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Justaucorps inté­gral et fin de l’hypersexualisation des femmes en gym­nas­tique : geste fort ou faux débat ?

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Le 5 mai sur son compte Instagram, la championne Sarah Voss a posté cette photo de sa prestation aux Championnats d'Europe de gymnastique à Bâle fin avril 2021, accompagnée de la mention #ItsMyChoice, "#CestMonChoix".

Aux cham­pion­nats d’Europe de gym­nas­tique de Bâle, en Suisse, cer­taines ath­lètes ont délais­sé le jus­tau­corps tra­di­tion­nel pour une com­bi­nai­son cou­rant jusqu’aux che­villes. Le but : en finir avec l’hypersexualisation du corps des gym­nastes. Si, dans le milieu, l’initiative a été glo­ba­le­ment saluée, le jus­tau­corps long reste sujet à controverse.

« Un signal impor­tant. » C’est ce qu’a vou­lu lan­cer la gym­naste alle­mande Sarah Voss lors des cham­pion­nats d’Europe à Bâle, fin avril, en concou­rant en jus­tau­corps inté­gral. Pour elle, comme deux de ses coéqui­pières (Elisabeth Seitz et Kim Bui) : exit le maillot échan­cré, place à la com­bi­nai­son pailletée.

Par cette ini­tia­tive, ces jeunes femmes comptent dénon­cer l’hypersexualisation des gym­nastes. Susciter une réflexion autour de la mise en scène du corps au sein de ce sport où la réus­site s’incarne aus­si dans l’affirmation de sa féminité.

L’action des Allemandes a eu un reten­tis­se­ment média­tique fort, s’inscrivant dans la lignée du mou­ve­ment #MeToo. Les affaires d’abus sexuels n’ont en effet pas épar­gné le monde de la gym­nas­tique. Un exemple très média­ti­sé, pour­tant loin d’être le seul : l’ancien méde­cin de l’équipe natio­nale amé­ri­caine, Larry Nassar, accu­sé par plu­sieurs gym­nastes dont la cham­pionne Simone Biles d’avoir agres­sé sexuel­le­ment des cen­taines de spor­tives entre 1998 et 2015, a été condam­né à la pri­son à per­pé­tui­té en 2018.

Ouvrir la voie ?

Chez les gym­nastes, la parole se libère et s’ensuit d’actes. L’épisode du jus­tau­corps inté­gral en est une démons­tra­tion. En ce sens, Sarah Voss fait figure d’exemple. « Elle ouvre une porte pour d’autres jeunes filles, faire bou­ger les lignes », décrypte Patricia Costantini, cofon­da­trice du col­lec­tif Egal-​Sport, enga­gé dans l’égalité femmes-​hommes dans le sport.

La démarche de Sarah Voss a été applau­die sur les réseaux sociaux , notam­ment par les gym­nastes fran­çaises Mélanie De Jesus Dos Santos, pré­sente à Bâle, et Lorette Charpy, qua­druple médaillée au niveau euro­péen. D’autres concur­rentes ont été plus mesu­rées, à l’instar de la Russe Angelina Menilkova. Pour elle, le choix de l’Allemande était « inha­bi­tuel » mais « joli ». Ce sur quoi s’accorde la Britannique Jessica Gadirova, pour carac­té­ri­ser ce « nou­veau type de tenue ».

Pas si nou­veau que ça, selon Camille Rey, juge fran­çaise au niveau natio­nal : « Cela fait vingt ans que le code [de poin­tage en gym­nas­tique, qui recense les caté­go­ries d’acrobaties et les fautes rela­tives à leur réa­li­sa­tion, ndlr] auto­rise les gym­nastes à choi­sir leur jus­tau­corps en épreuve indi­vi­duelle, manches courtes ou longues. » D’autant qu’à la Fédération fran­çaise de gym­nas­tique, certain·es juges et entraîneur·euses, mais aus­si gym­nastes consi­dèrent la pres­ta­tion de Sarah Voss comme « un non-​événement », la com­bi­nai­son étant auto­ri­sée « depuis des années ». Enfin, concou­rir en maillot inté­gral n’enfreint pas les règles en com­pé­ti­tion inter­na­tio­nale, abonde Patricia Costantini. « Exploiter le règle­ment est une bonne chose : si cela per­met à la femme d’être plus à l’aise, rien ne doit l’empêcher de s’en emparer. »

« Faux débat »

Ce qui gêne, en revanche, c’est le contraste entre la média­ti­sa­tion du geste de la Germanique et celle de ses homo­logues des pays arabes pour avoir por­té une tenue simi­laire, comme la Qatarie Aljazy Al-​Habshi à Doha, en 2013. D’un côté, une action accla­mée, qua­li­fiée d’innovation. De l’autre, un accou­tre­ment cri­ti­qué, accu­sé de contraindre les femmes à se cou­vrir le corps au nom de la reli­gion et de mettre en péril la neu­tra­li­té du sport. Neutralité ins­crite dans la charte du Comité inter­na­tio­nal olym­pique (CIO), dont la règle 50.2 n’autorise « aucune sorte de démons­tra­tion ou de pro­pa­gande poli­tique, reli­gieuse ou raciale dans un lieu, site ou autre empla­ce­ment olym­pique ». « On valo­rise l’Allemande pour sa reven­di­ca­tion, mais on dénonce le style des autres par peur de se retrou­ver avec des gym­nastes voi­lées ? Ce deux poids/​deux mesures n’est pas nor­mal. C’est un faux débat », conclut Camille Rey.

Sarah Voss sera-​t-​elle en com­bi­nai­son aux Jeux de Tokyo ? Il fau­dra attendre les résul­tats des qua­li­fi­ca­tions internes alle­mandes pré­vues avant l’été pour savoir si, déjà, elle fera par­tie de l’équipe natio­nale olym­pique. Et donc, si elle compte se vêtir comme à Bâle. Cela ne dépend pas que d’elle, car les règles sont strictes, sur­tout aux JO : tenue iden­tique pour toute l’équipe. À ce stade, l’Allemagne n’a pas annon­cé opter pour un jus­tau­corps intégral.

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