Le 5 novembre 2018, deux immeubles insalubres s’écroulaient rue d’Aubagne, en plein cœur de Marseille, causant la mort de huit personnes et l’évacuation de milliers d’autres, relogées pour la plupart, soi-disant provisoirement, dans des hôtels de fortune. Un an plus tard, les habitant·es de la deuxième ville de France sont laissé·es à l’abandon par les autorités.
Novembre 2018, deux semaines après le drame de la rue d’Aubagne. Martin, 26 ans, est à Lille. Des voisins l’appellent : « Il faut que tu rentres, l’immeuble est évacué ! » Martin téléphone à quelques copains qui foncent chez lui pour récupérer ce qu’ils peuvent. Le lendemain, il rejoint Marseille, constate que son immeuble a été vidé et fermé par les autorités, qui craignent un nouvel effondrement. Le jeune homme, qui travaille chez lui comme designer, se retrouve sans logement ni bureau. Il vivait dans le quartier du Panier, la mairie le reloge dans un hôtel à la Joliette, le change d’hôtel une semaine plus tard, puis encore une fois. On lui assure que cela ne durera pas. Au moment où nous l’avons rencontré, mi-août, Martin dormait toujours à l’hôtel. Depuis dix mois. « Au début, tu te dis que ça ne va pas durer, tu refuses de t’installer dans le provisoire. Au bout de cinq mois, je me suis résolu à vider ma valise, sortir des livres. Ma chambre, je ne la supporte plus. Passer des journées entières dans sa chambre d’hôtel Ibis, cuisiner des pâtes dans la bouilloire électrique… » Il a pris 20 kilos en dix mois.
Panique générale
Comme Martin, depuis bientôt un an, des milliers de Marseillais·es ont dormi, ou dorment encore dans des chambres d’hôtel, chez des proches ou dans des appartements provisoires après avoir dû quitter leur logement menacé d’un effondrement. Des familles, des personnes âgées seules ou en couples, des célibataires, de nombreuses mères seules avec leurs enfants. Des Marseillais·es (relativement) aisé·es, des très pauvres, des Français·es, des étrangers et étrangères avec ou sans papiers… Des propriétaires et des locataires. Tous et toutes sont touché·es par la panique qui frappe la deuxième ville de France (862 000 habitants) depuis le 5 novembre 2018. Comme le dit Zohra, l’une des bénévoles du Collectif du 5 novembre créé au lendemain de la catastrophe, « ce jour-là, c’est Marseille qui s’est effondré ». Un drame que prédisait pourtant, dès 2015, le rapport Nicol commandé par le gouvernement ou le site d’information Marsactu.fr dans des articles terriblement prémonitoires. Pour éviter de nouveaux morts, des bâtiments sont donc, depuis un an, vidés à tour de bras. Le nombre d’immeubles insalubres ou indignes du parc privé est estimé à six mille. Ce qui concerne donc près de cent mille personnes, un huitième de la population. On ne parle pas seulement des « quartiers Nord », mais aussi du centre-ville, notamment la Belle de mai et Noailles, à 200 mètres du Vieux-Port, où se trouve la rue d’Aubagne.
Comment l’expliquer ? Par des décennies d’abandon des quartiers pauvres par les municipalités successives, notamment celle en place depuis 1995 et dirigée par Jean-Claude Gaudin. Lequel déclarait déjà en 2001 : « Le centre a été envahi par la population étrangère. Les Marseillais sont partis. Moi, je rénove […] et je fais revenir les habitants qui paient des impôts. » Un abandon cyniquement orchestré à Noailles : au lieu de réhabiliter, on laisse le foncier s’effondrer, on évacue la population indésirable et le quartier peut passer tranquillement aux mains des promoteurs.

Martin, designer, résidait dans le quartier du Panier. Il vit et travaille depuis dix mois dans une chambre d’hôtel. Dix mois à cuisiner des pâtes dans sa bouilloire électrique et 20 kilos en plus. © Anthony Micallef/Haytham-Réa pour Causette
Népotisme et affairisme
« Comment Jean-Claude Gaudin a vendu Marseille aux promoteurs »,[…]