’habile com­mu­ni­ca­tion, il mène un com­bat idéo­lo­gique pour une France blanche, catho­lique, pro­fon­dé­ment conser­va­trice, rétro­grade sur les valeurs et libé­rale sur le plan économique. » 

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Pour Nicolas Cossange (ici à la Devèze), conseiller régio­nal PC et tête de la liste À gauche Béziers, « Robert Ménard se sert de la ville comme labo­ra­toire d’une nou­velle extrême droite ». © Julian Renard pour Causette
Stigmatiser les musulmans

Flash-​back pour com­prendre la pos­ture ménar­dienne. Lors de la cam­pagne élec­to­rale, en 2014, Robert Ménard pro­met sans ambages de « chas­ser du centre-​ville les pauvres, les Maghrébins et les Gitans ». Le ton est don­né. Une fois élu, il nomme à ses côtés André-​Yves Beck, bien connu des mou­ve­ments iden­ti­taires et de l’ultra-droite. Jusqu’au prin­temps der­nier, les confé­rences « Béziers libère la parole » accueillaient des têtes d’affiche réacs, Éric Zemmour – trois fois – et Philippe de Villiers, en tête. À chaque fois, la salle était comble et conquise. Ménard, ancien mili­tant trots­kyste, a même confié à Renaud Camus, pen­seur du « grand rem­pla­ce­ment », la théo­rie com­plo­tiste fétiche de l’extrême droite, l’écriture d’un livre sur l’histoire de la com­mune. Mais le pro­jet a fina­le­ment capo­té pour des rai­sons financières. 

“Robert Ménard allie la vio­lence sociale à la vio­lence raciale. En six ans, il a réus­si à divi­ser, frac­tu­rer la ville”

Nicolas Cossange, secré­taire dépar­te­men­tal du PCF et conseiller régional 

L’homme a ses obses­sions. « Depuis son élec­tion, Ménard n’a eu de cesse de poin­ter du doigt la com­mu­nau­té musul­mane de Béziers ou l’immigration, qu’il qua­li­fie d’invasion et de colo­ni­sa­tion. Pour lui, le vivre ensemble est une inven­tion des pla­teaux de télé­vi­sion », confirme Didier Ribo. L’exemple est connu, mais il ne faut pas l’oublier. En 2015, sur France 2, il déclare déte­nir un docu­ment qui fiche les enfants des écoles en fonc­tion de leur confes­sion. « Les pré­noms disent la reli­gion », assène-​t-​il sans sour­ciller devant des mil­lions de télé­spec­ta­teurs et télé­spec­ta­trices. Problème : les sta­tis­tiques eth­niques ne sont pas auto­ri­sées en France. Septembre 2016, Ménard tweete : « #Rentréedesclasses : la preuve la plus écla­tante du #GrandRemplacement en cours. Il suf­fit de regar­der d’anciennes pho­tos de classe. » Les asso­cia­tions anti­ra­cistes l’attaquent pour pro­vo­ca­tion à la haine raciale, mais l’édile est fina­le­ment blan­chi. En 2019, il dégaine un arrê­té muni­ci­pal exi­geant de cer­tains bar­ber shops, pri­sés des jeunes des quar­tiers, qu’ils ferment bou­tique à 20 heures, soi-​disant pour limi­ter les « nui­sances ». « Robert Ménard allie la vio­lence sociale à la vio­lence raciale. En six ans, il a réus­si à divi­ser, frac­tu­rer la ville », résume Nicolas Cossange.

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Un arrê­té muni­ci­pal du 25 juillet 2019 oblige des salons de coif­fure et bar­biers à fer­mer leurs portes à 20 heures. Selon la muni­ci­pa­li­té, les ouver­tures tar­dives pro­voquent « rixe, tapage noc­turne et trouble à l’ordre public ». © Julian Renard pour Causette
Campagne anti­mi­grants

“Ses saillies média­tiques laissent une impres­sion dans la tête des gens, qui finissent par pen­ser que c’est nor­mal d’être raciste, de reje­ter les migrants”

Jean-​Philippe Turpin, direc­teur du Centre d’accueil pour les deman­deurs d’asile (Cada) 

Dans le quar­tier Garibaldi-​Gambetta, proche de la gare, la Cimade a aus­si fait les frais de cette idée fixe. L’association soli­daire gère le Centre d’accueil pour les deman­deurs d’asile (Cada) et les dos­siers d’étrangers ori­gi­naires du Soudan, de l’Érythrée, de Syrie, qui espèrent com­men­cer une seconde vie en France. « Fin 2016, nous sou­hai­tions aug­men­ter notre capa­ci­té d’accueil et pas­ser de 50 à 90 places », se sou­vient Jean-​Philippe Turpin, direc­teur du Cada depuis dix-​huit ans. Le pro­jet s’ébruite et met la mai­rie en ébul­li­tion. Quelques jours plus tard, des affiches anti­mi­grants sont pla­car­dées en ville et pro­phé­tisent l’apocalypse. « Ça y est, ils arrivent… Les migrants dans notre centre-​ville », lit-​on sur ces affiches qui montrent des hommes noirs, bar­bus, capuches sur la tête, mas­sés devant la cathé­drale Saint-​Nazaire, qui domine la ville. Ménard pro­pose même – pro­cé­dure tota­le­ment illé­gale – un réfé­ren­dum local. Buzz média­tique garan­ti, l’opprobre sur les migrants aus­si. « Au final, Ménard n’a rien fait contre les migrants. C’est avant tout un idéo­logue. Mais ses saillies média­tiques laissent une impres­sion dans la tête des gens, qui finissent par pen­ser que c’est nor­mal d’être raciste, de reje­ter les migrants. C’est ça le grand dan­ger Ménard », ana­lyse Jean-​Philippe Turpin. 

Le pro du buzz – son sur­nom local est le maire de « Buzziers » – n’en a cure. Populiste, réac­tion­naire, pro­vo­ca­teur, cli­vant, auto­ri­taire… le style Ménard libère for­cé­ment la parole raciste dans les rues de Béziers. À la Devèze, devant les étals du mar­ché, une quin­qua confie de bon matin : « Je ne suis pas raciste, mais il faut que les étran­gers res­pectent nos règles, sinon ils font comme chez eux. » Plus tard, un ven­deur de vête­ments chics du centre-​ville balance sans com­plexe : « Il faut conti­nuer à net­toyer la ville pour virer les étran­gers et les cas sociaux. » Ambiance.

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Au mar­ché de la Devèze, la liste Béziers citoyen recueille les idées et les attentes des habitant·es notées sur une grande feuille blanche. À par­tir de ces témoi­gnages, la liste citoyenne compte éla­bo­rer son pro­gramme. © Julian Renard pour Causette

Au bout du compte, la bataille se gagne­ra dans les urnes. Or, l’opposition poli­tique biter­roise est épar­pillée façon puzzle. À gauche, La France insou­mise et Europe Écologie-​Les Verts font bande à part, tout comme les com­mu­nistes de Nicolas Cossange, alliés au PS et au PRG. Une liste citoyenne tente bien de sor­tir de la mêlée. À sa tête, Claire Dotto, ensei­gnante et unique femme can­di­date à Béziers. En jan­vier, elle orga­ni­sait, avec les militant·es de Béziers Citoyen 2020, une action ­bap­ti­sée « por­teurs de paroles » au mar­ché de la Devèze. Au lieu de dis­tri­buer des tracts et des pro­messes, ils ont deman­dé direc­te­ment aux habitant·es leurs idées pour Béziers. Sur une grande feuille blanche, on lit « plus d’aires de jeux, plus de tolé­rance » ou « des édu­ca­teurs, des pou­belles pour recy­cler, du tra­vail pour les jeunes » ou bien un sar­cas­tique « faire sau­ter le maire actuel ». Plus qu’une liste à la Prévert, ces mots témoignent de la dés­illu­sion ambiante. « On essaie de réen­chan­ter la ville, de faire de la poli­tique autre­ment. Il faut don­ner une nou­velle pers­pec­tive aux Biterrois·es pour les convaincre d’aller voter », raconte Corentin Coko, chan­teur et figure du mou­ve­ment citoyen. Aux der­nières nou­velles, Béziers Citoyen 2020 gla­nait 2 % des inten­tions de vote. 

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Corentin Coko, chan­teur et figure du mou­ve­ment Béziers citoyen. Aux der­nières nou­velles, la liste récol­te­rait 2 % des inten­tions de vote. © Julian Renard pour Causette
Ménard, acte II ?

C’est ce qu’on appelle un bou­le­vard élec­to­ral pour Robert Ménard. La mai­rie lui semble pro­mise, l’agglomération Béziers-​Méditerranée aus­si. Pour Emmanuel Négrier, poli­to­logue et direc­teur du Centre d’études poli­tiques de l’Europe latine, à l’université de Montpellier, les rai­sons de ce plé­bis­cite sont à cher­cher, entre autres, du côté de la dédia­bo­li­sa­tion du Rassemblement natio­nal. « La ges­tion muni­ci­pale des élus du Rassemblement natio­nal – et donc celle de Robert Ménard – sur­prend par sa bana­li­té. Ils ont l’intelligence stra­té­gique de ne pas hys­té­ri­ser leur élec­to­rat, de mon­trer qu’ils savent gérer une com­mune. » Selon lui, ce posi­tion­ne­ment a géné­ré une sur­pre­nante apa­thie par­mi les habitant·es de Béziers. « Les élus en pro­fitent pour aigui­ser leurs ambi­tions et visent les agglo­mé­ra­tions, demain les dépar­te­ments et les régions, où les pou­voirs éco­no­miques, sociaux, cultu­rels sont bien plus éten­dus. Que feront-​ils si, un jour, ils gèrent la ques­tion des mineurs iso­lés étran­gers à plus grande échelle ? » 

Ménard l’a bien com­pris. Aux côtés de sa femme, Emmanuelle Duverger, dépu­tée de l’Hérault élue avec le sou­tien de divers cou­rants d’extrême droite (et qui soit dit en pas­sant voit le fémi­nisme comme « une mala­die grave » et demande à ce qu’il « soit rem­bour­sé par la Sécu »), il tisse sa toile dans le sud de la France. Il mul­ti­plie les sou­tiens aux can­di­dats muni­ci­paux RN de Perpignan, de Sète ou de Frontignan. Eux vantent le « modèle Béziers », lui entame ses dis­cours par : « On est ici chez nous. » Tous rêvent d’une union des droites, c’est-à-dire une grande coa­li­tion ras­sem­blant la droite tra­di­tion­nelle et les extrêmes pour rafler des mai­ries. En Occitanie, où le vote extrême est his­to­ri­que­ment ancré, une tren­taine de com­munes pour­raient tom­ber aux mains de l’extrême droite… 

À Béziers, les militant·es d’En vie à Béziers risquent d’être à nou­veau son­nés au len­de­main des élec­tions muni­ci­pales. Espérons que cette fois-​ci ils ne soient pas K.-O. 

1. www.envieabeziers.info 
2. Sondage réa­li­sé par Ifop-​Fiducial pour Midi libre, Vià Occitanie, CNews et Sud Radio, février 2020.
3. Rapport d’observations défi­ni­tives et ses réponses – Commune de Béziers, Chambre régio­nale des comptes Occitanie, 2019.
4. Source : Insee.

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