Omniprésent·es sur les routes, ils et elles font partie des invisibles du quotidien. Pendant un an, Jean-Claude Raspiengeas, grand reporter culture au journal La Croix, a pris la route aux côtés des routiers et des routières. Une immersion auprès de ces « errants perpétuels », dont il a tiré un livre sensible et percutant, Routiers. Après lui avoir ouvert ses pages dans son dossier de l’été « Les routières sont sympas » (actuellement en kiosques), Causette revient avec lui sur les paradoxes de cette profession qui a continué de faire tourner la France pendant le confinement… sans parvenir à s’en faire aimer.

Causette : Vous venez de publier Routiers. Comment est né ce livre ?
Jean-Claude Raspiengeas : C’est venu d’un reportage que je faisais dans un resto de routiers, le plus important de France, ouvert 24 heures sur 24 depuis quatre-vingts ans. J’y suis resté cinq jours. Et dès le premier soir, lorsque j’ai discuté avec des routiers, tous ont parlé du mépris qu’ils ressentaient. Ça revenait tout le temps. J’ai découvert une catégorie sociale extrêmement méprisée, rejetée de partout.
Ça faisait un moment que, sur la route, je me disais : « Qui sont ces gens ? C’est quoi leur vie ? Ils sont partout et pourtant, on ne les voit pas. » J’ai mis du temps à le réaliser, mais toute notre économie dépend d’eux : tout ce que nous avons, voulons, produisons et consommons arrive et passe par eux [en France, 89 % du transport de marchandises passe par la route, ndlr]. Et jamais on ne se soucie de leur sort. Je me demandais : comment est-on passé de la grande époque des routiers, du temps de l’émission de Max Meynier, Les Routiers sont sympas – qui a quand même duré douze ans – au mépris d’aujourd’hui ? Comme j’ignorais tout, j’ai eu envie de rentrer dans ce monde, de voir ce qu’ils vivent. Ils m’ont accepté dans leurs camions. Et en effet, j’ai vu qu’ils étaient traités partout comme des moins que rien. Que ce soit dans les entrepôts où ils attendent de pouvoir charger et décharger, sans que personne ne leur adresse[…]