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Allocation aux adultes han­di­ca­pés : une péti­tion fait bou­ger le Sénat

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La secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel.

Face au suc­cès d’une péti­tion en ligne récla­mant la fin de la prise en compte des reve­nus des conjoint·es dans le cal­cul de l’Allocation aux adultes han­di­ca­pés (AAH), le Sénat vient de dési­gner un rap­por­teur. Une bonne nou­velle, mais rien n’est réglé. 

A chaque fois qu’elle se connecte sur le site de la caisse d’allocations fami­liales (CAF) pour faire le sui­vi de ses ver­se­ments d’Allocation aux adultes han­di­ca­pés (AAH), Stéphanie1, 27 ans, a la boule au ventre. Elle redoute que son allo­ca­tion, qu’elle per­çoit depuis l’été der­nier, ne soit pas ver­sée cor­rec­te­ment. Diagnostiquée comme autiste il y a quelques années, elle a dû four­nir des docu­ments attes­tant de son han­di­cap et de son inca­pa­ci­té à tra­vailler. Normalement, l’AAH est ver­sée aux per­sonnes dont le taux d’incapacité est de 80% mini­mum. Mais elle peut aus­si être ver­sée en cas de taux d’incapacité entre 50 et 79%, à condi­tion qu’il y ait « une res­tric­tion sub­stan­tielle et durable d’accès à un emploi ». C’est le cas de Stéphanie, dont l’incapacité est infé­rieure à 80% mais qui ne peut pas envi­sa­ger de mener une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle à temps plein. D'ailleurs, elle a dû mettre ses études en som­meil depuis le pre­mier confi­ne­ment, ne par­ve­nant à pas à suivre à les cours à dis­tance. « Je me fatigue bien trop vite », explique-​t-​elle. Après dix mois d’attente pour que son dos­sier soit exa­mi­né, elle a fini par per­ce­voir une allo­ca­tion men­suelle de 240 euros par mois. « Mes parents me donnent de l’argent chaque mois donc je ne peux pas tou­cher l’intégralité de l’AAH, qui s'élève à 902,70 euros, détaille-​t-​elle. Mais c’est un peu le ser­pent qui se mord la queue : ils m'aident car je touche très peu et je touche très peu parce qu’ils m’aident. » Une situa­tion qui crée une forme de dépen­dance pas tou­jours facile à gérer. « Si on se déclare concu­bines, les reve­nus de ma com­pagne seront pris en compte dans le cal­cul de ma future allo­ca­tion et je sais d'avance que je n'aurai plus rien. »

Les pro­blèmes de Stéphanie ne se limitent pas aux liens avec ses parents. La jeune femme vit avec sa copine depuis cinq ans. La CAF ne doit sur­tout pas le savoir. « Officiellement, nous sommes de simples colo­ca­taires. L’appartement a deux chambres et on a sous­crit un bail de colo­ca­tion pour évi­ter que ça nous péna­lise. » La crainte de Stéphanie et de sa com­pagne, c’est de perdre les faibles reve­nus dont elles dis­posent. « J’ai deman­dé à per­ce­voir l’intégralité de l’AAH et c’est en cours d’étude, précise-​t-​elle. Ma copine fait une for­ma­tion pour deve­nir déve­lop­peuse et espère décro­cher un bou­lot dans la fou­lée. Si on se déclare comme concu­bines, ses reve­nus seront pris en compte dans le cal­cul de ma future allo­ca­tion et je sais d’avance que je n’aurai plus rien. Nous avons donc inté­rêt à mentir. » 

Une demande récur­rente des associations

La loi fran­çaise est ain­si faite : si le pla­fond des reve­nus annuels du couple dépasse 19 607 euros (soit 1 600 euros par mois), l’AAH n’est plus ver­sée à la per­sonne han­di­ca­pée. Stéphanie et sa com­pagne ne sont pas les seules dans cette situa­tion. 1,2 mil­lions de per­sonnes per­çoivent cette allo­ca­tion, dont 270 000 vivant en couple. La demande de déso­li­da­ri­sa­tion des reve­nus du conjoint en matière de cal­cul de l’AAH est une reven­di­ca­tion récur­rente de la part des asso­cia­tions. Pour le col­lec­tif Les Dévalideuses, qui défend les droits des femmes en situa­tion de han­di­cap, ce méca­nisme a des effets délé­tères en cas de vio­lences conju­gales où la dépen­dance finan­cière joue un rôle cen­tral, empê­chant cer­taines femmes de fuir le domi­cile. « On recense aus­si des tas d’exemples de gens qui ne s’installent pas ensemble pour évi­ter de perdre leur allo­ca­tion, com­plète Arnaud de Broca, à la tête du Collectif Handicaps. Nous récla­mons un chan­ge­ment depuis quinze ans, mais les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs ont tou­jours refu­sé. »

Le sujet a fait un retour fra­cas­sant sur la scène média­tique et poli­tique ces der­nières semaines. Une péti­tion, rédi­gée par Véronique Tixier, elle-​même han­di­ca­pée et ayant vu ses droits à l’AAH sucrés avec la nais­sance d’un enfant, a été mise en ligne en sep­tembre sur le site du Sénat. Depuis, elle bat des records. La barre fati­dique des 100 000 signa­tures, palier néces­saire pour contraindre le Sénat à se sai­sir de la ques­tion, vient d’être dépas­sée. Les représentant·es de la chambre haute ont même anti­ci­pé la chose. Un rap­por­teur a été dési­gné fin jan­vier et devrait mener des audi­tions tout au long du mois de février. 

Si tout va bien, le Sénat exa­mi­ne­ra éga­le­ment début mars la pro­po­si­tion de loi sur la déso­li­da­ri­sa­tion des reve­nus des conjoint·es, votée par l’Assemblée natio­nale en février 2020. A l’époque, le gou­ver­ne­ment par la voix de la Secrétaire d'Etat en charge du dos­sier, Sophie Cluzel, s’y était oppo­sé, crai­gnant que la sup­pres­sion du pla­fond pour les couples ne crée « d’autres per­dants » béné­fi­ciaires de l'AAH et pré­ci­sant vou­loir lan­cer une étude pour y voir clair. Autre argu­ment : le ver­se­ment de la PCH, Prestation de com­pen­sa­tion du han­di­cap (une autre pres­ta­tion allouée aux per­sonnes han­di­ca­pées… mais des­ti­née à aider à la prise en charge du coût du han­di­cap, par exemple de l'aide à domi­cile), suf­fi­rait à pal­lier les situa­tions les plus pré­caires. Sauf que tout le monde – Stéphanie en tête – ne la per­çoit pas. 

C'est pas gagné pour une adop­tion avant 2022

Le temps a pas­sé depuis février 2020 et le texte est res­té en souf­france entre l’Assemblée natio­nale et le Sénat. La force de la mobi­li­sa­tion en ligne a donc per­mis aux Sénateurs de se déga­ger du temps pour se pen­cher sur cette ques­tion. « On a trou­vé du temps sur une niche par­le­men­taire, admet Philippe Mouiller, le séna­teur LR fraî­che­ment nom­mé rap­por­teur. C’est vrai que ça fait dix ans qu’on parle de ça et que tous les gou­ver­ne­ments y sont défa­vo­rables, d’abord pour une his­toire de coût. » Selon un rap­port par­le­men­taire datant de 2019, le coût total de la mesure s’élèverait à 360 mil­lions d’euros. « Au regard du bud­get glo­bal de la Sécu, c’est une goutte d’eau », s’agace la dépu­tée Jeanine Dubié, élue PRG des Hautes-​Pyrénées, à l’origine de la pro­po­si­tion de loi sur le sujet. D'autres chif­frages par­le­men­taires évoquent un coût total de 500 mil­lions. Philippe Mouiller ne s’aventure pas à par­ler de chiffres pour le moment, il assure avoir man­da­té un cabi­net indé­pen­dant pour « cal­cu­ler tout ça. » A ses yeux, un autre élé­ment fon­da­men­tal explique cette bagarre inces­sante autour de l’AAH : sa nature. « Pour beau­coup, elle est assi­mi­lée à un mini­ma social comme le RSA. Or en matière de mini­ma sociaux, la règle c’est de prendre en compte les res­sources du conjoint avec qui il doit y avoir soli­da­ri­té, comme le fixe le Code civil. En fait, on n'a jamais vrai­ment tran­ché ce débat. » Interrogée sur Sud radio le 18 jan­vier, Sophie Cluzel, dont le cabi­net n'a pas répon­du à nos sol­li­ci­ta­tions, a rap­pe­lé cette règle. « Aujourd’hui en France, la soli­da­ri­té natio­nale est cou­plée avec la soli­da­ri­té fami­liale et conju­gale », tout en assu­rant entendre les demandes de « plus d'individualisation. »

L’examen en séance de la pro­po­si­tion de loi suffira-​t-​il à régler ce point de débat ? Pas sûr. D’autant que rien ne garan­tit qu’elle sera adop­tée. Sa rédac­tion n’est pas jugée par­faite par plu­sieurs spé­cia­listes, ce qui pour­rait don­ner lieu à une réécri­ture, et obli­ge­rait le texte à refaire une nou­velle navette par­le­men­taire. « J’ai peu d’espoir que les choses soient votées d’ici à 2022 et la fin de la man­da­ture », confesse une res­pon­sable asso­cia­tive. Un pes­si­misme qui n’empêche pas les militant·es de fer­railler pour que les choses avancent mal­gré tout et que le sujet soit abor­dé lors de la pro­chaine élec­tion pré­si­den­tielle. Pour Stéphanie, il y a aus­si urgence à revoir la façon dont sont per­çus les béné­fi­ciaires de l’AAH. « Outre le fait de nous pous­ser à men­tir pour ne pas perdre quelques cen­taines d’euros essen­tiels à notre sur­vie, on sent une forme de contrôle de plus en plus sévère dans l’accès au droit, se désole la jeune femme. Si plus de gens en font la demande, ce n’est pas parce que les méde­cins sont laxistes, mais parce que de plus en plus de patho­lo­gies finissent par être recon­nues. » Si les choses pro­gressent un peu, le com­bat est loin d’être gagné.

  1. Le pré­nom a été modi­fié[]
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