Depuis six mois et au terme d’un périple mouvementé pour fuir le régime des
talibans, l’Institut national de musique d’Afghanistan s’est établi à Lisbonne, au Portugal. Les jeunes musicien·nes font aujourd’hui l’expérience douloureuse de l’exil, mais continuent de jouer en attendant de reconstruire leur école en Europe.
Le jour où les talibans sont arrivés aux portes de Kaboul, en août 2021, Marzia était à l’école de musique. Soudain, quelqu’un est entré dans l’établissement pour avertir les jeunes et leur conseiller de rentrer chez eux·elles au plus vite. « Nous avons tout laissé sur juste partis », se rappelle l’adolescente. Cette joueuse d’alto au regard mature sous une frange et un chignon soignés, aujourd’hui réfugiée à Lisbonne, est l’une des élèves à l’Institut national de musique d’Afghanistan (Anim). Créée en 2010 par Ahmad Naser Sarmast, un épatant ethnomusicologue afghan, la seule école de musique classique et traditionnelle du pays accueillait alors dans ses murs environ trois cents élèves âgé·es de 9 à 20 ans, dont plus d’un tiers de filles. Depuis douze ans, les élèvesdu docteur Sarmast ont écumé les scènes les plus prestigieuses du monde : Carnegie Hall, British Museum, Forum économique de Davos… L’Anim a même reçu le Polar Music Prize – récompense suédoise – en 2018.
Marzia est l’une des cheffes de l’orchestre 100 % féminin de l’institut. Dénommé « Zohra », celui-ci a vu le jour en 2015 et est composé d’instruments traditionnels afghans et européens classiques. Il rassemble une trentaine de jeunes musiciennes venues de tout le pays. Ces adolescentes, pauvres pour la plupart, ont parfois dû braver des familles conservatrices pour réaliser leur rêve de musique. Rêve qui les a emmenées à Zurich, à Berlin, à Londres ou encore à Sydney. Les concertistes, en vêtements traditionnels aux couleurs de la culture afghane, ont ému des milliers de spectateur·rices. Pour Marzia, qui n’aimait rien tant que le diriger, appartenir à cet ensemble était synonyme d’émancipation : les filles de l’orchestre Zohra jouaient « pour leur liberté ». L’existence même de l’orchestre, lieu de communauté, d’émulation et d’amitiés féminines, était un défi aux franges les plus traditionalistes du pays. Un groupe d’adolescentes autonomes, voyageant en tournée, jouant sur scène, s’exprimant devant le public et les caméras, avec fierté et audace… Jusqu’à ce terrible coup[…]