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Clarisse Agbegnenou : l'or de gloire

Mise à jour le 27 juillet 2021 /​/​/​ Championne ! La porte-​drapeau de l'équipe de France vient de rem­por­ter la médaille d'or dans la caté­go­rie moins de 63 kilos. Toutes nos félicitations ! 

Mise à jour le 6 juillet 2021 /​/​/​ Clarisse Agbegnenou a été dési­gnée le 5 juillet porte-​drapeau de la délé­ga­tion fran­çaise aux Jeux de Tokyo cet été, aux côtés de Samir Aït Saïd (gym­naste), Sandrine Martinet (judo para­lym­pique) et Stéphane Houdet (ten­nis paralympique).

À seule­ment 27 ans, elle comp­ta­bi­lise quatre titres de cham­pionne du monde, trois d’Europe et une médaille d’argent aux JO de Rio. L’été pro­chain, au Japon, c’est l’or qu’elle vise. Clarisse Agbegnenou est la judo­ka fran­çaise la plus titrée de l’histoire.

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© Marguerite Bornhauser pour Causette

Clarisse Agbegnenou montre une pho­to : « Tu vois, ce sont toutes mes médailles, bien ran­gées. Celle d’argent aux JO de Rio en 2016, elle est cachée der­rière les autres, on ne la voit pas. » On se dit : « Quand même, une médaille d’argent aux jeux Olympiques ! » Elle sou­pire, presque hon­teuse. Nadia Benabdelouahed, son agent, se sou­vient de Clarisse en larmes sur le podium au Brésil : « Elle était incon­so­lable. Seul l’or l’intéressait. C’est nor­mal pour une com­pé­ti­trice comme elle. » Mais il y eut trop de stress, trop de pres­sion sur les épaules de celle dont tout le monde disait qu’elle ne pou­vait pas perdre. L’argent donc, comme une rayure, une faute sur un CV impres­sion­nant, celui de la judo­ka fran­çaise la plus titrée de l’histoire à seule­ment 27 ans. Quatre fois cham­pionne du monde (dont le der­nier titre raflé récem­ment à Tokyo, au Japon, en ­sep­tembre), trois fois d’Europe. Et cette médaille d’argent aux JO de Rio qu’elle entend bien rem­pla­cer, l’été pro­chain, par l’or. L’or qu’elle veut rap­por­ter du Japon où se dérou­le­ront les jeux Olympiques, du 24 juillet au 9 août 2020. Quatre ans qu’elle s’entraîne jour après jour avec ce seul objec­tif, cette obsession. 

À l’origine de ce pal­ma­rès excep­tion­nel, on trouve une direc­trice d’école. Clarisse est une petite fille qui aime bien se battre, par­ti­cu­liè­re­ment contre les gar­çons. Son père, Victor, cher­cheur en bio­tech­no­lo­gie, se sou­vient : « Elle fai­sait de la danse et de l’athlétisme, mais la direc­trice a jugé que ce n’était pas suf­fi­sant, elle a deman­dé qu’on l’inscrive à un sport de com­bat pour cana­li­ser son éner­gie. » Ce sera le judo. La petite fille se révèle sur­douée. Les cein­tures s’enchaînent, les pre­miers com­bats sont trop faci­le­ment gagnés. À 14 ans, Clarisse quitte la région pari­sienne et part en sport-​études à Orléans (Loiret). « Au début, c’était vrai­ment dur. J’étais une gamine. J’ai eu mes règles, ma mère n’était pas là, je me deman­dais si je pou­vais en par­ler au prof… J’avais ma mère au télé­phone tous les soirs, je lui disais que je n’allais jamais y arri­ver, mais fina­le­ment j’ai ado­ré mes trois ans là-​bas. On s’endormait la lumière allu­mée en dis­cu­tant entre copines. » 

“Un dia­mant brut”

Elle revient ensuite en région pari­sienne, s’entraîne à Argenteuil (Val‑d’Oise), puis à l’Insep, l’Institut natio­nal du sport, situé dans le bois de Vincennes, qui forme l’élite des spor­tifs fran­çais. Ahcène Goudjil a comp­té par­mi ses pre­miers entraî­neurs : « Cette fille est incroyable, c’est un dia­mant brut, et modeste en plus. En humi­li­té, je lui mets 9,5÷10. Mais il faut dire qu’elle a des parents excep­tion­nels. Elle fai­sait des heures de trans­ports en com­mun pour venir s’entraîner à Argenteuil alors qu’elle était déjà cham­pionne d’Europe. Elle conseillait les plus jeunes, s’entraînait avec eux. » Elle com­bat alors régu­liè­re­ment contre des gar­çons, chose excep­tion­nelle puisque le judo n’est pas un sport mixte en com­pé­ti­tion. Elle les bat si sou­vent que les gar­çons demandent la fin de l’expérience… « C’est une nature vol­ca­nique, colé­rique, mais tou­jours à l’écoute. Elle sait ce qui est bon pour elle. » Larbi Benboudaoud, son entraî­neur actuel à l’Insep, a été cham­pion du monde en 1999 et vice-​champion olym­pique en 2000. « On en voit beau­coup des jeunes très doués. Mais Clarisse… Elle pos­sède une per­son­na­li­té, une moti­va­tion hors du com­mun. Surtout, elle a su gar­der la notion de plai­sir mal­gré les efforts et les sacri­fices consen­tis. Elle fonc­tionne beau­coup au plai­sir. » 

Jeunesse, amis, amours…

Quant aux sacri­fices, Clarisse ne les a pas oubliés. Elle les énonce gra­ve­ment, assise au bord du tapis de judo, juste avant que l’entraînement ne com­mence : « On sacri­fie beau­coup pour en arri­ver là. Notre jeu­nesse, nos amis, par­fois nos his­toires d’amour. On se prive de ce que l’on aime­rait man­ger. On sort peu. Je ne sais pas com­bien d’anniversaires, de mariages j’ai ratés à cause des com­pé­ti­tions et des entraî­ne­ments. » Elle n’a jamais réus­si à réa­li­ser son rêve, assis­ter à un concert de Beyoncé au Stade de France. De leurs quatre enfants, ses parents assurent qu’elle a tou­jours été celle qui a main­te­nu le plus for­te­ment le lien avec le Togo, leur pays d’origine. À 12 ou 13 ans, elle y est allée toute seule pour y être accueillie par la famille. Mais quand elle a eu 14 ans, les stages d’été de judo ont ­com­men­cé. Finies les vacances du côté de Lomé. Elle ne pour­ra y retour­ner que dix ans plus tard… « Tu sacri­fies aus­si une grande par­tie de ta vie de femme, reprend-​elle. Tu peux avoir un désir d’enfant, mais tu ne peux pas à cause des com­pé­ti­tions, de ta car­rière d’athlète. Tu dois attendre. »

D’où lui viennent cette force, cette éner­gie, cette envie de « détruire, détruire » qu’elle décrit elle-​même dès qu’elle s’approche d’un tata­mi et que com­mence une com­pé­ti­tion ? On s’en vou­drait de faire de la psy­cho­lo­gie de comp­toir. Mais, quand même… De sa nais­sance ? Clarisse Agbegnenou l’évoque elle-​même. Elle naît à l’hôpital de Rennes (Ille-​et-​Vilaine) le 25 octobre 1992, en même temps que son frère jumeau. Mais les deux bébés sont en avance, très en avance : leur mère n’en est qu’à sept mois de gros­sesse. Si la nais­sance, deux mois avant le terme, de son frère Aurélien se passe sans encombre, il n’en va pas de même pour Clarisse, qui ne pèse que 1,100 kilo et souffre d’une mal­for­ma­tion du rein gauche. Elle ne pleure ni ne crie. Réanimée, elle est opé­rée d’urgence. Elle tombe dans le coma pen­dant une semaine. « Puis je me suis réveillée un beau jour ! Le méde­cin qui m’a opé­rée a dit, dès ma nais­sance, que j’étais une bat­tante. Du coup, je pense que si je me suis bat­tue pour vivre, c’est peut-​être que je dois me battre pour exis­ter. » Son père ajoute : « Cette dame est reve­nue de loin, elle est reve­nue du pire. Elle vit la vie telle qu’elle l’a retrou­vée quand elle s’est réveillée et plus rien ne peut lui faire peur depuis ce jour. »

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© Marguerite Bornhauser pour Causette

En février 2019, Clarisse Agbegnenou est retour­née au CHU de Rennes, en com­pa­gnie de son frère jumeau et de leur mère. Elle y a retrou­vé les per­son­nels soi­gnants qui ont contri­bué, en 1992, à lui sau­ver la vie. La jeune femme s’est enga­gée auprès de l’association SOS Préma*, dont elle est deve­nue la mar­raine. « Je vais ren­con­trer les parents et les per­son­nels soi­gnants. Et je dis aux parents qu’il ne faut pas s’inquiéter : ce n’est pas parce qu’on est né grand pré­ma que l’on ne peut pas deve­nir quelqu’un de fort ! » 

Promouvoir l’égalité

Clarisse s’est enga­gée pour une autre cause, la place des femmes dans le sport de haut niveau. Le 24 jan­vier, elle a été la mar­raine de la Journée inter­na­tio­nale du sport fémi­nin, évé­ne­ment des­ti­né à pous­ser les femmes à prendre toute leur place dans toutes les dis­ci­plines. Et à pro­mou­voir plus de mixi­té à la télé­vi­sion, avec plus de redif­fu­sions d’événements fémi­nins. En 2016, der­nière année olym­pique, le sport fémi­nin n’a repré­sen­té qu’entre 16 et 20 % du volume horaire de retrans­mis­sions spor­tives à la télé­vi­sion fran­çaise, toutes chaînes confon­dues. C’est vrai, le judo, assure-​t-​elle, n’est pas le plus machiste des uni­vers spor­tifs : les primes attri­buées sont les mêmes en cas de vic­toire pour les femmes et pour les hommes. Et si sa noto­rié­té est bien moindre que celle d’un Teddy Riner, star média­tique du sport fran­çais s’il en est, elle ne s’en plaint pas. Pour deux rai­sons : parce que Riner est son ami et parce qu’il pos­sède un pal­ma­rès inéga­lé (dix titres de cham­pion du monde et deux médailles d’or olym­piques). Mais, pour­tant : « Nous, les femmes, on est sou­vent rabais­sées dans le monde du sport alors que nous sommes par­fois plus fortes que les hommes. Déjà, on donne la vie, sans nous, il n’y aurait pas d’humanité… On est égales à eux, j’aimerais prendre ma petite part dans cette prise de conscience que les femmes doivent être consi­dé­rées de la même façon. Et si on s’y met toutes, on pour­ra faire chan­ger les choses. En plus, au judo, ces der­niers temps, on ramène plus de médailles que les mecs ! » Elle trouve tou­te­fois que les choses com­mencent à chan­ger dans le bon sens. Mais elle ajoute : « Je veux redire que force et fémi­ni­té ne sont pas for­cé­ment anta­go­nistes. Tu as vu mes ongles ? » Ornés d’un joli ver­nis rose. Tout comme ses che­veux, qu’elle a teints par endroits en un rouge léger. Elle dit qu’elle vou­drait qu’on l’appelle « Xena, la guer­rière », l’héroïne de son enfance, « à la fois fémi­nine et com­bat­tante ». Puis éclate de rire encore une fois. 

* Sosprema.com

25 octobre 1992

Naissance à Rennes (Ille-​et-​Vilaine) 

25 octobre 1992
2008

Premier titre rem­por­té, cham­pionne d’Europe cadette 

2008
2013

Championne d’Europe

2013
2014

Championne du monde pour la pre­mière fois (– 63 kg) 

2014
2016

Médaille d’argent aux JO de Rio (Brésil)

2016
2019

Quatrième titre de cham­pionne du monde, à Tokyo (Japon)

2019
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