On le sait, le sexisme et les violences sexuelles n'épargnent aucun milieu. Pour mesurer l'étendue du phénomène dans le secteur de la médecine, l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF) a lancé une vaste enquête auprès d’eux sur les violences sexistes et sexuelles dans les études médicales. Elle en dévoile les résultats aujourd’hui.
En 2017, le tumblr Paye ta blouse s'ouvrait pour dénoncer le sexisme dans le milieu hospitalier. Soupçonnant que les étudiant·es en médecine n’étaient pas épargné·es par ce phénomène, l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) a réalisé une enquête sur un panel de près de 4 500 étudiant·es, dont une majorité de femmes, entre le 8 mars et le 30 avril 2020. Dans un communiqué, l’ANEMF détaille les raisons de cette démarche : « Afin de pouvoir combattre les causes et non seulement les symptômes, il nous est apparu évident de nous interroger sur une des omerta persistantes du milieu hospitalo-universitaire à laquelle nous sommes confrontés, une omerta qui chaque année crée ou accentue le mal-être de trop nombreux étudiants en médecine. » L’étude s’intéresse à toutes les formes de violences sexistes et sexuelles, de la remarque sexiste au viol, à la fois au sein de la faculté de médecine et dans le milieu hospitalier. Cette enquête a été réalisée à l'aide d'un formulaire disponible sur Internet. Ses auteur·trices indiquent donc « qu'une personne victime de violence sexiste et/ou sexuelle aura plus tendance à répondre au sondage qu’une personne qui n’a pas été victime de telles pratiques. »
Dans le cadre de la faculté
Parmi l’ensemble des participant·es à l’enquête, près de 39 % d’entre eux et elles ont déjà fait l’objet de remarques sexistes au sein du milieu universitaire, mais seulement 11,4 % des étudiant·es ont signalé ce harcèlement à une personne tierce. Dans neuf cas sur dix, c’était à un·e proche. Lorsque ces remarques sont répétées plus d'une fois, on parle alors de harcèlement. Ils et elles sont 32 % à avoir été victimes de harcèlement au sein du milieu universitaire, mais tout juste 14 % à l’avoir signalé, là aussi de préférence à un·e proche. Plus de 15 % des répondant·es ont déjà subi des agressions sexuelles dans leur vie universitaire, lesquelles se sont déroulées, dans neuf cas sur dix, lors de mobilisations organisées entre étudiant·es (soirée de gala, week-end d’intégration…).
Un chiffre qui vient renforcer ce que l’on sait déjà sur les dérives ayant lieu lors de ce type de rassemblement. D’ailleurs, sur les 119 viols qui ont été signalés, 72 % avaient eu lieu lors de ces événements. Une brutalité qui semble presque normalisée et dont témoigne Angélique, étudiante en médecine : « Lors d'une soirée arrosée, un mec a forcé une amie pour avoir un acte sexuel. Elle l’a repoussé mais il n’a pas compris tout de suite. Il n’y a pas eu pénétration, mais de la lourdeur, oui. Tout ça, c'était pour un "concours" et il venait de coucher avec une fille 30 minutes avant. […] Il s’est finalement excusé deux mois plus tard. » Louise, confirme : « Un jour, un étudiant m’a dit : "on ne vient pas en soirée si on n’aime pas se prendre une main au cul". »
Au sein du milieu hospitalier
Quand les élèves quittent les bancs de la fac, les violences sexistes et sexuelles continuent de plus belle au sein des établissements hospitaliers. Que ce soit dans le cadre de leur stage, leur externat ou leur internat, il s'avère que 39 % des répondant·es ont déjà été victimes de remarques sexistes. Et 30 % des étudiant·es, sans distinction de genre, ont ainsi reconnu avoir été victimes de harcèlement sexuel. Problème : 38 % d’entre elles et eux considèrent que le signalement de ces agissements n'aiderait pas à y mettre fin. L’enquête affirme également « qu’un quart des répondants n’avaient pas envie de signaler, ne savaient pas à qui s’adresser ou avaient peur des retombées négatives que cela pourrait avoir, tant sur leur avenir universitaire et la validation de leur stage, que sur les conséquences pour leur future carrière professionnelle. » Des craintes entretenues par le fait que dans près de neuf cas sur dix, les actes étaient perpétrés par un supérieur hiérarchique. Alors quand ils et elles osent enfin parler, 80 % préfèrent se confier à un·e proche ou une personne de confiance plutôt qu’aux pouvoirs publics où à une institution.
Anne, étudiante en 3ème année de médecine : « Mon interne en chirurgie viscérale m’a fait ouvrir la bouche. Je n'ai pas trop compris pourquoi mais j’ai accepté. Là il m’a dit "tu as une belle bouche de suceuse toi." Je n’ai jamais signalé cet événement.
» Julia, alors stagiaire : « Un chef passait son temps à faire des allusions sexuelles à chaque phrase prononcée par qui que ce soit. Un jour, j'arrive avec du rouge à lèvres, il me dit : "C'est magnifique ça donne envie de t'embrasser ! Si on allait au resto après ? " J'ai bugué, je n'ai pas relevé tellement c'était gros. J'aurais dû. »
L'enquête a aussi demandé aux étudiant·es s’ils et elles avaient déjà subi des « attouchements hors pénétration, des mains aux fesses ou autres gestes sexuels. » 5 % des répondants ont reconnus avoir été victimes de ce genre de gestes. Et comme pour le harcèlement, ce sont les supérieurs hiérarchiques qui seraient incriminés dans un cas sur deux détails le rapport.
Maelys, externe en cardiologie : « A plusieurs reprises, un chef m'a mis une main aux fesses après avoir eu plusieurs gestes très limite à mon encontre, comme systématiquement prendre les stylos dans la poche de poitrine de ma blouse, même si je lui en tendais un. Je l'ai signalé lors de l'évaluation de stage, mais rien n'a été fait. »
Dans les cas d’agressions, c’est 22 % d’étudiant·es qui déclarent effectuer des signalements. Mais comme dans les cas de harcèlement, la peur des retombées et l’impression que dénoncer ne servirait à rien est très présente. Un climat pesant que ressentent même ceux et celles qui ne sont pas victimes. « Sans me sentir visée, je trouve que cet "humour carabin" fait pour se "détendre" est particulièrement lourd. Cela est mis en exergue par leurs dessins immondes dans les internats, représentant des scènes comme une femme dénudée en train de sucer un homme. Ou alors des écritos du style : "xx xx suce au 06xxxxxxxx" ou "j'ai la bouche pleine" » déplore a son tour Chloé.
Lire aussi l Docteures queens : les femmes médecins contre l’esprit carabin