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Laura Durand, tech­ni­cienne cor­diste : « On n’est pas loin d’être comme des spor­tifs de haut niveau »

cordiste A

Depuis cinq ans, Laura tra­vaille en haut des bâti­ments et monu­ments pari­siens, sus­pen­due à une corde ou juchée sur une sel­lette. Elle fait par­tie des 2 % de femmes cor­distes en France*.

« Je pra­tique régu­liè­re­ment la spé­léo­lo­gie, alors deve­nir cor­diste, c’était pour moi évident. J’ai sui­vi une for­ma­tion d’agent tech­nique cor­diste en 2016. La for­ma­tion a duré neuf mois, avec deux stages en entre­prise. On y apprend les tech­niques de dépla­ce­ment de charges sur corde, la mise en sécu­ri­té en milieu ver­ti­cal et les divers métiers du bâti­ment. J’ai tout de suite com­men­cé à tra­vailler en inté­rim. J’ai enchaî­né les chan­tiers sur la tour Eiffel, le Louvre, la Grande Arche de la Défense, la tour First, l’Opéra Garnier, la Seine musi­cale… Il n’y a que l’Arc de triomphe que je n’ai pas escaladé ! 

J’exécute tous les tra­vaux du bâti­ment qui ont un accès com­pli­qué à gérer : pein­ture, élec­tri­ci­té, maçon­ne­rie, sou­dure, plom­be­rie. On net­toie les toi­tures, les des­centes d’eaux plu­viales, on change les car­reaux… J’interviens aus­si dans le sec­teur de l’événementiel pour la pose ou dépose de bâches publi­ci­taires, d’enseignes, de décors de ciné­ma… C’est un métier où la sécu­ri­té est très impor­tante. On tra­vaille en binôme, c’est une règle d’or. Il faut tou­jours que l’on soit en contact visuel et audi­tif avec son col­lègue, sinon on a des talkies-​walkies. On porte un casque, on a deux cordes au cas où l’une se coupe par acci­dent, un har­nais, des mous­que­tons, une sel­lette pour s’asseoir, un masque si le chan­tier est pous­sié­reux… De vrais cos­mo­nautes ! Ce sont les guides de haute mon­tagne et les spé­léos qui ont créé et impré­gné cette profession. 

« C’est un métier où la sécu­ri­té est très impor­tante. On tra­vaille en binôme, c’est une règle d’or. Il faut tou­jours que l’on soit en contact visuel et audi­tif avec son collègue. »

Le chan­tier que j’ai pré­fé­ré ? C’est quand j’ai été char­gée du scin­tille­ment de la tour Eiffel. J’assurais le rem­pla­ce­ment et la main­te­nance du sys­tème élec­trique, été comme hiver. Il faut être hyper rigou­reux, c’est qua­si­ment des condi­tions de haute mon­tagne. Là-​haut, j’étais bien et heu­reuse. Mon plus beau sou­ve­nir, ce fut lors du feu d’artifice en 2019. On était une dizaine à faire la mise en place des fusées et du sys­tème de pyro­tech­nie sur les zones dif­fi­ciles d’accès. J’ai assis­té au spec­tacle depuis la struc­ture. J’avais des fris­sons, les larmes aux yeux tel­le­ment c’était magique ! 

Mais on est aus­si par­fois dans des endroits très confi­nés, au cœur d’un bâti­ment. Quand on rentre dans les gaines de désen­fu­mage d’une tour qui fait 200 mètres, par exemple. L’un des chan­tiers les plus durs était dans une déchet­te­rie. Il fal­lait net­toyer les cendres incrus­tées du sol au pla­fond dans un gigan­tesque han­gar, là où étaient situés les fours d’incinération. Cela peut être dan­ge­reux, il faut avoir un détec­teur de gaz explo­sif. Des par­ti­cules de pous­sière peuvent faire des étin­celles en se frot­tant entre elles et ain­si pro­vo­quer des départs de feu. Le salaire moyen – avec les primes de panier-​repas et de dépla­ce­ment – varie entre 2 200 à 3 400 euros net en fonc­tion de tes com­pé­tences et de ton expé­rience. Je fais par­tie de l’association Cordistes en colère, on se bat pour obte­nir une prime de péni­bi­li­té ! On lutte contre les entre­prises qui, pour gagner du temps et de l’argent, ne res­pectent pas les mises en place de sécu­ri­té. Je suis révol­tée qu’il y ait encore des morts sur corde ! Il y a aus­si des acci­dents, des doigts cou­pés, des pro­blèmes de dos… ça fait par­tie du métier, mais on ne le dit jamais assez ! En fait, on n’est pas loin d’être comme des spor­tifs de haut niveau. OK, je suis une femme, mais, pour moi, cela n’a rien d’exceptionnel. On est sou­vent plus endu­rantes que les hommes, car on a plus de choses à prou­ver. J’ai 31 ans, je fais 45 kilos pour 1,53 mètre. Je suis un petit gaba­rit, mais entre col­lègues, on s’entraide natu­rel­le­ment ! On fait tout à deux, on est à éga­li­té. J’aime bien aus­si échan­ger avec les nénettes cor­distes du monde entier via la page Facebook “Women in rope access”. On se file des astuces pour trou­ver des habits adap­tés à notre mor­pho­lo­gie, on échange sur le choix des har­nais, des casques, car on a de petites têtes…On parle de nos chan­tiers et de nos expériences. 

En 2017, j’ai été vic­time de har­cè­le­ment de la part de mon binôme. C’était des gestes et des réflexions dépla­cés, des regards insis­tants… Il y a des mots qui peuvent être per­çus comme un viol. Quand tu forces au tra­vail, tu souffles et ta res­pi­ra­tion est plus rapide, eh bien, lui, ça l’excitait ! Il n’arrivait plus à tra­vailler. Je ren­trais le soir, j’étais en pleurs. J’ai mis du temps à en par­ler, car j’avais peur que l’on me traite de men­teuse. Heureusement, il a été convo­qué par la direc­tion et je n’ai plus jamais tra­vaillé avec lui ! 

« Ce que je pré­fère dans ce job ? C’est l’aspect très phy­sique et le tra­vail d’équipe. C’est un milieu où règne la simplicité. » 

Côté vie de famille, c’est com­pli­qué. Mon com­pa­gnon, Philippe, est géo­logue, et nous habi­tons à Orléans. Tous les gros chan­tiers sont à Paris. Je pars en train tous les jours à 6 heures du matin et je reviens à 19 heures. C’est épui­sant ! Quand j’ai été enceinte, j’ai été mise au pla­card tout de suite. On ne m’a pas pro­po­sé un poste de tran­si­tion au dépôt ou d’aider à la for­ma­tion… On m’a direc­te­ment lais­sée chez moi. J’ai pur­gé ma peine de neuf mois. Alors, du coup, je suis res­tée avec mon bébé neuf mois de plus. Ma fille, Kafia, a aujourd’hui trois ans et demi. Et, depuis, c’est Philippe qui tient le foyer. Ça s’est impo­sé comme ça à cause de mon rythme de tarée. C’est pour ça que, après deux ans de CDI, je viens de rompre mon contrat, car je n’en pou­vais plus des alter­nances de nuit, de bos­ser les week-​ends et les jours fériés. Je vais reprendre l’intérim pour choi­sir mes chan­tiers et pas­ser plus de temps avec ma fille. 

Ce que je pré­fère dans ce job ? C’est l’aspect très phy­sique et le tra­vail d’équipe. C’est un milieu où règne la sim­pli­ci­té. Après l’effort, on fait une pause au chaud dans le camion, on mange une cho­co­la­tine… et on retrouve le sou­rire des col­lègues ! Et puis pour le côté magique, quand, après avoir tra­vaillé toute la nuit, tu assistes à un lever de soleil depuis les hauteurs… » 

* Sur 8 500 cor­distes répertorié·es dans toute la France, on compte seule­ment une quin­zaine de femmes, soit 2 % de la profession.

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