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« C’est une fois qu’on a par­lé que tout com­mence » : aux ren­contres de la Ciivise, un moment sus­pen­du de cathar­sis col­lec­tive pour les vic­times de vio­lences sexuelles dans l'enfance

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Rencontre de la Ciivise le 27 mars à Bobigny (Seine Saint-Denis). ©DR

Installée en mars 2021, la Commission indé­pen­dante sur l’inceste et les vio­lences sexuelles faites aux enfants a enta­mé depuis plus d’un an un tour de France pour ren­con­trer les vic­times et leur offrir une oreille offi­cielle. Elle était de pas­sage à Bobigny le 27 mars dernier. 

Comme tou­jours, la salle est pleine. Plus de cent per­sonnes se sont ins­crites pour par­ti­ci­per à la 16e réunion publique orga­ni­sée ce 27 mars dans la salle de concert « Canal 93 » de Bobigny (Seine Saint-​Denis), dans le cadre des ren­contres de la Commission indé­pen­dante sur l’inceste et les vio­lences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Organisées une fois par mois dans de grandes villes sur l'ensemble du ter­ri­toire, elles ont ras­sem­blé plus de 1 500 per­sonnes depuis leur lan­ce­ment en octobre 2021. Ce lun­di soir se tient la pre­mière réunion en ban­lieue parisienne. 

La salle est plon­gée dans une semi-​pénombre. Dans l'assistance, des per­sonnes de tout âge, et qua­si­ment autant d’hommes que de femmes. Le silence règne et on sent l’émotion s’installer à mesure que les fau­teuils en velours rouges se rem­plissent. Ces réunions sont des « moments de cathar­sis col­lec­tives », affirme une dame âgée, assise à notre droite. Une paren­thèse de deux heures pen­dant les­quelles, certain·es vont confier pour la pre­mière fois leur his­toire, d’autres seule­ment écou­ter celles des autres. Et puis, il y a les plus nombreux·euses, celles et ceux qui ont cou­ché leur vécu sur une feuille, juste au cas où, mais ne savent pas encore s’ils·elles pren­dront la parole. En face d’eux·elles, sur la scène éclai­rée par plu­sieurs spots, sont assis·es les deux co-président·es de la Ciivise, Nathalie Mathieu, direc­trice géné­rale de l'association Docteurs Bru, qui accueille dans une mai­son spé­cia­li­sée des jeunes vic­times d'inceste et le juge des enfants Édouard Durand ain­si que le secré­taire géné­ral, Benoît Legrand. À leurs côtés ce soir, il y a aus­si l’infatigable Ernestine Ronai, fon­da­trice de l’Observatoire des vio­lences envers les femmes de Seine Saint-​Denis et la pédiatre Caroline Mignot. 

Plus de 23.000 témoignages 

Mise sur orbite par le gou­ver­ne­ment en mars 2021 à la suite du défer­le­ment de témoi­gnages sous le hash­tag #MeTooInceste, la Commission indé­pen­dante a pour mis­sion de for­mu­ler des pro­po­si­tions en vue de l’élaboration de poli­tiques publiques de pré­ven­tion et de lutte contre les vio­lences sexuelles faites aux enfants. Depuis le lan­ce­ment de son appel à témoi­gnage en sep­tembre 2021, la Ciivise indique avoir reçu plus de 23.000 témoi­gnages recueillis sur son site inter­net, par mail, par télé­phone ou encore lors de ces ren­contres publiques. « Dès la pre­mière ren­contre orga­ni­sée à Nantes [en octobre 2021, ndlr], beau­coup de gens se sont levés pour témoi­gner. Cela dit à quel point le besoin d’être enten­du est immense », sou­ligne son co-​président, Édouard Durand, auprès de Causette.

Il rap­pelle que ces réunions publiques ne sont pas des audi­tions. Leur mis­sion est d’offrir une écoute offi­cielle mais aus­si un espace de dia­logue entre les vic­times. Les membres de la Ciivise prennent des notes mais ne posent pas de ques­tions et n’interviennent presque jamais. Stéphanie Chabauty, la bâton­nière de Seine-​Saint-​Denis ain­si que des représentant·es de l’association France Victimes sont éga­le­ment pré­sentes ce lun­di soir pour répondre aux éven­tuelles ques­tions des per­sonnes pré­sentes après la réunion. « La Ciivise a conclu un par­te­na­riat pour les réunions publiques avec l'association France Victimes, indique la Commission auprès de Causette. Des repré­sen­tants locaux sont là pen­dant les réunions publiques pour prendre en charge les per­sonnes qui se sen­ti­raient mal ain­si que pour assu­rer un sui­vi juri­dique ou psy­cho­lo­gique auprès de celles et ceux qui n'en auraient pas. »

« Ce sont des mil­liers d’histoires sin­gu­lières mais dont la somme devient une parole poli­tique glo­bale. »

Edouard Durand, co-​président de la Ciivise

« Vos témoi­gnages sont extrê­me­ment impor­tants car ils nous aident à construire nos recom­man­da­tions, déclare Édouard Durand en pré­am­bule de la réunion. Ce sont des mil­liers d’histoires sin­gu­lières mais dont la somme devient une parole poli­tique glo­bale. » C'est par exemple à par­tir de ces témoi­gnages qu’il y a un an, la Ciivise publiait ses conclu­sions inter­mé­diaires pour lut­ter contre les vio­lences sexuelles faites aux enfants. En sep­tembre der­nier, elle publiait éga­le­ment un rap­port sur les consé­quences à l’âge adulte des vio­lences sexuelles subies dans l’enfance. Des consé­quences lourdes sur la san­té men­tale et phy­sique, la sco­la­ri­té, la vie fami­liale, sociale ou encore pro­fes­sion­nelle, mises en lumière par la dizaine de témoi­gnages enten­dus ce lun­di soir à Bobigny. 

Lire aus­si I Inceste : la CIIVISE émet ses pre­mières pré­co­ni­sa­tions pour lut­ter contre les vio­lences sexuelles faites aux enfants

19 heures. Le micro com­mence à cir­cu­ler dans les gra­dins. C’est une jeune femme qui ouvre le bal. Elsa* a vingt ans et de longs che­veux bruns qui lui coulent dans le dos. Elle se tient bien droite face aux membres de la Ciivise et serre fort sa feuille où elle a grif­fon­né ce qu’elle sou­haite racon­ter. Elsa a été vio­lée à l’âge de quatre ans par le mari de sa nour­rice. Elle avait déjà assis­té à la deuxième réunion pari­sienne en sep­tembre der­nier mais n’avait pas sou­hai­té prendre la parole. La jeune femme raconte les béné­fices que peuvent appor­ter ces réunions publiques aux vic­times et à leurs proches. « Je souf­frais de pro­blèmes de som­meil récur­rents, débite-​elle d’une voix très émue. Je n’avais pas sou­hai­té m’exprimer en sep­tembre mais après avoir enten­du des témoi­gnages sem­blables au mien, j’ai pu faire une vraie nuit de som­meil, ce que je n’avais pas fait depuis bien longtemps. »

« J’aimerais savoir si des gens ici ont pu avoir des enfants ? C’est une ques­tion vrai­ment impor­tante pour moi. Je vou­drais des enfants mais ça me terrorise. » 

Elsa, témoin vic­time de vio­lences sexuelles dans l'enfance

Elsa explique avoir por­té plainte contre son vio­leur en août 2021. « Il ne s’est rien pas­sé depuis », déplore-​t-​elle. D’après la Commission, actuel­le­ment, 72 % des plaintes sont clas­sées sans suite et seuls 1 % des auteurs d’inceste sont sanc­tion­nés péna­le­ment. Elsa conclut son témoi­gnage par une ques­tion adres­sée à l’auditoire : « J’aimerais savoir si des gens ici ont pu avoir des enfants ? C’est une ques­tion vrai­ment impor­tante pour moi. Je vou­drais des enfants mais ça me terrorise. » 

Porter plainte 

Après de longs applau­dis­se­ments, le micro est repris par Laurent, 56 ans, assis quelques sièges plus haut. Preuve que ces réunions ont voca­tion à enga­ger un dia­logue entre les vic­times, il tient à répondre à l’inquiétude d’Elsa. « Oui, on peut avoir vécu des vio­lences sexuelles et être père, aimer son enfant et le pro­té­ger », dit-​il d’une voix douce et ras­su­rante. Peu de temps après sa pre­mière par­ti­ci­pa­tion à une réunion de la Ciivise, Laurent a por­té plainte contre son frère qu’il l’a vio­lé alors qu’il avait neuf ans. « Les faits sont pres­crits mais dépo­ser plainte m’a libé­ré de mon his­toire, raconte-​t-​il. Je me sens abî­mé mais j’ai aus­si la sen­sa­tion de recom­men­cer ma vie. C’est impor­tant de le dire, de mon­trer que des vic­times s’en sortent. » Comme Elsa, Laurent ter­mine son récit par des mots forts, adres­sés aux autres vic­times pré­sentes dans la salle : « Ça va le faire, on va gagner ». Ils sont accueillis par une salve d’applaudissements et plu­sieurs « Bravo ! » fusent dans l’assistance. 

Les ren­contres de la Ciivise font aus­si évo­luer les par­cours des vic­times en leur don­nant par­fois l’élan qu’il leur fal­lait pour pas­ser la porte d’un com­mis­sa­riat. Alex, 23 ans, assiste à sa troi­sième ren­contre. « Bon, à chaque fois je me dis que je ne vais pas par­ler mais quand j’entends les autres, je me dis que ça fait tou­jours du bien de s’exprimer », explique-​t-​il en riant. Le jeune homme retrace rapi­de­ment son his­toire : celle d’un petit gar­çon agres­sé sexuel­le­ment par un oncle. « Quand je suis venu pour la pre­mière fois il y a un an, j’étais très en colère. Là, ça va beau­coup mieux », détaille-​t-​il. Alex explique réflé­chir de plus en plus à por­ter plainte car il « com­mence à en com­prendre l’importance ». Édouard Durand prend la parole après l’intervention d’Alex pour l’informer que la bâton­nière des avocat·es de Seine Saint-​Denis est pré­sente dans la salle s’il sou­haite en par­ler avec elle après la réunion. Il nous dira à la fin avoir l’impression d’être écou­té par la Ciivise mais vou­loir « attendre de voir ce que don­ne­ront les conclu­sions finales » de l'instance pour don­ner son avis. Elles sont atten­dues pour novembre 2023. 

« Ça m’a pété à la gueule il y a un an, quand tout a resur­gi, après le can­cer du sein de ma com­pagne, quand, tota­le­ment ébran­lée par cette expé­rience, lors d'un entre­tien avec une psy­cho­logue de l'institut Curie, dans le cadre de l'accompagnement aux patients et à leur proches, j'ai par­lé »

Isabelle, témoin et victime 

C’est au tour d’Isabelle de prendre la parole. Elle a croi­sé une col­lègue de tra­vail dans la salle, s'étonne-t-elle. « Comme quoi, ça touche vrai­ment beau­coup de monde. » La quin­qua­gé­naire explique avoir été vio­lée à quatre ans et demi par la fille de sa nour­rice, à neuf ans par le fils d'ami·es de ses parents puis agres­sée sexuel­le­ment à douze ans par un incon­nu dans un train. « Ça m’a pété à la gueule il y a un an, quand tout a resur­gi, après le can­cer du sein de ma com­pagne, quand, tota­le­ment ébran­lée par cette expé­rience, lors d'un entre­tien avec une psy­cho­logue de l'institut Curie, dans le cadre de l'accompagnement aux patients et à leur proches, j'ai par­lé », retrace Isabelle. Peu de temps après, elle a déci­dé, seule, de se rendre à une pre­mière ren­contre de la Ciivise à Paris en mai der­nier. « Après 1h30, je me suis effon­drée, et j'ai été rat­tra­pée dans le cou­loir par une psy­cho­logue de asso­cia­tion Paris aide aux vic­times qui m'a apai­sée, et m'a orien­tée vers La mai­son des femmes de Bichat, explique-​t-​elle. La parole se libère mais elle tue quand elle n’est pas accom­pa­gnée car c’est une fois qu’on a par­lé que tout com­mence. » Après sa pre­mière réunion, à Paris en mai der­nier, Isabelle confie avoir « eu envie d’en finir »

« C’est com­pli­qué d’être une vic­time en France »

Une souf­france éga­le­ment consta­tée par la Ciivise, dont le rap­port publié en sep­tembre fai­sait état d’un taux de 89 % de com­por­te­ments à risque, des ten­ta­tives de sui­cide notam­ment. « J’ai eu la chance d’être accom­pa­gnée par un excellent psy­cho­logue for­mé en psy­cho­trau­ma mais c’est un prix », soutient-​elle. Comme l’atteste Isabelle, l’accompagnement psy­cho­lo­gique a un coût pas for­cé­ment acces­sible à toutes les vic­times de vio­lences sexuelles. S’ajoutent aus­si les frais de jus­tice. C'est donc une double peine pour les vic­times de vio­lences sexuelles. « C’est par­fois com­pli­qué de payer les rendez-​vous chez ma psy­cho­logue et les frais de mon avo­cate, expli­quait ain­si Elsa, la pre­mière à avoir par­lé. En fait, c’est com­pli­qué d’être une vic­time en France. » Sur la scène devant l’auditoire, les membres de la Ciivise prennent régu­liè­re­ment des notes. Dans ses conclu­sions inter­mé­diaires ren­dues en mars 2022, la Commission sou­li­gnait qu’une « exi­gence de répa­ra­tion est néces­saire » en insis­tant sur deux néces­si­tés : garan­tir la mise en place de soins spé­cia­li­sés en psy­cho­trau­ma et l’indemnisation des victimes.

« Mes parents ont tout mis sous le tapis. Pour eux, ce n’était pas grave, ce n’était rien » 

Luciee, 22 ans, abu­sée par un cousin. 

À chaque fois que le micro est ren­du, plu­sieurs mains se lèvent aus­si­tôt pour prendre la parole. Assise au pre­mier rang, Lucie*, 22 ans, tient d’abord à remer­cier la Ciivise d’entendre les vic­times. Une écoute néces­saire pour celle qui s’est confron­tée au silence fami­lial lorsqu’elle leur a avoué plus jeune avoir été abu­sée par un cou­sin, entre ses dix et douze ans. « Mes parents ont tout mis sous le tapis. Pour eux, ce n’était pas grave, ce n’était rien. J’ai même dû conti­nuer à dor­mir dans la même chambre que lui lorsqu’on par­tait en vacances », raconte-​t-​elle. Son récit est régu­liè­re­ment entre­cou­pé de san­glots. Elle s’excuse d’ailleurs à plu­sieurs reprises de devoir l’interrompre pour reprendre son souffle. 

L'histoire de Lucie illustre comme tant d'autres les lourdes consé­quences que peuvent cau­ser les vio­lences sexuelles sur l’existence. Elle raconte « se sen­tir très seule » et « ne plus avoir de vie ». Elle n’a jamais pu tra­vailler plus de trois ans dans la même entre­prise, tout comme elle n’a jamais pu par­don­ner à ses parents. Elle ne les voit plus depuis des années. D’un coup, la jeune femme s’arrête, sub­mer­gée par l’émotion. « Je vais m’arrêter là, c’est trop dou­lou­reux », souffle-​t-​elle. Devant sa fra­gi­li­té, Édouard Durand prend la parole. « On pour­ra se ren­con­trer à nou­veau après la réunion avec l’association France vic­time pour que vous puis­siez conti­nuer votre récit si vous le sou­hai­tez », lui-​dit-​il.

Lire aus­si I Rapport Ciivise : 16 414 témoi­gnages racontent la souf­france conti­nue des vic­times de vio­lence sexuelle dans l'enfance

« Ma mère vou­lait venir mais elle n’en a pas eu la force », enchaîne Karl*. Le jeune homme de 31 ans raconte que sa mère a subi de mul­tiples viols dans son enfance par son beau-​père et qu’elle n’a jamais por­té plainte. Il a appris ces viols à l’âge de 12 ans. « Après ça, je suis tom­bé dans la bou­li­mie, souligne-​t-​il. La vie de ma mère est fou­tue mais c’est toute notre famille qui est détruite. Les vio­lences sexuelles touchent tout le monde. » Comme à chaque fois, son témoi­gnage est applaudi. 

Les vio­lences sexuelles phy­siques ne sont pas les seules évo­quées ce lun­di soir à Bobigny. Sophie, 50 ans, a gran­di dans un cli­mat inces­tuel. Elle n’a pas été vic­time d’agression sexuelle phy­sique mais raconte d’un débit rapide « les par­touzes qui se dérou­laient dans la chambre voi­sine », la nudi­té impo­sée et les blagues dou­teuses à chaque repas. « Ça n’arrêtait jamais », explique-​t-​elle. Elle dénonce ensuite le manque de recon­nais­sance de ces vic­times en deman­dant « que l’incestuel soit recon­nu comme une vio­lence sexuelle ». Édouard Durand prend de nou­veau la parole après l’intervention de Sophie. Il pré­cise que la ques­tion de l’incestuel figu­re­ra dans le rap­port final au même titre que les vio­lences sexuelles. 

« On ne nous auto­rise pas à pro­té­ger nos enfants. »

Anita*, mère d'une petite fille de cinq ans vic­time d'inceste par son père. 

Le rap­port de la Ciivise a éga­le­ment mis en lumière la souf­france des mères dont les témoi­gnages affluent depuis la créa­tion de la Ciivise. À l’image d’Anita* qui vient aux ren­contres de la Ciivise pour la pre­mière fois. « C’est bête, j’ai tou­jours peur de la dif­fa­ma­tion alors que je ne connais per­sonne ici », dit-​elle d’une voix presque inau­dible. Elle explique avoir été vic­time de vio­lences conju­gales par le père de sa fille dont elle est sépa­rée depuis trois ans. Sa fille de 5 ans lui a ensuite confié avoir été vic­time d'abus de la part du fils de la com­pagne de son père. Anita égrène ensuite la longue liste des actes de pro­cé­dure qu'elle a enta­més pour pro­té­ger son enfant. Malgré ses mul­tiples démarches, sa fille conti­nue à se rendre au domi­cile de son père la moi­tié des vacances sco­laires. « Devoir l’attacher de force dans la voi­ture de son père et l’entendre se débattre est insou­te­nable. On ne nous auto­rise pas à pro­té­ger nos enfants », condamne-​t-​elle.

La mère attend actuel­le­ment une place dans un centre médico-​psychologique pour sa fille mais la liste est longue. « Une pre­mière psy m’avait dit : “ Ne lui en par­lez plus jamais”, j’avais trou­vé ça ahu­ris­sant, affirme-​t-​elle dans un san­glot. Notre socié­té veut que ce soient des enfants comme les autres mais ce sont des enfants qui souffrent. Il ne suf­fit pas de les entendre, ils ont besoin d’être pro­té­gés et de béné­fi­cier d’une atten­tion par­ti­cu­lière. » 

Lire aus­si I Inceste : la Commission indé­pen­dante tor­pille le "syn­drome d'aliénation parentale"

Dans le public, elles sont plu­sieurs à témoi­gner, comme Anita, de l’implacable engre­nage judi­ciaire enclen­ché dès qu’elles ont ten­té de faire entendre auprès de la jus­tice les accu­sa­tions de leurs enfants. Certaines racontent avoir été accu­sées par la jus­tice et les ser­vices de pro­tec­tion de l’enfance d’être des mères « alié­nantes ». L'une d'elles explique même avoir per­du la garde de ses trois enfants, placé·es alors au domi­cile de leur père mis en cause. 

Afin de garan­tir une meilleure pro­tec­tion des enfants vic­times, mais éga­le­ment des mères, la Ciivise pré­co­ni­sait, dans ses conclu­sions inter­mé­diaires ren­dues en mars 2022, de pré­voir dans la loi la sus­pen­sion de plein droit de l’exercice de l’autorité paren­tale et des droits de visite et d’hébergement du parent pour­sui­vi pour viol ou agres­sion sexuelle inces­tueuse contre son enfant. Mais éga­le­ment, d'inscrire le retrait sys­té­ma­tique de l'autorité paren­tale en cas de condam­na­tion. La pre­mière brique d’un vaste chan­tier a été posée récem­ment : après une adop­tion par l’Assemblée natio­nale en février, le Sénat a adop­té en pre­mière lec­ture, le 21 mars der­nier, le texte dépo­sé par la dépu­tée socia­liste (PS) Isabelle Santiago qui pré­voit le retrait de l’autorité paren­tale en cas d’inceste.

« Et après ? » 

Dans la salle de spec­tacle de Bobigny, alors qu’un homme conclut son témoi­gnage, une femme âgée glisse sou­dai­ne­ment à sa voi­sine, « Allez, cette fois, je parle ! ». Elle n’en aura pas le temps, il est 21 heures pas­sé et Édouard Durand sonne la fin de la réunion. « Merci pour votre confiance, vos témoi­gnages ont été reçus et pris en consi­dé­ra­tion », déclare-​t-​il. « Et après ? », crie une femme. La co-​présidente Nathalie Mathieu répond être actuel­le­ment en train de réflé­chir à une suite, expli­quant qu’il « est impos­sible de bais­ser le rideau en 2023 ». Le public acquiesce. 

Les lumières se ral­lument, les gens se lèvent mais presque per­sonne ne part. Les échanges se pour­suivent devant l’estrade, dans le hall, jusque sur le par­king. De nom­breuses per­sonnes pleurent et se prennent dans les bras. Une jeune femme confie à un petit groupe avoir envie de por­ter plainte contre son agres­seur après avoir enten­du les témoi­gnages. Les membres de la Ciivise sont pris d’assaut par des participant·es qui n’ont pas eu le temps de s’exprimer. À côté de nous, Benoît Legrand, le secré­taire géné­ral de la Ciivise, explique dou­ce­ment à une femme désem­pa­rée que la com­mis­sion n’a pas voca­tion à inter­ve­nir per­son­nel­le­ment dans une situa­tion. C’est peut-​être ça, le plus dif­fi­cile, entendre les souf­frances des vic­times mais aus­si leur frustration. 

La Ciivise pour­suit son tour de France. La pro­chaine réunion aura lieu le 13 avril pro­chain à Rennes. À l’image de celle de Bobigny, elle risque bien d’être com­plète elle-​aussi. Pour rap­pel, en France, une per­sonne sur dix aurait été vic­time d'inceste.

Pour s'inscrire à la pro­chaine réunion publique de la Ciivise, c'est par ici.

*Les pré­noms ont été modifiés

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