Les journalistes Delphine Bauer et Jacqueline Maurette viennent de faire paraître aux éditions de l'Atelier le livre-enquête Au mépris du corps des femmes. Le scandale des implants Essure. Causette en publie en exclusivité les bonnes feuilles.
La semaine dernière, le média d'investigation Splann ! révélait que l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) était en possession depuis 2017 d'une étude indépendante qui montrait un risque de corrosion des implants Essure mais qu'elle n'avait jamais rendue publique. Quelques jours auparavant, les journalistes Delphine Bauer et Jacqueline Maurette faisaient paraître aux éditions de l'Atelier Au mépris du corps des femmes. Le scandale des implants Essure, un livre-enquête fouillé sur les graves effets secondaires de ces dispositifs médicaux de stérilisation des femmes. En fil rouge : le précieux témoignage d'Anne-Cécile Groléas, qui a choisi à 41 ans en 2013 la méthode de contraception définitive Essure.
Vendus par le géant pharmaceutique Bayer jusqu'en août 2017 en France, les impants Essure sont des ressors composés d'un alliage de titane et de nickel placés dans les trompes de Falope pour obstruer le passage de l'ovule dans l'utérus lors de l'ovulation. Entre 2002 et 2017, ils ont été placés sur 200 000 femmes en France. 30 000 – soit 15% des patientes ! – se les sont faits retirer après l'émergence de douleurs et de symptômes très variés dans la foulée de l'impantation.
Si Bayer a toujours nié avoir retiré son dispositif médical du marché en raison des accusations de femmes faisant le lien entre une soudaine dégradation de leur état de santé et Essure, les enquêtes journalistiques (dont celle de Causette en 2016) le pointant sont nombreuses. Au mépris du corps des femmes. Le scandale des implants Essure, dont nous publions aujourd'hui le premier chapitre, est la dernière pierre de cet édifice d'investigation.
Bonnes feuilles
Avant-propos
La contraception, le droit de disposer librement de son corps, le droit à une sexualité sans entrave et heureuse devraient être des acquis indiscutables. Et doivent les rester. Aucun scandale ne doit être prétexte à les remettre en question. Notre propos dans cette enquête n’est donc pas de questionner la nécessité d’une contraception, si on en souhaite une, mais de l’obtenir dans les meilleures conditions possibles et avec les produits les plus sûrs. Les femmes ne sont pas un marché, elles sont des citoyennes, des patientes, qui méritent d’être entendues.
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Chapitre 1 « Du miracle à l'enfer »
22 octobre 2013.
Liberté. Dans cet espace-temps de l'hôpital, je m'offrais enfin la liberté de vivre. J'avais mis du temps à réfléchir, à choisir. Mais à 41 ans, après quatre enfants, je faisais le choix définitif de ne plus en avoir. Tout à l'heure je rentrerai chez moi et je reprendrai le cours de ma vie. Aussi simple que ça. Aujourd'hui, je suis à l'hôpital et demain ou après-demain, je travaille.
La gynéco m'a dit : « Ce n'est pas compliqué, pas besoin d'anesthésie, vous serez allongée comme pour un accouchement, je poserai les implants, des Essure. C'est une nouvelle technique. » Dans quelques heures, je pourrai rentrer chez moi. En attendant, je me souviens des grossesses, des accouchements. Des fausses couches, aussi. Toute ma vie de femme défile dans mes souvenirs. Je me rappelle cette question qui revenait chaque fois que j'attendais mes règles. Et si j'étais enceinte ? Je pense à mes enfants, à mon mari. À notre choix de couple d'une contraception définitive. Pilules, stérilets, implants sous-cutanés sous le bras. Rien ne m'allait. Je pleure un peu.
Pour me rassurer, je pense aux vacances, à notre été. Je vais pouvoir faire l'amour, sans retenue, sans aucune crainte, sans idée autre qu'aimer, m'aimer, l'aimer. Dans cet hôpital, je sais que je vais fermer une porte. Il n'y aura plus d'enfant dans ce ventre. Je ne ferai plus d'enfant avec l'homme que j'aime. Nous ferons l'amour.
J'ai enfin rencontré une gynécologue qui a écouté ma demande.
Je vais bien me détendre, comme on m'a dit. Allongée, les pieds dans les étriers, à moitié dévêtue, je peux tout voir et entendre. Je suis devenue une personne lambda dans un univers de blouses, de charlottes, de bottes. Je reconnais ma gynécologue à ses intonations. Directe, simple, efficace. Technique.
Je me concentre sur mes sensations. Mes émotions, je les fais taire. « Ne pleure pas, ni de joie, ni de tristesse. Sinon ils vont croire que tu regrettes. »
« Voilà, c'est fait. Très facile avec vous ! Des douleurs ? Non ? On vous monte. Reposez-vous et tout à l'heure vous rentrez chez vous. On se revoit dans trois mois pour le contrôle. »
*
Pour Anne-Cécile Groléas, femme active installée à Vénissieux dans la proche banlieue lyonnaise, mère de famille de 41 ans à l'époque, la pose de ces implants devait sonner comme la liberté de disposer de son corps comme elle l'entendait. Après les bonheurs de la maternité, obscurcis par les fausses couches, elle avait décidé de refermer ce chapitre de son histoire personnelle, avec l'espérance d'en ouvrir un second. La chute n'en sera que plus rude. Loin du produit miracle vendu par le laboratoire Bayer HealthCare, qui commercialisait les Essure, ce sera pour elle le début d'un long cauchemar.
En guise d'information préimplantatoire, Anne-Cécile a reçu la brochure de papier glacé de Conceptus, la start-up qui a mis au point le procédé avant de le vendre à Bayer HealthCare. Sur ce fascicule rassurant, une promesse de simplicité. « Essure est une procédure non chirurgicale de dix minutes qui peut être effectuée dans le cabinet du médecin, la plupart des femmes se rétablissant dans un délai d'un ou deux jours. Les femmes quittent généralement le centre médical environ quarante-cinq minutes après l'intervention. » Voilà ce qu'a lu Anne-Cécile, apaisée, sûre de son choix. Elle était venue avec une indication de ligature des trompes, mais puisque c'est ce qui se fait maintenant, pourquoi refuser le progrès ?
La méthode se veut révolutionnaire. Loin du caractère invasif de la ligature des trompes, traditionnellement réalisée, les Essure proposent une approche « douce » de la contraception définitive, par simple hystéroscopie1. La science est fascinante. Comment imaginer que ce sont deux minuscules spirales de 40 mm de long sur 0,8 mm de diamètre, composées d'un alliage de nickel et de titane, et d'un enroulement interne recouvert de fibres de polyéthylène téréphtalate (PET), mises en place à l'entrée des deux trompes utérines, qui rendent la stérilisation possible ?
Le système est astucieux, car une fois installés, les ressorts se déploient pour atteindre 2 mm de diamètre. Épousant la paroi interne des trompes, ils s'y ancrent, empêchant définitivement les spermatozoïdes d'atteindre l'ovule. Les dispositifs créent juste une « petite » fibrose à l'entrée des trompes de Fallope (ou trompes utérines). En quelque sorte, un obstacle pour que les spermatozoïdes ne viennent pas féconder un ovule. Après trois mois où une contraception reste nécessaire, il faut faire un contrôle afin de vérifier que tout est en place et que les trompes sont bien bouchées.
Sans anesthésie : c'est le corps qui fait les choses. Ça avait l'air si simple. Ça avait même l'air naturel. Tellement simple et naturel qu'il en sera posé, comme à Anne-Cécile, sur quelque 200 000 femmes en France entre 2002 et 2017. Les médecins s'emballent pour la méthode. Remboursées par l'assurance maladie à partir de 2005, les poses d'Essure devancent, jusqu'en 2016, les méthodes plus classiques de ligature, réalisées principalement avec des clips (qui agissent en bloquant l'alimentation sanguine d'une petite section des trompes, les tissus cicatriciels ou fibreux empêchant ensuite la fécondation de se produire).
Mais, branle-bas de combat dans le petit monde des laboratoires, le lundi 18 septembre 2017, le groupe Bayer annonce qu'il ne redemandera pas son agrément européen, nécessaire à la mise sur le marché d'un produit. La multinationale invoque un déclin des ventes. « Une décision qui n'est pas liée à des problèmes de sécurité ou de qualité du produit », précise la firme dans son communiqué.
Comment l'un des plus puissants groupes agro-pharmaceutiques mondiaux peut-il arrêter aussi brutalement un dispositif encore très populaire jusqu'à l'année précédente ? Que s'est-il passé pour qu'il décide de le retirer du marché ?
Sous couvert d'être rassurant, le communiqué de presse de Bayer ne fait que traduire les inquiétudes exprimées, depuis plusieurs mois, par de petites voix dissonantes, celles de femmes implantées, qui commencent à se faire entendre. Victimes d'un mal inconnu, elles seraient en grande souffrance… et leurs douleurs auraient commencé après la pose de leurs implants Essure.
Les premières inquiétudes
En 2015, au moment de la double campagne pour les municipales et les départementales à Vénissieux (le scrutin municipal ayant été annulé en 2014 pour cause de présence d'une liste d'extrême droite qui n'aurait pas dû concourir), Anne-Cécile est élue sur une liste transpartisane soutenue par le parti socialiste. Elle vit un moment très intense. En plus de son mandat, cette petite femme aux cheveux blonds coupés court et à l'énergie débordante est à la tête d'une TPE de stylisme, donne des cours de couture, s'occupe de quatre enfants à la maison. Voilà bien des raisons d'être lessivée. Mais cette fatigue-là, celle qu'elle ressent depuis quelques mois, est tout à fait inhabituelle. « Je repérais les murs pour m'appuyer lorsque je distribuais les tracts », confie-t-elle, alors à bout de forces. Un signal qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Mais comme beaucoup de femmes actives, elle met son épuisement sur le compte d'une vie « simplement » trop remplie. Et continue à poursuivre au même rythme.
Un mois de vacances passe, elle se sent aussi fatiguée que si elle n'était pas partie. Il y a aussi ces douleurs articulaires. Elle passe une première IRM qui éloigne le diagnostic de bursite2. Son état de santé s'aggrave : elle subit des fourmillements, des réveils en pleine nuit avec une insupportable sensation de coup de poignard au côté. Et ce harassement qui continue à l'entourer d'une chape de plomb, qui rend chaque mouvement difficile, chaque réveil presque insurmontable le matin. Pourquoi ? Pourquoi ces otites soudaines, qui l'envoient une bonne dizaine de fois vers son ORL, qui finit par la mettre sous antibiotiques ? Et ces douleurs musculosquelettiques récalcitrantes ? Pourtant, il n'y a rien à l'IRM, pas de bursite. Rien de rien. Que faut-il faire ? Chercher un autre rhumatologue, un ostéopathe ?
Son généraliste fait office de rond-point : les informations lui parviennent de toutes parts, mais le diagnostic n'apparaît toujours pas. Anne-Cécile, elle, continue de souffrir en silence, sans en comprendre les raisons.
À quelques kilomètres de là, Françoise Vanmuysen, médecin lyonnaise, ne pense pas non plus à établir un lien entre son état qui s'est dégradé et les implants Essure. Cette dernière a opté pour cette méthode de contraception définitive, en toute confiance. Les implants sont placés en 2011. Cette chirurgienne de la main, cartésienne, scientifique, sportive de bon niveau, qui pratique assidûment l'équitation et la natation, devra néanmoins arrêter d'opérer trois ans plus tard.
Tout a commencé très vite après l'implantation, par une chute de cheveux massive. Françoise Vanmuysen se met ensuite à souffrir de troubles de l'humeur, de la vue, du sommeil. Les relations sexuelles deviennent douloureuses et les hémorragies de plus en plus graves. « Je me revois en pleine salle d'opération, le bistouri à la main, entendant l'infirmière de bloc me faire remarquer que je me vidais de mon sang », se rappelle-t-elle3. Fin 2014, les hémorragies et les douleurs articulaires qui n'ont cessé d'empirer sont telles qu'elle est contrainte d'arrêter la chirurgie. Et doit alors orienter son activité vers la psychotraumatologie.
Et même lorsque, en 2016, on lui diagnostique une adénomyose – une migration des cellules des muqueuses de la paroi utérine vers le muscle utérin – elle ne fait toujours pas le lien. Comme Anne-Cécile au début, elle refuse d'envisager l'hypothèse d'une relation entre sa santé qui ne cesse de se dégrader et les Essure. « En tant que médecin, je suis très pénétrée du serment d'Hippocrate "Primum non nocere'' [En premier, ne pas nuire] », explique-t-elle. Elle n'envisage pas que ce dispositif puisse nuire à la santé des femmes : il est censé être leur allié.
C'est en découvrant avec effarement, aux côtés de son compagnon, l'enquête « Implant Files » diffusée à la télévision sur France 2 en novembre 2018, qu'elle fera le lien entre sa santé dégradée et la pose, sept ans plus tôt, des Essure. Cette enquête explosive, coordonnée par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), une association de 250 journalistes issus de 59 médias internationaux, révèle combien les dispositifs médicaux implantables dans le corps par un acte chirurgical bénéficient d'un manque de rigueur des instances de certification pour être mis sur le marché. Parmi eux, on retrouve le dispositif Essure.
Commencer à faire le lien
Mais une femme, elle, a déjà fait le lien. Et d'un coup, tout s'est éclairé. Elle s'appelle Marielle Klein. Elle a alors 39 ans. En septembre 2011, cette mère de famille mosellane de Spicheren, près de Forbach, reçoit les implants Essure. Comme Anne-Cécile Groléas, Françoise et les autres, la décision de ne plus avoir d'enfant a été son moteur, et la simplicité de la méthode l'a convaincue d'avoir recours aux Essure plutôt qu'à une ligature des trompes.
Dès 2013, alors qu'elle ne voyait presque jamais de médecin, Marielle Klein accumule, outre une immense fatigue, des soucis de santé : sinusite, thrombose hémorroïdaire, palpitations, règles anarchiques, hémorragie grave, jusqu'à un épisode de surdité en 2015. Elle se voit mourir. Une véritable descente aux enfers. Des idées noires, suicidaires ? « Vous avez mal accepté votre renoncement à la maternité », lui glisse-t-on.
Cette fois, elle consulte et consulte encore, pour comprendre l'origine de ses symptômes protéiformes. À la femme active, qui n'a même plus l'énergie d'habiller ses enfants le matin et de les conduire à l'école, on diagnostiquera finalement un « burn-out », et on conseillera une prise en charge psychiatrique assortie d'« un petit séjour dans une unité spécialisée ».
Le mal d'enfant pour expliquer l'épuisement, les règles anarchiques et hémorragiques, et tous les autres maux dont elle souffre ? Un peu sommaire. À ce moment-là, elle ne fait pas – encore – le lien avec ses implants. Il y a bien une piste évoquant un risque d'allergie au nickel, d'ailleurs noté sur la carte d'information de Bayer. Or, elle n'a jamais souffert d'allergies. Tout ce dont elle est sûre, c'est qu'un mal étrange la ronge de l'intérieur. Mais quel est son nom ?
Marielle Klein ne se résigne pas pour autant et refuse un statut de « malade imaginaire ». Car cela reviendrait à dire que les femmes qui font état de leurs soucis graves et variés suite à la pose d'implants Essure inventent des symptômes. Quand on parle des patientes, le soupçon d'hystérie, derrière l'empathie apparente, n'est jamais loin. Alors elle cherche des pistes d'explication. Nous sommes en 2015. À force de détermination, elle découvre sur internet que de l'autre côté de l'Atlantique, aux États-Unis, mais aussi en Hollande, des femmes sont confrontées aux mêmes pathologies et demandent le retrait du marché des implants Essure. Retrait et réparation.
Autodidacte, elle devient une véritable web-chercheuse. Elle découvre un groupe Facebook qui, outre-Atlantique, a lancé en 2011 « Essure Problems », une plateforme destinée à informer les femmes qui pensent que les Essure peuvent être à l'origine de leurs malheurs. Un groupe qui en 2022 atteignait les 43 000 membres sur Facebook, et a essaimé en Europe et Amérique latine.
Grâce à ses contacts internationaux, elle fonde, en février 2016, l'association Resist, dont le but est de favoriser l'information et l'entraide des femmes implantées. Ce même mois, mieux armée et forte du soutien de nombreux membres à travers la France, en attente, comme elle, d'éléments de compréhension, la lanceuse d'alerte publie une pétition en ligne sur Change.org. Elle demande à Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, le retrait des implants du marché. Cette pétition obtiendra presque 80 000 signatures. Le mouvement anti-Essure progresse et sort enfin de l'ombre. De nouvelles associations se créent : Alerte Contraceptions, Association des victimes de dispositifs médicaux implantables, etc.
Alors, combien sont-elles, ces femmes implantées souffrant d'un mal mystérieux ? Impossible encore de le dire avec précision. Les signalements d'effets indésirables liés aux Essure explosent et passent en France de 42 pour l'année 2012 à 242 en 2015, selon les données de surveillance de l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) qui les collecte.
Même phénomène aux États-Unis : 80 % des signalements concernant les Essure reçus par la FDA (Food and Drug Administration, équivalent de l'ANSM, qui autorise la commercialisation des médicaments sur le territoire des États-Unis) l'ont été après 2013. À partir du moment où le problème Essure devient de plus en plus public, les signalements d'effets indésirables, obligation légale pour les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens, qui doivent les réaliser dans les meilleurs délais pour alerter les instances de régulation de la santé, se multiplient. Il y a le temps des symptômes et le temps nécessaire à établir un lien.
Retour en France. Devant les alertes qu'elle reçoit, l'ANSM ne peut rester impassible. En 2016, elle diligente une étude. Pourtant, en mai 2017, quand elle en livre les résultats dans un document intitulé « Risques associés au dispositif de stérilisation définitive féminine Essure en comparaison à la stérilisation cœlioscopique4 », elle conclut : « Cette étude ne fournit pas d'argument en faveur d'un risque globalement augmenté d'atteinte générale en lien avec le dispositif de stérilisation Essure5. » Rien. Les Essure ne sont pas remis en question en France.
Quelques mois plus tard, pourtant, le 3 août, la National Standards Authority of Ireland, organisme irlandais qui avait certifié l'innocuité des Essure, exige de Bayer de nouvelles études pour renouveler sa certification, le fameux marquage CE (conformité européenne) qui autorise la diffusion des produits de santé en Europe. Que penser alors du souhait de Bayer de ne pas donner suite à cette demande européenne ? Puis de sa décision d'un retrait pur et simple des Essure du marché français et européen, à l'automne 2017 ? Dans son communiqué de presse, la multinationale allemande, avant de se retirer du marché, évoquera laconiquement « un environnement défavorable ».
Au 30 juin 2021, sur les 198 000 femmes officiellement implantées, 30 071 sont explantées6. Souvent au prix de mutilations, et sans garantie de guérison. Des femmes souffrent encore, même sans Essure dans le corps. Les implants d'Anne-Cécile sont retirés le 20 novembre 2018. Le 19 décembre 2018, en pleine nuit, elle écrit pourtant dans son journal :
Douleurs, douleurs, douleurs ; aucune position ne me soulage… Douleurs bas-ventre bas du dos côté gauche côté droit… tiens même de ce côté ! ! À droite ? Ah les ovaires… Les reins, le genou gauche – comme un couteau dans le ventre qui traverse jusqu'au dos, quant au genou… on dirait un clou !
À gauche, douleurs plus vers le ventre, le bas-ventre : feu. Mon utérus… et mon ventre ? Gonflé ? Pas ce matin… mal à l'ovaire, ça me déchire le bas-ventre, jusqu'aux reins… Comme une contraction, comme des spasmes – et puis j'ai mal des orteils jusqu'au crâne – des sortes d'impulsions électriques courent le long de la jambe gauche, de la hanche au pied en passant toujours par mon genou gauche – comme un clou qui s'enfonce en bas de la rotule et traverse ce genou – des arcs électriques dans/sur/le long de mes nerfs (?), des fourmillements très puissants, arc électrique sous le pied, dans la cuisse, et mes bras me font mal aux épaules mais le bras gauche est rempli de fourmillements, d'impulsions, d'électricité, de l'épaule jusqu'au bout des doigts, ça bouge, ça vit tout seul, ça passe dans ma paume, ça passe dans mon coude, un pieux dans l'épaule et puis dans ma tête et puis dans mon œil et puis dans mon cou et puis ça me chauffe ça me brûle j'ai envie de m'arracher l'oreille gauche, l'œil gauche, la pommette gauche, ça fourmille, ça pique, une sorte de migraine à gauche dans toute ma tête, jusqu'au cou, dans les cervicales – un clou brûlant – on tape dessus, ça pulse, ça tape, un clou dans l'œil, un clou, un étau, dans la pommette un clou, la tempe aussi un clou, dans l'oreille un clou puissant et elle me gratte elle me gratte, l'impression qu'elle est bouchée, quelque chose s'enfonce dedans, ça me rend folle, ça s'enfonce dans mon visage, jusqu'au milieu de mon visage, dans mon visage j'ai mal, j'ai mal à en pleurer la douleur ne m'a pas quittée depuis mon réveil, les arcs électriques non plus, mon visage me semble… je le ressens presque paralysé à gauche jusque dans mes lèvres, je parle à mon mari il dit : « Je vois bien, ton visage ne bouge pas pareil à gauche ; je le vois, moi qui te connais ! ? » […] Quand je regarde mon index, que je touche le bout du doigt, je dois me souvenir ce que je veux dire… sinon je dois l'écrire. Un crayon, un bout de papier, ma main, un post-it… Une feuille, le dos du journal, n'importe quoi ! ! ! ! Là tout de suite, se souvenir : pour pouvoir dire. Juste pour parler.
Là ce matin ça ne marche pas – plus. Hier soir quand j'ai parlé, j'ai compris que je n'étais pas compréhensible, les mots ne s'alignaient pas, les pensées non plus – tout le monde a patienté pour que j'y arrive – alerte du soir. Je savais que j'en avais trop fait hier. Trop : une lessive, monter et descendre les escaliers trois fois, m'asseoir quelques heures de plus qu'avant-hier, mener une conversation avec une amie… Trop ! C'est une blague, une énorme blague ! ! ! Ce matin je sais que j'écris pour ne pas oublier, oublier tout ce qui m'arrive, tout ce que je souffre, tout ce que je vis… en silence.
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- Procédure effectuée pour regarder à l'intérieur de l'utérus à l'aide d'un tube fin et lumineux.[↩]
- Une bursite est une inflammation douloureuse d'une bourse séreuse, sorte de petit coussinet qui assure le glissement de nos tendons contre nos os.[↩]
- Entretien avec les autrices, 10 février 2020.[↩]
- La cœlioscopie est une technique de chirurgie mini-invasive qui permet d'accéder à l'abdomen en ne faisant que de petites incisions.[↩]
- Marion Bertrand, Kim Bouillon, Rosemary Dray-Spira, Mahmoud Zureik, « Risques associés au dispositif de stérilisation définitive féminine Essure en comparaison à la stérilisation cœlioscopique », ANSM, mai 2017, p. 67 (disponible en ligne).[↩]