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Au lycée Fénelon, le 18 décembre 2020, hommage à Fouad, lycéenne transgenre qui s'est suicidée le 16 décembre 2020. © Denis Charlet/AFP

École et tran­si­den­ti­té : le retard français

Causette s’associe au site The Conversation, qui regroupe des articles de chercheur·euses de dif­fé­rentes uni­ver­si­tés et per­met à des médias de repu­blier les textes. Nous vous pro­po­sons ci-​après un article d'Arnaud Alessandrin, socio­logue à l'Université de Bordeaux, dres­sant le tableau des man­que­ments de l'Education natio­nale quant à la prise en charge inclu­sive des élèves trans, très sou­vent dis­cri­mi­nés. L'auteur pro­pose aus­si des pistes d'amélioration, de nature à évi­ter le pire, comme le sui­cide de ces enfants.

Arnaud Alessandrin, Université de Bordeaux

Le sui­cide d’une lycéenne trans en décembre 2020 a sus­ci­té une vague d’émotion et d’indignation, inter­ro­geant les failles de l’Éducation natio­nale quant à la prise en compte et de prise en charge des mineurs trans­genres, gen­der fluid ou non binaires.

Lire aus­si l Reportage auprès des ami·es de Fouad, lycéenne trans­genre qui s’est don­né la mort

Témoignages sur les réseaux sociaux, don­nées chif­frées, com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales : tout concourt à la mise en évi­dence d’un retard français.

À tra­vers ce texte, il s’agit de reve­nir sur ce que (ne) fait (pas) l’Éducation natio­nale en direc­tion des jeunes per­sonnes trans­genres et celles qui ne res­pectent pas les normes de genre ain­si que sur les pers­pec­tives d’améliorations en la matière.

Transphobie à l’école

Si le sujet des tran­si­den­ti­tés à l’école semble juste émer­ger, la recherche (notam­ment fran­çaise) s’est pour­tant pen­chée sur cette ques­tion depuis quelques années. En 2014, la revue « Les cahiers de la tran­si­den­ti­té » publient un numé­ro spé­cial inti­tu­lé Tableau noir : les tran­si­den­ti­tés et l’école. À cette époque, seules les asso­cia­tions – comme SOS Homophobie ou le MAG – par­viennent à chif­frer les vio­lences trans­phobes en milieu sco­laire. Les enquêtes qua­li­ta­tives et les témoi­gnages viennent donc éclai­rer ce qui reste alors un impen­sé par­mi les publics de l’Éducation nationale.

Des recherches plus récentes sta­bi­lisent nos connais­sances. En 2018, la recherche « Santé LGBTI » per­met de mesu­rer le sen­ti­ment de bien-​être sco­laire des élèves LGBTI (Lesbiennes, Gays, Bi, Transgenres et Intersexes). Il en res­sort qu’au col­lège, 73 % des élèves LGBTI ont res­sen­ti de dif­fi­cul­tés sco­laires ou rela­tion­nelles, qu’au lycée ce taux se main­tient à 57 %… et qu’il s’élève à 82 % en ce qui concerne les élèves trans !

Les don­nées dis­po­nibles rejoignent donc les témoi­gnages qui fleu­rissent sur les réseaux sociaux. Le sys­tème édu­ca­tif fran­çais, de la pri­maire à l’université, semble en inca­pa­ci­té d’avoir une poli­tique inclu­sive à l’égard de mino­ri­tés de genre (et de sexua­li­té) aux­quelles elle s’adresse pourtant.

Concernant les élèves trans ou non binaires, les points d’échauffement sont nom­breux : incom­pré­hen­sion ou déni face aux pre­mières inter­pel­la­tions par l’élève, pro­grammes sco­laires (en Sciences et Vie de la Terre ou en édu­ca­tion phy­sique) non adap­tés ou clai­re­ment dis­cri­mi­na­toires, accueils et accom­pa­gne­ments sco­laires défaillants, dis­po­si­tifs péda­go­giques (notam­ment en matière d’éducation à la sexua­li­té) excluants, non prise en charge des cas de transphobie…

Des avan­cées trop timides

La réponse des pou­voirs publics tient pour ain­si dire à quelques per­sonnes. En 2012, le gou­ver­ne­ment ins­talle une délé­ga­tion inter­mi­nis­té­rielle de lutte contre la vio­lence sco­laire, sous la direc­tion d’Éric Debarbieux. La trans­pho­bie n’est pas dans la feuille de route de cette délé­ga­tion, mais cer­tains membres, comme la cher­cheuse Johanna Dagorn ou Éric Debarbieux lui-​même, vont s’engager à l’inscrire dans les outils créés par la délégation.

Ainsi naî­tra une cam­pagne contre le har­cè­le­ment à l’école qui, jusqu’à très récem­ment, offri­ra aux professionnel·le·s de l’enseignement la seule trace offi­cielle du mot « trans­pho­bie ». C’est dire le retard de l’Éducation natio­nale sur ces questions.

Interview d’Eric Debarbieux (NonAuHarcelement, Ministère de l’Éducation, 2012).

Les référent·e·s filles/​garçons et lutte contre les dis­cri­mi­na­tions sont alors bien démunie·e·s lorsqu’il s’agit de répondre à des éta­blis­se­ments ou à des enseignant·e·s qui font face à des demandes d’élèves ou de parents en tran­si­tion… Si tant est que ces professionnel·le·s soient formé·e·s sur ces ques­tions, ce qui est loin d’être le cas étant don­né la place accor­dée aux ques­tions LGBTIQ au sein des for­ma­tions ini­tiales des ensei­gnantes et des enseignants !

Dans un même temps, les contro­verses autour de la ques­tion du genre n’ont pas per­mis à l’Éducation natio­nale d’être plei­ne­ment à l’écoute des besoins de ces élèves et de leurs proches. Critiquée pour dif­fu­ser la « théo­rie du genre » ou pour favo­ri­ser un « pro­sé­ly­tisme LGBT », l’Éducation natio­nale a lar­ge­ment pré­fé­ré la poli­tique de l’autruche à l’action (et dont les ABCD de l’égalité ont lar­ge­ment fait les frais).

Il fau­dra attendre 2018, et la cam­pagne de sen­si­bi­li­sa­tion aux LGBTphobies (inti­tu­lée « ça suf­fit ! ») pour que réap­pa­raisse le terme de trans­pho­bie. Le dis­po­si­tif mis en œuvre (affi­chage, for­ma­tions) reste néan­moins très confi­den­tiel et les professionnel·le·s de l’enseignement misent alors sur les IMS (les Interventions en Milieu Scolaire) et sur le sec­teur asso­cia­tif pour ani­mer cette dimen­sion nou­velle dans la poli­tique de lutte contre les dis­cri­mi­na­tions au sein des établissements.

En 2019, deux autres évè­ne­ments viennent mar­quer un enga­ge­ment des rec­to­rats et du gou­ver­ne­ment en faveur des mino­ri­tés de genre et de sexua­li­té à l’école :

  • la créa­tion d’un obser­va­toire des LGBT-​phobies au sein du rec­to­rat de Paris
  • la dif­fu­sion d’un Vadémécum pour défendre les droits des per­sonnes trans (notam­ment à l’école) par la DILCRAH (Délégation Interministérielle de Lutte contre les discriminations).

L’ensemble de ces outils, bien que néces­saires, sonnent néan­moins comme un aveu d’échec au regard des don­nées dis­po­nibles en matière de trans­pho­bie dans les éta­blis­se­ments sco­laires aujourd’hui en France.

Perspectives d’améliorations

Alors que faire face à ce constat d’inclusion ratée des per­sonnes trans et non binaires dans les écoles fran­çaises ? Plusieurs pistes peuvent être explo­rées avec, bien sou­vent, des exemples locaux ou inter­na­tio­naux qui seraient e mesure d’inspirer le minis­tère de l’Éducation nationale.

Du côté des tranches d’âges concer­nées par les mesures de for­ma­tions et de sen­si­bi­li­sa­tion aux ques­tions de genre (c’est-à-dire non seule­ment d’égalité filles-​garçons mais plus encore d’inclusion des ques­tions LGBT), l’école pri­maire est la grande oubliée. Or, des films comme Petite fille de Sébastien Lifshitz montrent bien que les inter­ro­ga­tions propres aux iden­ti­tés de genre de cha­cun et cha­cune appa­raissent tôt dans le déve­lop­pe­ment psy­cho­sexuel nor­mal des enfants.

Interview au sujet du docu­men­taire « Petite Fille » (Arte).

Du côté pro­grammes d’une part, et notam­ment des cours d’éducation à la sexua­li­té, une cher­cheuse comme Gabrielle Richard a su mon­trer com­bien des péda­go­gies anti-​oppressives, fémi­nistes et inclu­sives per­mettent une dimi­nu­tion de l’ostracisme vécu ou subi par les mino­ri­tés de genre et de sexua­li­té et, paral­lè­le­ment, un plus grand épa­nouis­se­ment des élèves LGBTIQ. À cet égard, les cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion, de pré­ven­tion, et de rap­pel à la loi doivent être accentuées.

D’autre part, les for­ma­tions ini­tiales et conti­nues des professionnel·le·s de l’Éducation natio­nale laissent une place trop mar­gi­nale aux ques­tions de sexua­li­té, d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Or, l’actualité média­tique comme celle des éta­blis­se­ments montrent l’urgence de prendre en compte ces dimen­sions éducatives.

Des for­ma­tions ins­crites au PAF (Plan aca­dé­mique de for­ma­tion) des rec­to­rats, ou déployées dans les INSPE (Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation) ou à l’IH2EF (Institut des hautes études de l’éducation et de la for­ma­tion) sont à pré­co­ni­ser. CPE, infirmier·e·s sco­laires, enca­dre­ment ou chargé·e·s de mis­sion éga­li­té filles-​garçons sont des cibles pri­vi­lé­giées de ces for­ma­tions, qui visent notam­ment à mai­tri­ser l’environnement social et asso­cia­tif qui œuvre sur ces ques­tions au plus près des ter­ri­toires des professionnel·le·s.

Mais il est une autre dimen­sion à prendre en compte : l’architecture sco­laire (les toi­lettes, les cours de récréa­tion) et la mai­trise col­lé­giales des « bonnes pra­tiques » d’accueil et d’inclusion des mineurs trans. Les éta­blis­se­ments sco­laires fran­çais sont actuel­le­ment seuls lorsqu’il s’agit de répondre à des sol­li­ci­ta­tions de per­sonnes trans. Les inéga­li­tés de trai­te­ment à l’échelle du ter­ri­toire en sont donc d’autant plus marquées.

La créa­tion rapide d’un pro­to­cole d’accueil et d’accompagnement, éla­bo­ré en concer­ta­tion avec les asso­cia­tions concer­nées, est alors à encou­ra­ger (res­pect du pré­nom d’usage, moda­li­tés admi­nis­tra­tives d’échange avec le/​la jeune sco­la­ri­sé, for­ma­tion interne des professionnel·le·s, adap­ta­tion des cours d’EPS, moda­li­tés d’accompagnement des jeunes et de leurs entourages…).

Comme nous venons de le consta­ter les retards fran­çais en la matière sont consi­dé­rables. La place des parents dans la tri­an­gu­la­tion « enfants »/​« école »/​« parents » est aus­si à inter­ro­ger : com­ment accom­pa­gner au mieux les parents dans l’intérêt de l’enfant, sans mettre en dan­ger ni en conflit de loyau­té ce der­nier, et en favo­ri­sant sa bonne par­ti­ci­pa­tion scolaire ?

Il est à espé­rer que les cas mal­heu­reux de dis­cri­mi­na­tions et de sui­cides qui ont par­se­mé l’actualité récente fassent réagir le minis­tère. Dans l’attente de mesures volon­ta­ristes, de nom­breux autres élèves trans et non binaires conti­nuent d’être dis­cri­mi­nés, vio­len­tés et ostracisés.

Cet article est repu­blié à par­tir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article ori­gi­nal.

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