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Emma et Sophie, d’Utopia 56, lors d’une maraude sociale à Calais, vont à la rencontre des exilé·es avec du thé (un peu trop infusé) et des documents informatifs. © Louis Witter

Aides aux exi­lées : les femmes au taquet

Parmi les béné­voles de l’aide aux migrant·es et aux réfugié·es, il n’y a qua­si­ment que des femmes. Ce sont elles qui, à tous âges, nour­rissent, orientent et défendent l’humanité des déraciné·es. De Calais à la cam­pagne juras­sienne en pas­sant par la ban­lieue pari­sienne, Causette les a sui­vies sur un bout de chemin.

Comme des bou­lets de canon, elles se pré­ci­pitent hors de la voi­ture lorsque se gare le convoi de CRS qu’elles viennent de pis­ter tout autour de Calais. Il fait deux degrés. C’est une « mise à l’abri », d’après le terme des auto­ri­tés. Une opé­ra­tion qui consiste − en théo­rie − à relo­ger les cen­taines de sil­houettes emmi­tou­flées. Des hommes qui viennent de pas­ser la nuit dehors, dans le meilleur cas sous des tentes. Parfois sim­ple­ment dans des sacs de cou­chage. Il y a deux camions blancs « net­toyeurs », cen­sés récu­pé­rer leurs affaires. Deux tra­duc­teurs, pour com­mu­ni­quer avec ces hommes, tan­tôt Érythréens, tan­tôt Afghans ou Soudanais. Et onze vans de police. Dans cha­cun, six officier·ères, censé·es sécu­ri­ser le tout. Et, face à eux·elles, il y a Emma, 24 ans, petite Ch’ti explo­sive au car­ré blond, un trait d’eye-liner qui lui fait des yeux de pan­thère, accom­pa­gnée d’Ada, Parisienne de 27 ans, longue queue de che­val et pom­mettes rouge feu. Deux béné­voles de Human Rights Observers (HRO) *, là pour s’assurer que tout se passe dans le res­pect de la loi. 

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Emma et Ada, de Human Rights Observers, lors d’une opé­ra­tion de « mise à l’abri »
à Calais. La police les bloque à l’écart de l’action pour les empê­cher de fil­mer. © L.W.
Des meufs face aux keufs 

La petite valse a ain­si lieu tous les deux jours à Calais. Tous les deux-​trois jours à Grande-​Synthe. Les filles de HRO (ce ne sont que des jeunes femmes de « 20–25 ans ») sont neuf pour tout cou­vrir. Elles s’organisent par deux. Se lèvent à 6 h 30. Pistent le convoi, filment et docu­mentent, seules, l’omniprésence des forces de l’ordre. Et « l’entrave à obser­va­tion » qu’elles exercent en leur refu­sant l’accès à l’opération. Puis elles passent leur après-​midi dans un pré­fa­bri­qué de 15 mètres car­rés à syn­thé­ti­ser ce qu’elles ont consta­té, à ana­ly­ser les vidéos. Car, au vu de leurs obser­va­tions, l’asso consi­dère qu’il s’agit « d’expulsions ». D’après son rap­port annuel, en 2020, 97,6 % des opé­ra­tions « n’ont pas été sui­vies de mise à l’abri effec­tive ». La note annuelle de 2021 indique 1 226 expul­sions, 141 arres­ta­tions et « au moins » 5 794 tentes et bâches sai­sies. Ce matin-​là, de 8 heures à 13 heures, le convoi déloge dix endroits. Confisque quinze tentes, selon le décompte du com­mis­saire en fin de mati­née. Sur envi­ron quatre-​vingts hommes croi­sés, aucun n’est accom­pa­gné pour être « mis à l’abri ». Ils partent ou s’écartent en réa­li­té de quelques mètres, laissent faire les véhi­cules « net­toyeurs ». Et retrouvent leur coin de boue ou de bitume. De loin (« péri­mètre de sécu­ri­té » oblige), Emma et Ada font tout pour fil­mer. Elles notent chaque phrase, chaque détail, pour lais­ser une trace de ce qu’il se passe à Calais, pour la jus­tice ou pour les médias. Elles incarnent aus­si la seule riposte face au train-​train des CRS. « Quelle est la rai­son de ce péri­mètre ? Que font les tra­duc­teurs ? Avez-​vous pour ordre de ne pas lais­ser les per­sonnes exi­lées où elles vivent ? » crient-​elles. Silence. Elles haussent le ton, font dans l’ironie, pour ren­ver­ser le rap­port de force. « Quand on pense à la voca­tion de ces per­sonnes qui sont deve­nues poli­ciers pour défendre les gens ! » Puis rede­viennent graves. « C’est en écou­tant les ordres qu’on va par­fois trop loin », met en garde Emma. 
Cet après-​midi-​là, elles devront aus­si gérer, sur le por­table de l’asso (tout en ten­tant de se réchauf­fer, col­lées au radia­teur), les appels au secours d’un homme, épui­sé de la route, qui dit renon­cer à l’Angleterre et vou­loir en finir.

Une dizaine d’ONG

C’est d’habitude les copines de l’antenne calai­sienne d’Utopia 56 (« 80 % de meufs » ici, estime l’association, par­mi une dou­zaine de volon­taires) qui s’occupent de ce genre de situa­tions. Leur cré­neau : aider les migrant·es à accé­der à leurs droits et à l’assistance d’urgence. Leur télé­phone, allu­mé vingt-​quatre heures sur vingt-​quatre, sonne quand « les gars », comme elles disent, sont per­dus en mer, ont besoin d’une cou­ver­ture pour pas­ser la nuit ou n’arrivent pas à com­mu­ni­quer avec le 115 pour deman­der un héber­ge­ment d’urgence. Une dizaine d’ONG se com­plètent de la sorte et dis­tri­buent repas, vête­ments ou aide en tout genre. Elles coha­bitent toutes – dont HRO et Utopia 56 – dans l’Entrepôt, le han­gar des assos. Sidonie, Calaisienne de 50 ans, occupe le petit local à l’entrée. Elle est un peu la gar­dienne des lieux. 

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Anne (lunettes), cofon­da­trice du pro­gramme Sara, et Helen, en balade avec des réfu­giés et deman­deurs d’asile afghans et un Yéménite, père de famille. © L.W.

On dirait Janis Joplin en mou­moute vio­lette. Elle observe le va-​et-​vient des volon­taires et les couve de loin. Elle est entrée à L’Auberge des migrants – l’asso qui cha­peaute l’Entrepôt – après avoir vu une famille pas­ser sa der­nière nuit dehors, près de son jar­din, avant la tra­ver­sée de la Manche. Depuis 2015, elle y passe son temps. « Certains gar­çons viennent me deman­der : “Sido, pourquoi[…]

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