« Espèce de Bisounours, va ! » Quiconque ose défendre l’idée d’une société solidaire et égalitaire est aujourd’hui renvoyé dans les cordes de la bien-pensance. Trop moralistes, pas assez réalistes : les « bien-pensant·es » seraient non seulement à côté de la plaque, mais ils et elles feraient aussi régner la terreur du « politiquement correct ». Vraiment ? Les supposés « Bisounours » avec leurs idéaux humanistes et leurs prétentions inclusives ont-ils réellement gagné la bataille des idées ? Et d’ailleurs, depuis quand serait-il honteux, voire carrément condamnable, d’être progressiste ?
Pas un jour, ou presque, sans qu’elle ne fasse parler d’elle. Le 3 janvier, c’était au micro d’Europe 1, dans la chronique de Nicolas Beytout, fondateur du journal L’Opinion, à propos de l’affaire Matzneff. « L’impunité absolue dont [cet écrivain] a si longtemps bénéficié, affirme l’éditorialiste, est l’une des manifestations de la dictature de la bien-pensance » – celle du milieu littéraire qui, selon Beytout, a permis au triste sire de jouir d’une certaine renommée. Le 8 janvier, la voilà de retour sur France Inter, cette fois dans la bouche d’une libraire, qui s’étonne que Gallimard ait décidé de se plier « à l’autorité de la bien-pensance du moment » – celle du public, ici – en retirant les bouquins dudit Matzneff des rayons. Au même moment, Charlie Hebdo sortait un numéro spécial « Cinq ans après », consacré aux « Nouvelles censures… nouvelles dictatures ». Celles de la bien-pensance, toujours, contre laquelle Riss, le directeur de la rédaction, est passablement remonté. « Aujourd’hui, le politiquement correct nous impose des orthographes genrées, nous déconseille d’employer des mots supposés dérangeants, nous demande de ne plus manger ceci ou de ne plus fumer cela », dénonce-t-il. Trop, c’est trop ! Et ce n’est pas le président du conseil départemental de Saône-et-Loire, André Accary (Les Républicains), qui dira le contraire. Mi-décembre 2019, ce dernier refusait d’instaurer un menu végétarien hebdo-madaire dans les cantines des collèges. Motif : « Il y en a marre de la bien-pensance ! » C’est peu dire que les coups viennent de tous les côtés.
Il faut dire qu’elle a bon dos, la bien-pensance. Et puis elle a le mérite de se cuisiner à toutes les sauces. Comme une sorte de point Godwin qu’on balance à son adversaire – car le bien-pensant, c’est toujours l’autre – pour mieux le discréditer. Au départ, pourtant, l’expression se voulait plutôt sympathique : repéré pour la première fois en 1798, le terme « bien-pensant » désignait[…]