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© Ehimetalor Akhere Unuabona

Covid-​19 : l’impact de la crise sani­taire sur la schizophrénie

Plus faci­le­ment exposé·es au virus et à des risques de com­pli­ca­tions en cas d’infection, les patient·es atteint·es de schi­zo­phré­nie doivent éga­le­ment faire face à leur propre patho­lo­gie que la crise sani­taire met à rude épreuve depuis plus d’un an. 

Les patient·es schi­zo­phrènes ont été plus mor­tel­le­ment touché·es par le Covid-​19 lors de la pre­mière vague. C’est ce qu’a révé­lé une étude natio­nale fran­çaise menée par l’AP-HM (assis­tance publique hôpi­taux de Marseille) sur la mor­ta­li­té hos­pi­ta­lière liée au virus, publiée en novembre 2020 dans la revue spé­cia­li­sée Schizophrenia Bulletin. 25,6 % contre 21,7 % pour les patients témoins à comor­bi­di­tés équi­va­lentes. « Nous avons consta­té une sur­mor­ta­li­té des patients schi­zo­phrènes hos­pi­ta­li­sés dans le cadre d’une conta­mi­na­tion au virus par rap­port aux patients Covid hos­pi­ta­li­sés sans patho­lo­gie men­tale pen­dant la pre­mière vague, avec une sur­mor­ta­li­té par­ti­cu­liè­re­ment forte dans la tranche d’âge 65–80 ans », détaille pour Causette le Dr Guillaume Fond, psy­chiatre cher­cheur à l’AP-HM, pre­mier auteur de l’étude. Une sur­mor­ta­li­té qui s’explique selon le psy­chiatre par le carac­tère vul­né­rable des schi­zo­phrènes. Effectivement, en atta­quant les cel­lules du cer­veau, cette mala­die chro­nique dérègle le fonc­tion­ne­ment du sys­tème immu­ni­taire des patient·es, ce qui les rend davan­tage réceptif·ves au virus. Ils et elles ont aus­si davan­tage de fac­teurs de comor­bi­di­té, comme l’hypertension ou le dia­bète. À cette vul­né­ra­bi­li­té s’ajoutent éga­le­ment les symp­tômes de la mala­die men­tale, qui touche en France 600 000 per­sonnes. En rai­son de son alté­ra­tion de la réa­li­té et du fonc­tion­ne­ment de la pen­sée, la schi­zo­phré­nie entraîne des hal­lu­ci­na­tions visuelles et audi­tives ain­si qu’un iso­le­ment, de la para­noïa et des délires de per­sé­cu­tion chez les per­sonnes atteintes. Un cock­tail par­ti­cu­liè­re­ment explo­sif dans le contexte sani­taire anxio­gène actuel. « Il peut éga­le­ment y avoir une expres­sion de la dou­leur dif­fé­rente chez ces patients, sou­ligne le psy­chiatre. Certains ne mani­festent pas qu’ils ont mal à tel ou tel endroit, ce qui entraîne un retard de diag­nos­tic du Covid, de prise en charge et, à terme, une sur­mor­ta­li­té. » 

« En sou­hai­tant pro­té­ger tout le monde, le gou­ver­ne­ment n’a pas suf­fi­sam­ment pris en compte les besoins des malades men­taux. Certains patients peuvent très mal vivre l’isolement. »

Léa, patiente schizophrène

Léa, 25 ans, diag­nos­ti­quée schi­zo­phrène en 2014, a attra­pé le Covid-​19 lors du pre­mier confi­ne­ment. La jeune femme a déve­lop­pé une forme grave et a même dû être hos­pi­ta­li­sée en uni­té Covid pen­dant trois jours. Si elle a pu ren­trer assez rapi­de­ment chez elle, Léa a très mal vécu cette hos­pi­ta­li­sa­tion. « Avec la schi­zo­phré­nie, je suis très para­noïaque, confie Léa à Causette. Le Covid a donc déclen­ché chez moi une peur de la mala­dieL’hospitalisation en uni­té Covid et l’isolement de manière géné­rale m’ont rame­née à mon inter­ne­ment en hôpi­tal psy­chia­trique. » Pour soi­gner ses angoisses, la jeune femme a pu comp­ter sur les sou­tiens de sa psy­cho­logue et de son psy­chiatre, elle qui suit une thé­ra­pie ain­si qu’un trai­te­ment médi­cal adap­té à sa mala­die depuis 2014. Un accom­pa­gne­ment qui lui per­met d'ailleurs de pou­voir vivre une vie nor­male. Mais là aus­si, le Covid a bou­le­ver­sé ses habi­tudes. « Je ne pou­vais plus me rendre au cabi­net donc j’ai eu mes rendez-​vous par télé­phone, indique Léa. Sans, je crois que ça aurait été beau­coup plus dif­fi­cile de tenir. » Grâce à cet accom­pa­gne­ment psy­cho­lo­gique à dis­tance et à l’aide d’un petit sur­plus médi­cal en cas de besoin, Léa a pu gérer seule ses quelques crises. Mais la jeune fille témoigne d’un cer­tain aban­don de la part des ser­vices publics. « Depuis que j’ai appris à gérer ma mala­die il y a quelques années, j’ai besoin de contacts sociaux. Alors j’ai très mal vécu ne plus avoir de lien avec le monde exté­rieur. En sou­hai­tant pro­té­ger tout le monde, le gou­ver­ne­ment n’a pas suf­fi­sam­ment pris en compte les besoins des malades men­taux. Certains patients peuvent très mal vivre l’isolement. » 

« J’ai sen­ti que je par­tais en crise, que je per­dais le contrôle sur la réa­li­té. J’entendais des voix qui me disaient que j’avais créé le Covid, que c’était de ma faute, que j’étais res­pon­sable de la mort de tous ces gens. »

Cynthia, patiente schizophrène

Même constat auprès de Cynthia, 21 ans, diag­nos­ti­quée schi­zo­phrène début 2018. À l’annonce d’Emmanuel Macron le 17 mars 2020, la jeune femme s’est confi­née dans la famille de son petit-​ami en région pari­sienne. « Comme je suis para­noïaque, j’avais peur du Covid mais au début ça allait, j’ai fait quelques micro-​crises que j’ai pu gérer seule, raconte-​elle. Puis quelques semaines après, j’ai attra­pé le Covid. Ça a vrai­ment déclen­ché des angoisses. » Si Cynthia n’a pas eu de forme grave comme Léa, le Covid est venu nour­rir des inquié­tudes déjà exis­tantes. « J’ai sen­ti que je par­tais en crise, que je per­dais le contrôle sur la réa­li­té. J’entendais des voix qui me disaient que j’avais créé le Covid, que c’était de ma faute, que j’étais res­pon­sable de la mort de tous ces gens. » Cette crise a duré deux jours. Deux jours pen­dant les­quelles la jeune femme est res­tée dans la chambre de son petit-​ami et a ten­té de gérer comme elle le pou­vait. « Pour m‘aider à contrô­ler cette crise, à défaut de psy­chiatre, j’ai pu télé­pho­ner à ma psy­cho­logue, explique Cynthia. Ça m'a vrai­ment beau­coup aidée. » En effet, à de mul­tiples reprises, la jeune femme tente de joindre sa psy­chiatre au CMP de Chartre pour le sui­vi de sa thé­ra­pie. Mais au bout du fil, tou­jours les mêmes réponses : « On me disait qu’elle était débor­dée et qu’ils ne pro­po­saient pas de rendez-​vous par télé­phone ou par Skype », se sou­vient la jeune femme. Son salut vien­dra du méde­cin de famille de son petit ami. Celui-​ci accepte de renou­ve­ler son ordon­nance pour son trai­te­ment et lui admi­nistre à deux reprises son injec­tion d'anti-psychotique que sa psy­chiatre doit lui faire chaque mois. « Sans lui, je ne sais pas com­ment j’aurais tenu, sou­ligne Cynthia. Parce que ma psy­chiatre m’a com­plè­te­ment lais­sée dans la nature. »

Les professionnel·les de san­té le recon­naissent : la pan­dé­mie a bou­le­ver­sé le sui­vi des patient·es. Avec le pre­mier confi­ne­ment, les hôpi­taux de jour, ate­liers et struc­tures ambu­la­toires ont fer­mé, les thé­ra­pies de groupes ont été stop­pées. Une inter­rup­tion regret­table car les thé­ra­pies et les acti­vi­tés phy­siques à plu­sieurs sont essen­tielles pour la socia­li­sa­tion des patient·es. Évidemment, l’impact sur l’évolution des per­sonnes schi­zo­phrènes ne s’est pas fait attendre. « La visio a mis du temps à se mettre en place, donc on a per­du de vue un cer­tain nombre de patients à la fin du pre­mier confi­ne­ment, qu’on essaye depuis de rat­tra­per pro­gres­si­ve­ment, constate le Dr Guillaume Fond. On a vu éga­le­ment beau­coup de rechutes dans les hôpi­taux psy­chia­triques dus à un désen­ga­ge­ment du sui­vi thé­ra­peu­tique et une mau­vaise obser­vance des trai­te­ments. Et pour les nou­veaux patients, la pre­mière prise en charge est extrê­me­ment dif­fi­cile à dis­tance. » Depuis, le gou­ver­ne­ment semble avoir appris de ses erreurs en matière de san­té men­tale. Pendant le deuxième confi­ne­ment, nombre de struc­tures ont ain­si pu conti­nuer à rece­voir leurs patient·es. D’autres psy­chiatres ont consi­dé­ra­ble­ment élar­gi et amé­lio­ré le sui­vi en dis­tan­ciel. « On a aus­si réac­ti­vé les équipes ambu­la­toires, indique Guillaume Fond. Composées de psy­cho­logues et de psy­chiatres, elles se déplacent au domi­cile pour assu­rer les sui­vis. » Pour le psy­chiatre, « le soin à domi­cile comme la visio, c’est l’avenir de la psy­chia­trie : ça per­met de voir com­ment vit le patient. » 

« On sait que dans le déclen­che­ment de la schi­zo­phré­nie, il y a une com­po­sante géné­tique, mais aus­si une com­po­sante envi­ron­ne­men­taleLe cli­mat anxio­gène de la crise sani­taire favo­rise ce fac­teur envi­ron­ne­men­tal sur­tout chez les jeunes.

Guillaume Fond, psy­chiatre cher­cheur à l’AP-HM

Si pour certain·es, le manque de contact fut un véri­table enfer, d’autres semblent au contraire s’être rela­ti­ve­ment bien accommodé·es de cette nou­velle prise en charge. « Pour cer­tains patients, c’est très dif­fi­cile de sor­tir de chez eux en temps nor­mal pour se rendre au cabi­net, rap­pelle le Dr Fond. Pour eux, le déve­lop­pe­ment de la thé­ra­pie en dis­tan­ciel a amé­lio­ré les choses. » C’est par exemple le cas de Cynthia, déjà habi­tuée au concept. « Ma psy­cho­logue n’est pas dans la même région que moi donc je l’avais déjà via skype ou par télé­phone avant le confi­ne­ment. Moi je pré­fère parce que par­fois je n’ai pas spé­cia­le­ment envie de me mon­trer. »  Si les professionnel·les de san­té semblent reprendre en main le sui­vi des malades, ils et elles s’inquiètent cepen­dant d’une vague de nou­veaux et nou­velles patient·es. « On sait que dans le déclen­che­ment de la schi­zo­phré­nie, il y a une com­po­sante géné­tique, mais aus­si une com­po­sante envi­ron­ne­men­tale, explique le Dr Fond. Le cli­mat anxio­gène de la crise sani­taire favo­rise ce fac­teur envi­ron­ne­men­tal sur­tout chez les jeunes. » La schi­zo­phré­nie se déclare en effet entre 18 et 25 ans. « On n’a pas encore de chiffres sur le nombre de nou­veaux patients diag­nos­ti­qués suite à la crise du Covid mais ce qui est sûr c’est que la pres­sion des exa­mens, l’isolement, les pro­blèmes d’addictions et l’angoisse légi­time de l’avenir en font un fac­teur envi­ron­ne­men­tal par­ti­cu­liè­re­ment pro­pice. » Pour le psy­chiatre une chose est cer­taine : il faut vrai­ment faire atten­tion aux jeunes, eux qui sont par­ti­cu­liè­re­ment vul­né­rables face aux mala­dies men­tales comme la schizophrénie. 

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