Dans le district chinois de Jiangyong, un système d’écriture uniquement utilisé par les femmes a longtemps existé. Déclarations d’amitié, conseils, les mots de l’intime s’échangeaient entre amies et proches. Officiellement éteint en 2004, il est devenu une marchandise.
Malgré son grand âge, Yi NianHua, installée à sa table, écrit en lettres fines sur un morceau de journal. Les années 1980 battent leur plein, mais la vieille femme, née au début du siècle, s’adonne à un exercice qu’elle est l’une des dernières à pratiquer : écrire en nüshu, l’« écriture de femmes ». Cette langue, employée uniquement par celles-ci dans la région de Jiangyong, à cinq heures de route de Hongkong, au nord-ouest, n’a été découverte au-delà de cette province qu’à la fin du XXe siècle. « Un chercheur de l’université de Wuhan a sorti un ensemble de travaux sur le nüshu à ce moment-là », se remémore Cathy Silber, professeure de chinois au Skidmore College (État de New York), qui en a fait l’un de ses objets de recherche.
L’origine de ce dialecte genré, « le seul au monde » connu comme tel, reste entourée de mystère. Certaines théories situent sa création à de lointaines périodes de l’Antiquité, d’autres s’en remettent à une légende : celle d’une concubine d’empereur du XIe siècle, qui s’exprimait avec sa famille en nüshu pour évoquer ses malheurs. Ce système d’écriture codé reprend, en effet, chaque syllabe du dialecte local pour les transformer en symboles. Une syllabe équivaut donc à un symbole. Le nüshu en contient ainsi plus de mille en tout que seules les femmes partageaient, sur un territoire minuscule à l’échelle du pays. Mais les vraies racines de ce système et l’élaboration de son fonctionnement restent floues.
« Il se pourrait même qu’il ne fût pas utilisé que par les femmes au départ, mais que, quand les hommes ont appris le chinois traditionnel, elles s’en soient emparées », explique Cathy Silber. Les écrits d’origine ont, en outre, souvent disparu ou été détruits après la révolution culturelle chinoise.
Mais quand on découvre enfin le nüshu, appelé également écriture de moustique pour ses formes fines et allongées, à la fin des années 1980, les rares femmes qui le pratiquent encore commencent à vieillir. En 2004 meurt la dernière tenante de la tradition, Yang Huanyi.
Entretenir les liens
Dans cette région rurale de Jiangyong,[…]