affiche derniers prix
Vitrine d'un magasin San Marina

“Cet emploi, c'était beau­coup pour moi” : les salarié·es de San Marina s’apprêtent à fer­mer le rideau

Entre tris­tesse et libé­ra­tion face à l'incertitude, les employé·es des bou­tiques pari­siennes de l’enseigne San Marina vivent ce jeu­di 16 février l’une de leurs der­nières jour­nées en maga­sin avant la fer­me­ture défi­ni­tive, pré­vue pour la fin de semaine.

« Vendredi, on ferme défi­ni­ti­ve­ment le maga­sin ». Après Camaïeu et Go Sport, les employé·es des bou­tiques pari­siennes de la mythique enseigne de chaus­sure San Marina, qui existe depuis 1981, s'apprêtent à fer­mer défi­ni­ti­ve­ment les portes de leurs bou­tiques. Ce jeu­di 16 février, les client·es, des femmes dans leur grande majo­ri­té, se sont don­né rendez-​vous dans les bou­tiques pour pro­fi­ter des der­niers prix avant la très pro­bable liqui­da­tion du groupe judi­ciaire lundi. 

« Ni repris, ni échan­gé, nous fer­mons ce same­di », indique une res­pon­sable de maga­sin à une cliente qui règle un sac à main et des escar­pins. Les demandes des client·es s’enchaînent et se res­semblent : « Est-​ce que c’est votre der­nière poin­ture ? », « Tout est à – 50% ? », « Allez-​vous faire des offres sup­plé­men­taires ? ». Depuis l’annonce faite par les médias mar­di 14 février que l'ensemble des 163 maga­sins de l'enseigne allaient fer­mer en fin de semaine, les client·es se pré­ci­pitent dans les San Marina de la capi­tale. Les bou­tiques écoulent leurs stocks à prix cas­sés. « On dirait qu’on a fait une annonce "venez ache­ter votre der­nier pain, après ce sera la fin" » rigole Damien1, res­pon­sable d'une bou­tique de la rive droite. Depuis hier « c’est la guerre », explique-​t-​il. Selon lui, les client·es s’arrachent même les der­nières poin­tures. Le deve­nir de sa bou­tique, qui ferme ses portes dès ven­dre­di soir, fait tris­te­ment écho à celui vécu par le maga­sin Camaïeu situé juste en face. Par la vitrine, on ne dis­tingue plus qu'un meuble de caisse lais­sé à l’abandon, triste sym­bole de la liqui­da­tion judi­ciaire de la chaîne d'habillement sur­ve­nue en sep­tembre dernier.

L’enseigne de chaus­sures San Marina, qui emploie plus de 600 salarié·es sur l'ensemble du ter­ri­toire fran­çais, est en redres­se­ment judi­ciaire et en attente d’une pro­bable liqui­da­tion ce lun­di devant le tri­bu­nal de com­merce de Marseille. Alors que le groupe est en dif­fi­cul­té finan­cière, l’espoir d’une reprise s’est éloi­gné la semaine der­nière lorsque les deux action­naires ont aban­don­né leur offre, faute de finan­ce­ments suf­fi­sants, selon 20minutes.

Des client·es décu·es et solidaires 
san marina
Magasin San Marina Montparnasse © Camille Pineau 

« Je viens juste d’apprendre que ça va fer­mer défi­ni­ti­ve­ment, je suis dégoû­tée. » Pour Ketty, cliente habi­tuée de la marque, comme pour beau­coup d’autres, la décep­tion est grande. « Je suis fra­gile des pieds et ce sont les seules chaus­sures qui me vont, au niveau qua­li­té et confort il n’y a rien à redire », confie-​t-​elle à Causette en essayant une paire de bottes hautes. Mathilde, éga­le­ment en train d’essayer une paire de chaus­sures dans le même maga­sin, ne cache pas son regret de voir la marque dis­pa­raître. Interrogée par Causette, elle explique avoir appe­lé le maga­sin pour connaître les offres avant de venir. « D'abord Camaïeu et main­te­nant San Marina, je suis triste, c'étaient deux marques que j'aimais bien. »

D'autres client·es, moins atta­chées à l'enseigne, ont flai­ré les bonnes affaires. « Tout est cher, les gens sont en dif­fi­cul­té de par­tout donc j’en pro­fite » explique Nadia, 53 ans, habi­tante d'Arcueil. Les client·es sont aus­si là pour témoi­gner leur sou­tien aux employé·es. « Je me suis dit que je vien­drai en bou­tique pour les prix, mais aus­si en sou­tien aux ven­deurs et ven­deuses, je trouve ça mal­heu­reux cette fer­me­ture », atteste Anne, 40 ans, en lor­gnant sur les paires d'escarpins. De son côté, Ketty note que « ça va faire encore du chô­mage un peu par­tout en France et c’est dom­mage ».

Des sen­ti­ments partagés 

Pour se pro­té­ger des assauts des médias dans un contexte encore incer­tain, les ven­deurs et ven­deuses des bou­tiques ont reçu pour consigne de la part de la direc­tion de ne pas par­ler à la presse. Sur la défen­sive, plu­sieurs salarié·es ont indi­qué clai­re­ment qu’ils et elles ne sou­hai­taient pas s’exprimer. Certain·es ont bien accep­té de livrer leur res­sen­ti à Causette, tout en res­tant sur la réserve : « Dans la vie, les épreuves, il faut les accep­ter et pas­ser à autre chose, lance Marine1, res­pon­sable d'un maga­sin rive gauche. Il y a mon direc­teur qui vient d’arriver, je ne peux pas vous en dire plus. » Entre les nombreux·euses client·es présent·es dans sa bou­tique, Yasmine1, ven­deuse d'un San Marina ins­tal­lé dans un quar­tier tou­ris­tique, confie à Causette qu'« elle est dégoû­tée » . Elle conti­nue : « Ça bou­le­verse inté­rieu­re­ment, je suis triste de par­tir après des années. » C’était son « pre­mier emploi depuis [qu'elle est] arri­vée en France, ça repré­sen­tait quand même beau­coup ». Mais elle « garde espoir jusqu’au bout »

Pour Marine aus­si, c'est la fin d'une époque. « San Marina c’est 15 ans de ma vie, de belles ren­contres humai­ne­ment avec les clients et les équipes », souffle-​t-​elle. Mais il faut « savoir avan­cer ». Pour Damien au contraire, « c’est le sou­la­ge­ment ». Il explique avoir « envie et hâte que ça se ter­mine », et raconte : « Bizarrement, dès que j’ai su que ça allait fer­mer, j'ai su que le com­merce c’était fini pour moi. »

Un ave­nir préparé 
ambiance magasin
© Camille Pineau 

Si la sur­prise a été grande pour les adeptes de la marque, elle l’était beau­coup moins du côté des employé·es de l’enseigne. « On savait que ça allait mal depuis le covid et on était au cou­rant qu’il y avait un redres­se­ment judi­ciaire. On nous avait déjà pré­ve­nus que le maga­sin allait fer­mer en février », raconte Marine. Une infor­ma­tion que détaille Damien : « Ça fait six mois que l’on sait que la bou­tique dans laquelle je tra­vaille va fer­mer. Le maga­sin devait déjà fer­mer ven­dre­di der­nier, mais les syn­di­cats ont réus­si à négo­cier une semaine de plus et on tire­ra défi­ni­ti­ve­ment le rideau ven­dre­di. » En fait, aucun·e employé·e ne s'attendait à ce que ce soient toutes les bou­tiques San Marina qui ferment à la fin de cette semaine. « On savait que la nôtre était concer­née mais ils nous avaient quand même dit que quelques maga­sins res­te­raient ouverts », indique Yasmine. 

Dans ce contexte alar­mant, certain·es avaient déjà com­men­cé à réflé­chir et à pré­pa­rer leur ave­nir. Avec le sou­rire et entre deux clientes, Marine raconte à Causette « avoir déjà d’autres pro­jets ». Elle conti­nue : « J’ai une pas­sion et je veux en faire mon métier. » L’air triste, Yasmine explique qu’elle va « prendre un peu de temps pour [elle] et [se] lan­cer dans une for­ma­tion » : « Je ne veux pas refaire de la vente, aller chez Minelli [enseigne du même groupe, Vivarte, que San Marina dans laquelle les employé·es espèrent pou­voir être reclassé·es] et revivre la même situation. »

Une com­pen­sa­tion financière ? 

Mardi 14 février, la CGT a appe­lé à la grève face au refus de la direc­tion de l'enseigne San Marina d’accorder une prime aux sala­riés à l’image de celle obte­nue par les sala­riés de Camaïeu. Interrogé·es sur cette prime de départ, les employé·es n’ont pas de « vraies » réponses à appor­ter. « C’est flou », disent-​iels. Selon Yasmine, il « devrait y avoir une indem­ni­té ». Elle « espère au mini­mum un mois et demi de salaire ». Mais « attend de voir ce que la CGT va lui pro­po­ser »

Damien assure savoir « qu’on [les employé·es ndlr] aura un main­tien de salaire de 80% pen­dant un an ». En revanche, « concer­nant la prime de salaire, ils ne sont pas très clairs là-​dessus ». En atten­dant la fer­me­ture de leur maga­sin, les employé·es ne lâchent rien mais « n’iront pas faire grève ». Avec l'espoir un jour, comme nous le livre Marine, de revoir leurs client·es et col­lègues « dans une autre vie peut-​être ».

À lire aus­si I « Je ne pense pas à une crise éco­no­mique en Europe dans un ave­nir proche »

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