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Bonnes feuilles l « Au mépris du corps des femmes. Le scan­dale des implants Essure »

Les jour­na­listes Delphine Bauer et Jacqueline Maurette viennent de faire paraître aux édi­tions de l'Atelier le livre-​enquête Au mépris du corps des femmes. Le scan­dale des implants Essure. Causette en publie en exclu­si­vi­té les bonnes feuilles.

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La semaine der­nière, le média d'investigation Splann ! révé­lait que l'Agence natio­nale de sécu­ri­té du médi­ca­ment (ANSM) était en pos­ses­sion depuis 2017 d'une étude indé­pen­dante qui mon­trait un risque de cor­ro­sion des implants Essure mais qu'elle n'avait jamais ren­due publique. Quelques jours aupa­ra­vant, les jour­na­listes Delphine Bauer et Jacqueline Maurette fai­saient paraître aux édi­tions de l'Atelier Au mépris du corps des femmes. Le scan­dale des implants Essure, un livre-​enquête fouillé sur les graves effets secon­daires de ces dis­po­si­tifs médi­caux de sté­ri­li­sa­tion des femmes. En fil rouge : le pré­cieux témoi­gnage d'Anne-Cécile Groléas, qui a choi­si à 41 ans en 2013 la méthode de contra­cep­tion défi­ni­tive Essure.

Vendus par le géant phar­ma­ceu­tique Bayer jusqu'en août 2017 en France, les impants Essure sont des res­sors com­po­sés d'un alliage de titane et de nickel pla­cés dans les trompes de Falope pour obs­truer le pas­sage de l'ovule dans l'utérus lors de l'ovulation. Entre 2002 et 2017, ils ont été pla­cés sur 200 000 femmes en France. 30 000 – soit 15% des patientes ! – se les sont faits reti­rer après l'émergence de dou­leurs et de symp­tômes très variés dans la fou­lée de l'impantation.

Si Bayer a tou­jours nié avoir reti­ré son dis­po­si­tif médi­cal du mar­ché en rai­son des accu­sa­tions de femmes fai­sant le lien entre une sou­daine dégra­da­tion de leur état de san­té et Essure, les enquêtes jour­na­lis­tiques (dont celle de Causette en 2016) le poin­tant sont nom­breuses. Au mépris du corps des femmes. Le scan­dale des implants Essure, dont nous publions aujourd'hui le pre­mier cha­pitre, est la der­nière pierre de cet édi­fice d'investigation.

Bonnes feuilles

Avant-​propos

La contra­cep­tion, le droit de dis­po­ser libre­ment de son corps, le droit à une sexua­li­té sans entrave et heu­reuse devraient être des acquis indis­cu­tables. Et doivent les res­ter. Aucun scan­dale ne doit être pré­texte à les remettre en ques­tion. Notre pro­pos dans cette enquête n’est donc pas de ques­tion­ner la néces­si­té d’une contra­cep­tion, si on en sou­haite une, mais de l’obtenir dans les meilleures condi­tions pos­sibles et avec les pro­duits les plus sûrs. Les femmes ne sont pas un mar­ché, elles sont des citoyennes, des patientes, qui méritent d’être entendues.

Lire aus­si l Stérilisation : une étude, non publiée par l'agence sani­taire, avait aler­té sur les dan­gers des implants Essure

Chapitre 1 « Du miracle à l'enfer »

22 octobre 2013.

Liberté. Dans cet espace-​temps de l'hôpital, je m'offrais enfin la liber­té de vivre. J'avais mis du temps à réflé­chir, à choi­sir. Mais à 41 ans, après quatre enfants, je fai­sais le choix défi­ni­tif de ne plus en avoir. Tout à l'heure je ren­tre­rai chez moi et je repren­drai le cours de ma vie. Aussi simple que ça. Aujourd'hui, je suis à l'hôpital et demain ou après-​demain, je travaille.

La gyné­co m'a dit : « Ce n'est pas com­pli­qué, pas besoin d'anesthésie, vous serez allon­gée comme pour un accou­che­ment, je pose­rai les implants, des Essure. C'est une nou­velle tech­nique. » Dans quelques heures, je pour­rai ren­trer chez moi. En atten­dant, je me sou­viens des gros­sesses, des accou­che­ments. Des fausses couches, aus­si. Toute ma vie de femme défile dans mes sou­ve­nirs. Je me rap­pelle cette ques­tion qui reve­nait chaque fois que j'attendais mes règles. Et si j'étais enceinte ? Je pense à mes enfants, à mon mari. À notre choix de couple d'une contra­cep­tion défi­ni­tive. Pilules, sté­ri­lets, implants sous-​cutanés sous le bras. Rien ne m'allait. Je pleure un peu.

Pour me ras­su­rer, je pense aux vacances, à notre été. Je vais pou­voir faire l'amour, sans rete­nue, sans aucune crainte, sans idée autre qu'aimer, m'aimer, l'aimer. Dans cet hôpi­tal, je sais que je vais fer­mer une porte. Il n'y aura plus d'enfant dans ce ventre. Je ne ferai plus d'enfant avec l'homme que j'aime. Nous ferons l'amour.

J'ai enfin ren­con­tré une gyné­co­logue qui a écou­té ma demande.

Je vais bien me détendre, comme on m'a dit. Allongée, les pieds dans les étriers, à moi­tié dévê­tue, je peux tout voir et entendre. Je suis deve­nue une per­sonne lamb­da dans un uni­vers de blouses, de char­lottes, de bottes. Je recon­nais ma gyné­co­logue à ses into­na­tions. Directe, simple, effi­cace. Technique.

Je me concentre sur mes sen­sa­tions. Mes émo­tions, je les fais taire. « Ne pleure pas, ni de joie, ni de tris­tesse. Sinon ils vont croire que tu regrettes. »

« Voilà, c'est fait. Très facile avec vous ! Des dou­leurs ? Non ? On vous monte. Reposez-​vous et tout à l'heure vous ren­trez chez vous. On se revoit dans trois mois pour le contrôle. »

*

Pour Anne-​Cécile Groléas, femme active ins­tal­lée à Vénissieux dans la proche ban­lieue lyon­naise, mère de famille de 41 ans à l'époque, la pose de ces implants devait son­ner comme la liber­té de dis­po­ser de son corps comme elle l'entendait. Après les bon­heurs de la mater­ni­té, obs­cur­cis par les fausses couches, elle avait déci­dé de refer­mer ce cha­pitre de son his­toire per­son­nelle, avec l'espérance d'en ouvrir un second. La chute n'en sera que plus rude. Loin du pro­duit miracle ven­du par le labo­ra­toire Bayer HealthCare, qui com­mer­cia­li­sait les Essure, ce sera pour elle le début d'un long cauchemar.

En guise d'information pré­im­plan­ta­toire, Anne-​Cécile a reçu la bro­chure de papier gla­cé de Conceptus, la start-​up qui a mis au point le pro­cé­dé avant de le vendre à Bayer HealthCare. Sur ce fas­ci­cule ras­su­rant, une pro­messe de sim­pli­ci­té. « Essure est une pro­cé­dure non chi­rur­gi­cale de dix minutes qui peut être effec­tuée dans le cabi­net du méde­cin, la plu­part des femmes se réta­blis­sant dans un délai d'un ou deux jours. Les femmes quittent géné­ra­le­ment le centre médi­cal envi­ron quarante-​cinq minutes après l'intervention. » Voilà ce qu'a lu Anne-​Cécile, apai­sée, sûre de son choix. Elle était venue avec une indi­ca­tion de liga­ture des trompes, mais puisque c'est ce qui se fait main­te­nant, pour­quoi refu­ser le progrès ?

La méthode se veut révo­lu­tion­naire. Loin du carac­tère inva­sif de la liga­ture des trompes, tra­di­tion­nel­le­ment réa­li­sée, les Essure pro­posent une approche « douce » de la contra­cep­tion défi­ni­tive, par simple hys­té­ro­sco­pie1. La science est fas­ci­nante. Comment ima­gi­ner que ce sont deux minus­cules spi­rales de 40 mm de long sur 0,8 mm de dia­mètre, com­po­sées d'un alliage de nickel et de titane, et d'un enrou­le­ment interne recou­vert de fibres de poly­éthy­lène téréph­ta­late (PET), mises en place à l'entrée des deux trompes uté­rines, qui rendent la sté­ri­li­sa­tion possible ?

Le sys­tème est astu­cieux, car une fois ins­tal­lés, les res­sorts se déploient pour atteindre 2 mm de dia­mètre. Épousant la paroi interne des trompes, ils s'y ancrent, empê­chant défi­ni­ti­ve­ment les sper­ma­to­zoïdes d'atteindre l'ovule. Les dis­po­si­tifs créent juste une « petite » fibrose à l'entrée des trompes de Fallope (ou trompes uté­rines). En quelque sorte, un obs­tacle pour que les sper­ma­to­zoïdes ne viennent pas fécon­der un ovule. Après trois mois où une contra­cep­tion reste néces­saire, il faut faire un contrôle afin de véri­fier que tout est en place et que les trompes sont bien bouchées.

Sans anes­thé­sie : c'est le corps qui fait les choses. Ça avait l'air si simple. Ça avait même l'air natu­rel. Tellement simple et natu­rel qu'il en sera posé, comme à Anne-​Cécile, sur quelque 200 000 femmes en France entre 2002 et 2017. Les méde­cins s'emballent pour la méthode. Remboursées par l'assurance mala­die à par­tir de 2005, les poses d'Essure devancent, jusqu'en 2016, les méthodes plus clas­siques de liga­ture, réa­li­sées prin­ci­pa­le­ment avec des clips (qui agissent en blo­quant l'alimentation san­guine d'une petite sec­tion des trompes, les tis­sus cica­tri­ciels ou fibreux empê­chant ensuite la fécon­da­tion de se produire).

Mais, branle-​bas de com­bat dans le petit monde des labo­ra­toires, le lun­di 18 sep­tembre 2017, le groupe Bayer annonce qu'il ne rede­man­de­ra pas son agré­ment euro­péen, néces­saire à la mise sur le mar­ché d'un pro­duit. La mul­ti­na­tio­nale invoque un déclin des ventes. « Une déci­sion qui n'est pas liée à des pro­blèmes de sécu­ri­té ou de qua­li­té du pro­duit », pré­cise la firme dans son communiqué.

Comment l'un des plus puis­sants groupes agro-​pharmaceutiques mon­diaux peut-​il arrê­ter aus­si bru­ta­le­ment un dis­po­si­tif encore très popu­laire jusqu'à l'année pré­cé­dente ? Que s'est-il pas­sé pour qu'il décide de le reti­rer du marché ?

Sous cou­vert d'être ras­su­rant, le com­mu­ni­qué de presse de Bayer ne fait que tra­duire les inquié­tudes expri­mées, depuis plu­sieurs mois, par de petites voix dis­so­nantes, celles de femmes implan­tées, qui com­mencent à se faire entendre. Victimes d'un mal incon­nu, elles seraient en grande souf­france… et leurs dou­leurs auraient com­men­cé après la pose de leurs implants Essure.

Les pre­mières inquiétudes

En 2015, au moment de la double cam­pagne pour les muni­ci­pales et les dépar­te­men­tales à Vénissieux (le scru­tin muni­ci­pal ayant été annu­lé en 2014 pour cause de pré­sence d'une liste d'extrême droite qui n'aurait pas dû concou­rir), Anne-​Cécile est élue sur une liste trans­par­ti­sane sou­te­nue par le par­ti socia­liste. Elle vit un moment très intense. En plus de son man­dat, cette petite femme aux che­veux blonds cou­pés court et à l'énergie débor­dante est à la tête d'une TPE de sty­lisme, donne des cours de cou­ture, s'occupe de quatre enfants à la mai­son. Voilà bien des rai­sons d'être les­si­vée. Mais cette fatigue-​là, celle qu'elle res­sent depuis quelques mois, est tout à fait inha­bi­tuelle. « Je repé­rais les murs pour m'appuyer lorsque je dis­tri­buais les tracts », confie-​t-​elle, alors à bout de forces. Un signal qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Mais comme beau­coup de femmes actives, elle met son épui­se­ment sur le compte d'une vie « sim­ple­ment » trop rem­plie. Et conti­nue à pour­suivre au même rythme.

Un mois de vacances passe, elle se sent aus­si fati­guée que si elle n'était pas par­tie. Il y a aus­si ces dou­leurs arti­cu­laires. Elle passe une pre­mière IRM qui éloigne le diag­nos­tic de bur­site2. Son état de san­té s'aggrave : elle subit des four­mille­ments, des réveils en pleine nuit avec une insup­por­table sen­sa­tion de coup de poi­gnard au côté. Et ce haras­se­ment qui conti­nue à l'entourer d'une chape de plomb, qui rend chaque mou­ve­ment dif­fi­cile, chaque réveil presque insur­mon­table le matin. Pourquoi ? Pourquoi ces otites sou­daines, qui l'envoient une bonne dizaine de fois vers son ORL, qui finit par la mettre sous anti­bio­tiques ? Et ces dou­leurs mus­cu­los­que­let­tiques récal­ci­trantes ? Pourtant, il n'y a rien à l'IRM, pas de bur­site. Rien de rien. Que faut-​il faire ? Chercher un autre rhu­ma­to­logue, un ostéopathe ?

Son géné­ra­liste fait office de rond-​point : les infor­ma­tions lui par­viennent de toutes parts, mais le diag­nos­tic n'apparaît tou­jours pas. Anne-​Cécile, elle, conti­nue de souf­frir en silence, sans en com­prendre les raisons.

À quelques kilo­mètres de là, Françoise Vanmuysen, méde­cin lyon­naise, ne pense pas non plus à éta­blir un lien entre son état qui s'est dégra­dé et les implants Essure. Cette der­nière a opté pour cette méthode de contra­cep­tion défi­ni­tive, en toute confiance. Les implants sont pla­cés en 2011. Cette chi­rur­gienne de la main, car­té­sienne, scien­ti­fique, spor­tive de bon niveau, qui pra­tique assi­dû­ment l'équitation et la nata­tion, devra néan­moins arrê­ter d'opérer trois ans plus tard.

Tout a com­men­cé très vite après l'implantation, par une chute de che­veux mas­sive. Françoise Vanmuysen se met ensuite à souf­frir de troubles de l'humeur, de la vue, du som­meil. Les rela­tions sexuelles deviennent dou­lou­reuses et les hémor­ra­gies de plus en plus graves. « Je me revois en pleine salle d'opération, le bis­tou­ri à la main, enten­dant l'infirmière de bloc me faire remar­quer que je me vidais de mon sang », se rappelle-​t-​elle3. Fin 2014, les hémor­ra­gies et les dou­leurs arti­cu­laires qui n'ont ces­sé d'empirer sont telles qu'elle est contrainte d'arrêter la chi­rur­gie. Et doit alors orien­ter son acti­vi­té vers la psychotraumatologie.

Et même lorsque, en 2016, on lui diag­nos­tique une adé­no­myose – une migra­tion des cel­lules des muqueuses de la paroi uté­rine vers le muscle uté­rin – elle ne fait tou­jours pas le lien. Comme Anne-​Cécile au début, elle refuse d'envisager l'hypothèse d'une rela­tion entre sa san­té qui ne cesse de se dégra­der et les Essure. « En tant que méde­cin, je suis très péné­trée du ser­ment d'Hippocrate "Primum non nocere'' [En pre­mier, ne pas nuire] », explique-​t-​elle. Elle n'envisage pas que ce dis­po­si­tif puisse nuire à la san­té des femmes : il est cen­sé être leur allié.

C'est en décou­vrant avec effa­re­ment, aux côtés de son com­pa­gnon, l'enquête « Implant Files » dif­fu­sée à la télé­vi­sion sur France 2 en novembre 2018, qu'elle fera le lien entre sa san­té dégra­dée et la pose, sept ans plus tôt, des Essure. Cette enquête explo­sive, coor­don­née par le Consortium inter­na­tio­nal des jour­na­listes d'investigation (ICIJ), une asso­cia­tion de 250 jour­na­listes issus de 59 médias inter­na­tio­naux, révèle com­bien les dis­po­si­tifs médi­caux implan­tables dans le corps par un acte chi­rur­gi­cal béné­fi­cient d'un manque de rigueur des ins­tances de cer­ti­fi­ca­tion pour être mis sur le mar­ché. Parmi eux, on retrouve le dis­po­si­tif Essure.

Commencer à faire le lien

Mais une femme, elle, a déjà fait le lien. Et d'un coup, tout s'est éclai­ré. Elle s'appelle Marielle Klein. Elle a alors 39 ans. En sep­tembre 2011, cette mère de famille mosel­lane de Spicheren, près de Forbach, reçoit les implants Essure. Comme Anne-​Cécile Groléas, Françoise et les autres, la déci­sion de ne plus avoir d'enfant a été son moteur, et la sim­pli­ci­té de la méthode l'a convain­cue d'avoir recours aux Essure plu­tôt qu'à une liga­ture des trompes.

Dès 2013, alors qu'elle ne voyait presque jamais de méde­cin, Marielle Klein accu­mule, outre une immense fatigue, des sou­cis de san­té : sinu­site, throm­bose hémor­roï­daire, pal­pi­ta­tions, règles anar­chiques, hémor­ra­gie grave, jusqu'à un épi­sode de sur­di­té en 2015. Elle se voit mou­rir. Une véri­table des­cente aux enfers. Des idées noires, sui­ci­daires ? « Vous avez mal accep­té votre renon­ce­ment à la mater­ni­té », lui glisse-t-on.

Cette fois, elle consulte et consulte encore, pour com­prendre l'origine de ses symp­tômes pro­téi­formes. À la femme active, qui n'a même plus l'énergie d'habiller ses enfants le matin et de les conduire à l'école, on diag­nos­ti­que­ra fina­le­ment un « burn-​out », et on conseille­ra une prise en charge psy­chia­trique assor­tie d'« un petit séjour dans une uni­té spécialisée ».

Le mal d'enfant pour expli­quer l'épuisement, les règles anar­chiques et hémor­ra­giques, et tous les autres maux dont elle souffre ? Un peu som­maire. À ce moment-​là, elle ne fait pas – encore – le lien avec ses implants. Il y a bien une piste évo­quant un risque d'allergie au nickel, d'ailleurs noté sur la carte d'information de Bayer. Or, elle n'a jamais souf­fert d'allergies. Tout ce dont elle est sûre, c'est qu'un mal étrange la ronge de l'intérieur. Mais quel est son nom ?

Marielle Klein ne se résigne pas pour autant et refuse un sta­tut de « malade ima­gi­naire ». Car cela revien­drait à dire que les femmes qui font état de leurs sou­cis graves et variés suite à la pose d'implants Essure inventent des symp­tômes. Quand on parle des patientes, le soup­çon d'hystérie, der­rière l'empathie appa­rente, n'est jamais loin. Alors elle cherche des pistes d'explication. Nous sommes en 2015. À force de déter­mi­na­tion, elle découvre sur inter­net que de l'autre côté de l'Atlantique, aux États-​Unis, mais aus­si en Hollande, des femmes sont confron­tées aux mêmes patho­lo­gies et demandent le retrait du mar­ché des implants Essure. Retrait et réparation.

Autodidacte, elle devient une véri­table web-​chercheuse. Elle découvre un groupe Facebook qui, outre-​Atlantique, a lan­cé en 2011 « Essure Problems », une pla­te­forme des­ti­née à infor­mer les femmes qui pensent que les Essure peuvent être à l'origine de leurs mal­heurs. Un groupe qui en 2022 attei­gnait les 43 000 membres sur Facebook, et a essai­mé en Europe et Amérique latine.

Grâce à ses contacts inter­na­tio­naux, elle fonde, en février 2016, l'association Resist, dont le but est de favo­ri­ser l'information et l'entraide des femmes implan­tées. Ce même mois, mieux armée et forte du sou­tien de nom­breux membres à tra­vers la France, en attente, comme elle, d'éléments de com­pré­hen­sion, la lan­ceuse d'alerte publie une péti­tion en ligne sur Change.org. Elle demande à Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, le retrait des implants du mar­ché. Cette péti­tion obtien­dra presque 80 000 signa­tures. Le mou­ve­ment anti-​Essure pro­gresse et sort enfin de l'ombre. De nou­velles asso­cia­tions se créent : Alerte Contraceptions, Association des vic­times de dis­po­si­tifs médi­caux implan­tables, etc.

Alors, com­bien sont-​elles, ces femmes implan­tées souf­frant d'un mal mys­té­rieux ? Impossible encore de le dire avec pré­ci­sion. Les signa­le­ments d'effets indé­si­rables liés aux Essure explosent et passent en France de 42 pour l'année 2012 à 242 en 2015, selon les don­nées de sur­veillance de l'ANSM (Agence natio­nale de sécu­ri­té du médi­ca­ment et des pro­duits de san­té) qui les collecte.

Même phé­no­mène aux États-​Unis : 80 % des signa­le­ments concer­nant les Essure reçus par la FDA (Food and Drug Administration, équi­valent de l'ANSM, qui auto­rise la com­mer­cia­li­sa­tion des médi­ca­ments sur le ter­ri­toire des États-​Unis) l'ont été après 2013. À par­tir du moment où le pro­blème Essure devient de plus en plus public, les signa­le­ments d'effets indé­si­rables, obli­ga­tion légale pour les méde­cins, chirurgiens-​dentistes, sages-​femmes et phar­ma­ciens, qui doivent les réa­li­ser dans les meilleurs délais pour aler­ter les ins­tances de régu­la­tion de la san­té, se mul­ti­plient. Il y a le temps des symp­tômes et le temps néces­saire à éta­blir un lien.

Retour en France. Devant les alertes qu'elle reçoit, l'ANSM ne peut res­ter impas­sible. En 2016, elle dili­gente une étude. Pourtant, en mai 2017, quand elle en livre les résul­tats dans un docu­ment inti­tu­lé « Risques asso­ciés au dis­po­si­tif de sté­ri­li­sa­tion défi­ni­tive fémi­nine Essure en com­pa­rai­son à la sté­ri­li­sa­tion cœlio­sco­pique4 », elle conclut : « Cette étude ne four­nit pas d'argument en faveur d'un risque glo­ba­le­ment aug­men­té d'atteinte géné­rale en lien avec le dis­po­si­tif de sté­ri­li­sa­tion Essure5. » Rien. Les Essure ne sont pas remis en ques­tion en France.

Quelques mois plus tard, pour­tant, le 3 août, la National Standards Authority of Ireland, orga­nisme irlan­dais qui avait cer­ti­fié l'innocuité des Essure, exige de Bayer de nou­velles études pour renou­ve­ler sa cer­ti­fi­ca­tion, le fameux mar­quage CE (confor­mi­té euro­péenne) qui auto­rise la dif­fu­sion des pro­duits de san­té en Europe. Que pen­ser alors du sou­hait de Bayer de ne pas don­ner suite à cette demande euro­péenne ? Puis de sa déci­sion d'un retrait pur et simple des Essure du mar­ché fran­çais et euro­péen, à l'automne 2017 ? Dans son com­mu­ni­qué de presse, la mul­ti­na­tio­nale alle­mande, avant de se reti­rer du mar­ché, évo­que­ra laco­ni­que­ment « un envi­ron­ne­ment défavorable ».

Au 30 juin 2021, sur les 198 000 femmes offi­ciel­le­ment implan­tées, 30 071 sont explantées6. Souvent au prix de muti­la­tions, et sans garan­tie de gué­ri­son. Des femmes souffrent encore, même sans Essure dans le corps. Les implants d'Anne-Cécile sont reti­rés le 20 novembre 2018. Le 19 décembre 2018, en pleine nuit, elle écrit pour­tant dans son journal : 

Douleurs, dou­leurs, dou­leurs ; aucune posi­tion ne me sou­lage… Douleurs bas-​ventre bas du dos côté gauche côté droit… tiens même de ce côté ! ! À droite ? Ah les ovaires… Les reins, le genou gauche – comme un cou­teau dans le ventre qui tra­verse jusqu'au dos, quant au genou… on dirait un clou !

À gauche, dou­leurs plus vers le ventre, le bas-​ventre : feu. Mon uté­rus… et mon ventre ? Gonflé ? Pas ce matin… mal à l'ovaire, ça me déchire le bas-​ventre, jusqu'aux reins… Comme une contrac­tion, comme des spasmes – et puis j'ai mal des orteils jusqu'au crâne – des sortes d'impulsions élec­triques courent le long de la jambe gauche, de la hanche au pied en pas­sant tou­jours par mon genou gauche – comme un clou qui s'enfonce en bas de la rotule et tra­verse ce genou – des arcs élec­triques dans/​sur/​le long de mes nerfs (?), des four­mille­ments très puis­sants, arc élec­trique sous le pied, dans la cuisse, et mes bras me font mal aux épaules mais le bras gauche est rem­pli de four­mille­ments, d'impulsions, d'électricité, de l'épaule jusqu'au bout des doigts, ça bouge, ça vit tout seul, ça passe dans ma paume, ça passe dans mon coude, un pieux dans l'épaule et puis dans ma tête et puis dans mon œil et puis dans mon cou et puis ça me chauffe ça me brûle j'ai envie de m'arracher l'oreille gauche, l'œil gauche, la pom­mette gauche, ça four­mille, ça pique, une sorte de migraine à gauche dans toute ma tête, jusqu'au cou, dans les cer­vi­cales – un clou brû­lant – on tape des­sus, ça pulse, ça tape, un clou dans l'œil, un clou, un étau, dans la pom­mette un clou, la tempe aus­si un clou, dans l'oreille un clou puis­sant et elle me gratte elle me gratte, l'impression qu'elle est bou­chée, quelque chose s'enfonce dedans, ça me rend folle, ça s'enfonce dans mon visage, jusqu'au milieu de mon visage, dans mon visage j'ai mal, j'ai mal à en pleu­rer la dou­leur ne m'a pas quit­tée depuis mon réveil, les arcs élec­triques non plus, mon visage me semble… je le res­sens presque para­ly­sé à gauche jusque dans mes lèvres, je parle à mon mari il dit : « Je vois bien, ton visage ne bouge pas pareil à gauche ; je le vois, moi qui te connais ! ? » […] Quand je regarde mon index, que je touche le bout du doigt, je dois me sou­ve­nir ce que je veux dire… sinon je dois l'écrire. Un crayon, un bout de papier, ma main, un post-​it… Une feuille, le dos du jour­nal, n'importe quoi ! ! ! ! Là tout de suite, se sou­ve­nir : pour pou­voir dire. Juste pour parler.

Là ce matin ça ne marche pas – plus. Hier soir quand j'ai par­lé, j'ai com­pris que je n'étais pas com­pré­hen­sible, les mots ne s'alignaient pas, les pen­sées non plus – tout le monde a patien­té pour que j'y arrive – alerte du soir. Je savais que j'en avais trop fait hier. Trop : une les­sive, mon­ter et des­cendre les esca­liers trois fois, m'asseoir quelques heures de plus qu'avant-hier, mener une conver­sa­tion avec une amie… Trop ! C'est une blague, une énorme blague ! ! ! Ce matin je sais que j'écris pour ne pas oublier, oublier tout ce qui m'arrive, tout ce que je souffre, tout ce que je vis… en silence.

Lire aus­si l Stérilisation : le goût de souffre de la méthode Essure

  1. Procédure effec­tuée pour regar­der à l'intérieur de l'utérus à l'aide d'un tube fin et lumi­neux.[]
  2. Une bur­site est une inflam­ma­tion dou­lou­reuse d'une bourse séreuse, sorte de petit cous­si­net qui assure le glis­se­ment de nos ten­dons contre nos os.[]
  3. Entretien avec les autrices, 10 février 2020.[]
  4. La cœlio­sco­pie est une tech­nique de chi­rur­gie mini-​invasive qui per­met d'accéder à l'abdomen en ne fai­sant que de petites inci­sions.[]
  5. Marion Bertrand, Kim Bouillon, Rosemary Dray-​Spira, Mahmoud Zureik, « Risques asso­ciés au dis­po­si­tif de sté­ri­li­sa­tion défi­ni­tive fémi­nine Essure en com­pa­rai­son à la sté­ri­li­sa­tion cœlio­sco­pique », ANSM, mai 2017, p. 67 (dis­po­nible en ligne).[]
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