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Affaire du petit Tony : le silence de l’entourage et du voi­si­nage face aux vio­lences intrafamiliales

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© Capture d'écran BFMTv

Mise à jour le 6 février 2021 : au terme de cinq jours d'audience, la cour d'assises de la Marne a condam­né ven­dre­di 5 février à 23h30 Loïc Vantal à une peine de 20 ans de pri­son, assor­tie d’une période de sûre­té des deux-​tiers et d’une obli­ga­tion de soins. Caroline Létoile a elle été condam­née à quatre ans de pri­son dont un avec sur­sis. Ces peines sont en deçà des réqui­si­tions du par­quet, qui avait récla­mé les peines maxi­males. « Caroline Létoile parais­sait effon­drée sans se rendre compte que cette sanc­tion est véri­ta­ble­ment mini­male. Elle espé­rait visi­ble­ment la relaxe, ce qui démontre qu'elle est encore bien loin du che­min de la recon­nais­sance de sa culpa­bi­li­té, recon­nais­sance pour­tant essen­tielle pour son deve­nir », a réagi ce same­di 6 février Jean-​Baptiste Rozes, avo­cat d'Innocence en dan­ger, par­tie civile dans le procès.

Loïc Vantal, 28 ans, com­pa­raît depuis lun­di pour avoir por­té des coups mor­tels à son beau-​fils de trois ans, en novembre 2016. “L’affaire du petit Tony”, c’est le pro­cès des vio­lences intra­fa­mi­liales mais éga­le­ment celui du silence de l’entourage et du voisinage. 

Le long du petit lit en bois. Sur le flanc de l’armoire. Sur le dos­sier du cana­pé. Au sol devant le fau­teuil. Dans la chambre paren­tale. Sur la cuvette des toi­lettes. Dans la salle de bains. Sur le sol de l’entrée. Sur le buf­fet de la salle à man­ger. En pas­sant l’appartement au révé­la­teur, les poli­ciers ont trou­vé des traces de sang de Tony, 3 ans, à peu près par­tout. Un tableau sor­dide lais­sant peu de place à l’imagination à pro­pos de ce qui s’est noué le 26 novembre 2016 au 6ème étage d’un immeuble de la place des Argonautes, à Reims. Depuis lun­di 1er février 2021, Loïc Vantal, beau-​père, et Caroline Létoile, mère, com­pa­raissent devant la cour d’Assises de la Marne pour « vio­lences volon­taires ayant entraî­né la mort sur mineur de moins de 15 ans ». 

Dans l’après-midi du 26 novembre 2016, Caroline Létoile, 19 ans, appelle le SAMU. Selon elle, son fils Tony aurait per­du connais­sance suite à une mau­vaise chute. Mise en attente par le ser­vice hos­pi­ta­lier, la jeune femme ne pen­sant pas être écou­tée fait d’accablantes décla­ra­tions. Elle s’adresse à Loïc Vantal, 24 ans, son com­pa­gnon depuis trois mois, venu s’installer dans l’appartement social qu’elle occupe avec son fils de 3 ans : « J’ai dit qu’il est tom­bé dans l’escalier il y a deux jours, qu’il arrête pas de tom­ber de son lit main­te­nant… Bah des esca­liers, ça c’est bon ? Les esca­liers du bloc … Et je cache tous les trucs de la dis­pute, là ? » 

Trente ans requis pour le beau-​père, cinq pour la mère

À leur arri­vée, les secou­ristes constatent de nom­breux héma­tomes sur le corps du petit gar­çon de 17 kilos pour 98 cen­ti­mètres. Emmené en urgence au CHU de Reims, Tony décè­de­ra une heure plus tard, d’une double rup­ture de la rate et du pan­créas cau­sée par des coups de poing por­tés à l’abdomen au cours des 48 heures pré­cé­dentes. « Il est rare qu’on voie un tel déchaî­ne­ment de vio­lences sur le corps d’un enfant », a sou­li­gné lun­di à l’ouverture du pro­cès la méde­cin légiste Béatrice Digeon, qui exerce depuis 1977. Il lui aura fal­lu dix minutes pour énu­mé­rer l’ensemble des coups por­tés à l’enfant. 150 traces, frac­tures, héma­tomes et ecchy­moses ont été rele­vées. Dont 23 seule­ment sur le visage. Béatrice Digeon, qui a pro­cé­dé à l’examen du corps, a éga­le­ment sou­le­vé que Tony a dû souf­frir de dou­leurs abdo­mi­nales extrêmes les semaines pré­cé­dant son décès. Accréditant de ce fait, la thèse de vio­lences intra­fa­mi­liales régulières.

Quatre ans après les faits, Loïc Vantal a recon­nu les actes le pre­mier jour du pro­cès. Au terme de cinq jours d’audiences, l’avocat géné­ral, Matthieu Bourrette, a requis à son encontre, ce ven­dre­di 5 février, trente ans de réclu­sion cri­mi­nelle assor­tis d’une peine de sûre­té de quinze ans. À ses côtés, Caroline Létoile com­pa­raît libre sous contrôle judi­ciaire. Elle n’est pas jugée pour avoir levé la main sur son enfant mais pour avoir lais­sé per­du­rer les actes de vio­lence dans ce huis-​clos. Pour elle, l’avocat géné­ral a deman­dé cinq ans d’emprisonnement pour « non dénon­cia­tion de mau­vais trai­te­ment et non-​assistance à per­sonne en dan­ger ». Des faits que Caroline Létoile a nié mer­cre­di 3 février à la barre. « Jamais je n’ai vou­lu pro­té­ger Loïc Vantal, je n’ai pas fait ça par amour », assurait-​elle. Pourquoi cette mère n’a pas su inter­ve­nir face à la vio­lence de son com­pa­gnon sur son petit gar­çon ? « J’ai envie de dire que j’avais peur », a‑t-​elle affir­mé. Une emprise qu’a réfu­té Jean-​Luc Ploye, doc­teur en psy­cho­lo­gie enten­du comme expert. « La peur, c’est une jus­ti­fi­ca­tion, ce n’est pas une condi­tion suf­fi­sante pour expli­quer qu’elle ne réagit pas. Caroline Létoile a la facul­té d’agir et de réagir par elle-​même. Elle peut prendre des ini­tia­tives, si elle l’a choi­si, si elle l’a déci­dé. » 

Les voi­sins, témoins trop passifs

« C’est le pro­cès de Loïc Vantal et Caroline Létoile mais c’est éga­le­ment d’une cer­taine manière celui de la lâche­té et du silence de ceux qui ont su », dénonce auprès de Causette maître Jean-​Baptiste Rozes, qui repré­sente Innocence en Danger, l’une des cinq asso­cia­tions de pro­tec­tion de l’enfance qui se sont por­tées par­ties civiles. Pour l’avocat, « l’affaire du petit Tony » est deve­nue le sym­bole de l’absence de réac­tion de l’entourage et du voi­si­nage. Car la liste est longue de ces per­sonnes plus ou moins proches ayant été témoins de la mal­trai­tance qui se jouait dans l’appartement. Mais qui n’ont rien fait, ou du moins pas assez. « On regrette beau­coup que les voi­sins ne soient pas pour­sui­vis au même titre que la mère », déplore Me jean-​Baptiste Rozes. Lors de sa plai­doi­rie ce 5 février, Jean-​Baptiste Rozes a rap­pe­lé l’importance vitale d’avertir les auto­ri­tés lors­qu’« un mur ou un pla­fond sépare de l’horreur quo­ti­dienne ».

Jonathan L., 35 ans, vivait juste en des­sous du couple Létoile-​Vantal. Venu témoi­gner à la barre, il a racon­té com­ment il avait enten­du tous les matins Loic Vantal mena­cer Tony de lui mettre « [sa] tête dans la pisse ». Jonathan L. a à nou­veau assu­ré à la cour avoir pré­ve­nu le bailleur de l’immeuble de ce qu’il se pas­sait dans l’appartement du des­sus. Il n’existe pour­tant aucune preuve de ce signa­le­ment. Jonathan L. raconte cette his­toire à nou­veau, et pour cause : il a été jugé par deux fois pour « non-​dénonciation de mau­vais trai­te­ments ». Par deux fois, il a été relaxé. Par le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Reims en octobre 2019 puis par la cour d’appel en décembre 2020. La com­pa­ru­tion de Jonathan L. avait par ailleurs divi­sé les asso­cia­tions de pro­tec­tion de l’enfance. La voix de l’Enfant et L’Enfant bleu affir­maient que ce voi­sin avait fait ce qu’il avait pu et qu’une condam­na­tion ris­que­rait de décou­ra­ger toute per­sonne de signa­ler un cas de mal­trai­tance à l’avenir. À l’inverse, Innocence en Danger, plai­dait que Jonathan L. aurait dû faire plus et devait être condam­né pour cela. « Savoir que c’est un délit ne peut qu’amener les gens à faire leur devoir c’est-à-dire aler­ter », sou­tient Jean-​Baptiste Rozes. Le par­quet géné­ral a annon­cé se pour­voir en cas­sa­tion contre l’arrêt de la cour d’appel de Reims le 6 jan­vier der­nier, esti­mant que Jonathan L. a bel et bien des choses à se repro­cher. Il encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. 

Katia L., voi­sine de palier de 46 ans, aurait éga­le­ment tout enten­du des vio­lences répé­tées pré­cé­dant la mort du petit Tony, juste en face de chez elle. Entendue comme témoin au deuxième jour de ce pro­cès, elle a racon­té les cris et les san­glots de l’enfant qu’elle enten­dait de l’autre côté de la cloi­son. Elle parle aus­si de la ter­rible insulte – « bâtard » – dont Loïc Vantal affu­blait régu­liè­re­ment son beau-​fils. Katia L. déclare avoir ten­té de faire quelque chose : elle inter­roge Caroline Létoile sur les bleus qui par­sèment le visage de Tony. La mère lui rétorque que son fils, hyper­ac­tif, est tom­bé à l’école. Katia L. n’a pas insis­té. Une semaine plus tard, Tony meurt sous les coups de Loïc Vantal. 

Les voi­sins. Mais aus­si la direc­trice de l’école mater­nelle de Tony qui avait bien remar­qué les bleus, et à qui la mère assu­rait que l’enfant était tom­bé à la mai­son. Mais éga­le­ment des ami·es et les propres membres de la famille de Tony – dont le père de l’enfant – à qui Caroline Létoile affir­mait que son fils était tom­bé à l’école. Tout porte à croire que toutes et tous soup­çon­naient la vio­lence subie par Tony. Personne, pour autant, n’a aver­ti la police ni appe­lé le 119. « Dans l’affaire Tony, on s’est ren­du compte qu’un coup de télé­phone aurait pu sau­ver l’enfant », regrette Jean-​Baptiste Rozes. 

Contrairement à Jonathan L. qui avait indi­qué à la police « avoir enten­du des cris et des pleurs tous les matins », ni Katia L. ni la direc­trice d’école n’ont été pour­sui­vies pour « non-​dénonciation de mau­vais trai­te­ments ». Un regret de plus pour l’avocat d’Innocence en danger.

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