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Grand gâchis : les étudiant·es sages-​femmes se détournent de l'hôpital

person wearing gray shirt putting baby on scale
© Christian Bowen

Le Conseil natio­nal de l'Ordre des sages-​femmes sonne l'alarme : parce que les étudiant·es sages-​femmes sont de plus en plus nombreux·euses à opter pour l'installation en libé­ral, les mater­ni­tés pour­raient se retrou­ver en manque de bras à l'occasion des congés estivaux.

Le com­mu­ni­qué se veut alar­miste et c'est réus­si. « Pénurie de sages-​femmes en mater­ni­té : les patientes et les nouveau-​nés en dan­ger », c'était le titre du cour­rier envoyé à la presse, le 6 juillet, par le Conseil natio­nal de l'Ordre des sages-​femmes. Le mes­sage est clair : si, d'habitude, les mater­ni­tés peuvent comp­ter sur les sages-​femmes fraî­che­ment diplômé·es pour rem­pla­cer les sages-​femmes en poste qui partent en vacances d'été, cette année, il sem­ble­rait que cer­tains hôpi­taux et cli­niques aient du mal à recru­ter. « Nous avons été aler­tées par des mater­ni­tés et des pro­fes­sion­nels de san­té qui peinent à trou­ver des bras », pré­cise, au télé­phone, la com­mu­ni­ca­tion de l'Ordre. Les jeunes entrant dans le métier, indique l'Ordre des sages-​femmes, sont de plus en plus nombreux·euses à opter pour l'installation en libé­ral, tant les condi­tions de tra­vail, le manque de consi­dé­ra­tion et les bas salaires dans les éta­blis­se­ments rebutent.

Sans pou­voir, pour l'heure, chif­frer les postes qui res­tent vacants au moment où com­mencent les pre­miers départs en vacances, l'Ordre pointe des situa­tions cri­tiques, notam­ment dans la mater­ni­té de l'hôpital pri­vé d'Antony, la plus impor­tante du dépar­te­ment des Hauts-​de-​Seine. Dans cet éta­blis­se­ment qui avait déjà fait face à une grève des sages-​femmes début mai pour pro­tes­ter contre le sous-​effectif et l'absence de primes alors que ces pro­fes­sion­nelles gèrent des situa­tions d'urgence, la situa­tion a depuis empi­ré. « Pour palier le manque récur­rent de sages-​femmes, des patientes sur le point d'accoucher sont réorien­tées vers des éta­blis­se­ments voi­sins », détaille-​t-​on à l'Ordre des sages-​femmes. Au sein de l'hôpital, une source confirme à Causette : « Les méde­cins ont deman­dé à ce qu'une cen­taine de patientes soient réorien­tées vers d'autres mater­ni­tés car les sages-​femmes ne sont actuel­le­ment pas assez nom­breuses pour assu­rer leur sécu­ri­té. »

Rogner sur les congés d'été

Jointe par Causette, la direc­tion de l'hôpital d'Antony dément être « dans une situa­tion telle que cela néces­site de trans­fé­rer des patientes sur le point d'accoucher dans d'autres mater­ni­tés voi­sines ». Il demeure qu'en un an et demi, l'établissement est pas­sé d'une qua­ran­taine de sages-​femmes à une ving­taine, « notam­ment parce que des sages-​femmes sor­tant de congé mater­ni­té ont vu leur demande de mi-​temps refu­sée et ont pré­fé­ré par­tir dans le libé­ral. » Récemment, la direc­tion a pris la mesure du manque d'effectifs chro­nique et a déci­dé de ren­for­cer sa poli­tique d'embauches. « Le pro­blème, c'est que la pénu­rie de sages-​femmes est désor­mais natio­nale, donc le recru­te­ment ne se fait pas et il reste une tren­taine d'heures de garde à pour­voir en août, alors que les sages-​femmes de l'hôpital ont déjà fait l'effort de rac­cour­cir leurs vacances d'été », pré­cise notre source. 

A en croire l'Ordre mais aus­si l'Association natio­nale des étudiant·es sages-​femmes (Anesf), des situa­tions simi­laires pour­raient se pro­duire cet été ailleurs dans le ter­ri­toire. « Nous approu­vons le com­mu­ni­qué de l'Ordre car ces départs de jeunes diplô­més dans le sec­teur libé­ral est la réa­li­té à laquelle nous nous confron­tons éga­le­ment », pré­cise Laura Faucher, pré­si­dente de l'Anesf, actuel­le­ment en 5ème année de maïeu­tique à Clermont-​Ferrand. Sa consœur Caroline Meynier, étu­diante en 5ème année à Montpellier a déjà, elle, déci­dé de jeter l'éponge. « Suite à mon stage à l'hôpital entre ma 4ème et ma 5ème année, indique-​t-​elle à Causette, j'avais déjà acté que je ne tra­vaille­rai pas à l'hôpital, vu le manque cruel de per­son­nel, la lourde charge admi­nis­tra­tive et, en consé­quence, le rythme effré­né au détri­ment du lien avec les patientes et de leur soin. » Puis, Caroline fait face à une deuxième immense décep­tion : lors du Ségur de la Santé orga­ni­sé en sep­tembre 2020 pour mettre à plat les reven­di­ca­tions des per­son­nels hos­pi­ta­liers éprou­vés par la crise sani­taire, le ministre de la san­té Olivier Véran oublie de convier le corps des sages-​femmes aux négo­cia­tions. « Nous avions pour­tant beau­coup à dire et je m'étais beau­coup enga­gée dans la mobi­li­sa­tion de l'Anesf pour faire entendre nos reven­di­ca­tions, sou­ligne Caroline Meynier. J'ai donc pris la déci­sion de ne pas exer­cer ni à l'hôpital ni même en libé­ral à la fin de mes études mais de trou­ver un moyen de pou­voir conti­nuer à por­ter nos demandes pour obte­nir la consi­dé­ra­tion que l'on mérite, notam­ment autour de notre sta­tut hybride. »

Lire aus­si l Ségur de la san­té : les sages-​femmes se sentent les grandes oubliées et veulent en finir avec leur sta­tut hybride

Selon le code de la san­té publique, les sages-​femmes exercent une pro­fes­sion médi­cale, à l’instar des den­tistes ou des méde­cins. Pourtant, selon le clas­si­fi­ca­tion INSEE et quand elles sont recru­tées à l’hôpital, elles se retrouvent assi­mi­lées aux pro­fes­sions para­mé­di­cales avec la grille sala­riale qui va avec, et ce alors qu'elles se démènent pour décro­cher un bac + 5. « Dans ma pro­mo­tion, j'ai au moins trois amies qui ont arrê­té leurs études parce qu'elles ne pou­vaient plus suivre finan­ciè­re­ment, observe Caroline Meynier. Et ce n'est pas avec le salaire qu'elles obtien­dront ensuite à l'hôpital qu'elles rem­bour­se­ront leur prêt étu­diant. D'autres encore sont dégoû­tées de leur stage en hôpi­tal, où elles ont été mal­trai­tées par des équipes sur­me­nées, sans savoir vers qui se tour­ner pour en par­ler. » Autant d'étudiantes for­mées qui ne vien­dront pas gros­sir les rangs des postes à pour­voir dans les hôpi­taux cet été. 

Diane1, sage-​femme dans un hôpi­tal de la région pari­sienne en ten­sion, tient bon pour l'heure : « Travailler dans le sec­teur libé­ral ne m'intéresse pas, à cause de la ges­tion admi­nis­tra­tive. Mais je ne veux pas pour autant mettre ma san­té en dan­ger parce que nous ne sommes pas assez nom­breuses. Je n'envisage pas, quand j'aurai des enfants, de res­ter pour le même salaire la moi­tié des nuits au tra­vail pour des gardes. » « C'est un grand gâchis car nous avions choi­si ce métier pour accom­pa­gner des femmes ou des couples dans le moment le plus impor­tant de leur vie, sou­pire Caroline Meynier, mais on nous enlève l'envie de le faire. »

Lire aus­si l 40 % des sages-​femmes hos­pi­ta­lières s'estiment en burn-out

  1. Le pré­nom a été modi­fié[]
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