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Allemagne : une vague néo­na­zie de menaces de mort à l’encontre des femmes

evrim sommer hoffotografen
Evrim Sommer, dépu­tée Die Linke au Bundestag.
© Hoffotografen

Elles sont acti­vistes, artistes, poli­tiques… Elles ont une voix et de l’envergure. Elles sont libres de dire ce qu’elles veulent et ça dérange. Les néo­na­zis, en tout cas, qui les ciblent, elles et leurs familles. Bienvenue dans l’affaire des menaces de mort de la « NSU 2.0 ». Un épi­sode qui inquiète l’Allemagne depuis plu­sieurs années et qui connaît ces der­niers mois une inquié­tante accélération.

Par mail, par SMS ou par fax. Au moins soixante-​neuf mes­sages mena­çants ont été envoyés cet été à une tren­taine de per­son­na­li­tés publiques ou poli­tiques de tout bord. Le phé­no­mène concerne, pour le moment, huit régions du pays. Et il n’est pas sûr que ce décompte, four­ni par Peter Beuth, le ministre de l’Intérieur de la Hesse, soit exhaus­tif. Parmi les vic­times, Janine Wissler, la vice-​patronne du par­ti de gauche Die Linke, a été plu­sieurs fois la des­ti­na­taire de ces mes­sages signés « NSU 2.0 » sui­vis d’un « Heil Hitler ». NSU, cela fait réfé­rence au Parti natio­nal socia­liste sou­ter­rain qui, entre 1998 et 2011, a com­mis une série d’attentats et de crimes racistes qui ont trau­ma­ti­sé l’Allemagne.

D’ordinaire, l’extrême droite cible prio­ri­tai­re­ment ses boucs émis­saires : les Juifs et les mino­ri­tés. Mais « des femmes mena­cées de cette manière et avec cette inten­si­té, c’est une nou­veau­té », nous déclare Hajo Funke, l’un des meilleurs connais­seurs des néo­na­zis d’outre-Rhin. Parmi les autres des­ti­na­taires des menaces : l’artiste Idil Baydar, qui publie sur YouTube des comé­dies grin­çantes sur le racisme entre­cou­pées d’accent turc et de gouaille ber­li­noise. Maître Seda Basay-​Yildiz, une avo­cate franc­for­toise qui a repré­sen­té la famille d’Enver Simsek, un mar­chand de fleurs d’origine turque tom­bée sous les balles de la NSU il y a vingt ans. Ou encore Evrim Sommer, dépu­tée du Bundestag, le par­le­ment fédé­ral, qui dirige le groupe par­le­men­taire de gauche Die Linke au sein de la plus haute ins­tance démo­cra­tique alle­mande. Dans son bureau, dans lequel elle nous reçoit, ses éta­gères sont pleines de livres et de maga­zines sur la cause kurde. Toutes ont en com­mun des ori­gines étran­gères. Ou des prises de posi­tion antiracistes.

« Les mili­tants d’extrême droite ont tou­jours esti­mé que la place de la femme était au foyer… Les femmes qui sortent et qui prennent la parole en public rompent cette norme »

Helgard Kramer, de l’Université libre de Berlin

Mais le racisme ne suf­fit pas à lui seul à expli­quer ces menaces. La poli­ti­cienne Janine Wissler, la pré­sen­ta­trice de télé Maybrit Illner, et d’autres femmes alle­mandes sans ori­gine étran­gère ont éga­le­ment été prises pour cible. Il faut sur­tout com­prendre que, pour les néo­na­zis, celles qui se dédient à une cause poli­tique, artis­tique ou sociale, qui n’ont pas la langue dans leurs poches, les dérangent for­te­ment dans leur vision des femmes. « Je crois que les mili­tants d’extrême droite ont depuis tou­jours esti­mé que la place de la femme était au foyer, à la mai­son. Les femmes qui sortent et qui prennent la parole en public rompent cette norme », explique la pro­fes­seure Helgard Kramer, de l’Université libre de Berlin.

Les menaces, la dépu­tée Evrim Sommer connaît… Sa famille kurde alé­vie a été contrainte de fuir la Turquie en rai­son de l’engagement poli­tique de son père. Son nom figu­rait sur une liste de cibles à abattre par la junte mili­taire turque. Autre temps, autre pays, mêmes méthodes : en Allemagne, les noms d’Evrim Sommer et de son mari ont eux aus­si été retrou­vés par la police sur une autre sorte de liste : une « liste d’ennemis » rédi­gée par les néo­na­zis. « C’est un clas­sique de l’extrême droite », nous dit au bout du fil Hajo Funke. C’est une ana­lo­gie au putsch de 1923 et à la prise de pou­voir d’Hitler. Il exis­tait une liste de gens à arrê­ter à la suite de la ten­ta­tive de coup d’État », rajoute le poli­to­logue. Le fan­tasme du coup de force qui met­trait à terre la démo­cra­tie alle­mande reste très pré­sent chez les néo­na­zis. Un putsch bien orga­ni­sé doit néces­sai­re­ment s’accompagner de per­sonnes à arrê­ter. D’où l’intérêt des listes de noms. Un peu comme celle déjà sai­sie en 2016 dans les milieux néo­na­zis à Berlin et qui com­por­tait plus de cinq cents noms. Aujourd’hui, ces com­pi­la­tions de patro­nymes, de pho­tos et de don­nées per­son­nelles, on en comp­te­rait dix mille en Allemagne, selon Hajo Funke. La police a encore bien du mal à mesu­rer le niveau de dan­ger que repré­sente le fait d’y être inscrit·e. Et pourtant.

« Si ceux qui nous menacent n’étaient pas dan­ge­reux, je leur dirais qu’ils sont des couilles molles »

Evrim Sommer, dépu­tée au Bundestag

L’année der­nière, l’Allemagne a été endeuillée par la mort de Walter Lübcke, un membre émi­nent de la CDU, pré­fet de Cassel (Hesse). Lübcke, connu pour ses prises de posi­tion contre Pegida (le mou­ve­ment d’extrême droite, raciste, lan­cé en 2014, qui mani­feste régu­liè­re­ment contre l’arrivée des migrant·es en Allemagne) et pour l’accueil des réfugié·es, a été abat­tu chez lui d’une balle dans la tête par un sym­pa­thi­sant de l’extrême droite qui a recon­nu les faits devant ses juges. Et jus­te­ment, « Sale pute com­mu­niste, tu vas finir comme Lübcke » fai­sait par­tie des char­mants mes­sages envoyés à cer­taines femmes. « Tout ça, c’est dans le but de nous faire taire », ana­lyse la dépu­tée Evrim Sommer. Et ça marche ? « Ah, mais pas du tout ! » sourit-​elle. Un brin d’optimisme alors que le fond de l’air est vrai­ment plus que frais en Allemagne : incen­dies de centres de migrant·es en 2015, atten­tat anti­sé­mite de Halle-​sur-​Saale en 2019, dis­so­lu­tion en août d’une com­pa­gnie de forces spé­ciales de l’armée (KSK) trop por­tée sur les saluts hit­lé­riens… Cette nou­velle affaire semble être la suite de cette macabre série. « Si ceux qui nous menacent n’étaient pas dan­ge­reux, je leur dirais qu’ils sont des couilles molles », dit avec aplomb Evrim Sommer. Elle marque une pause et se fige : « Si seule­ment ils n’étaient pas dan­ge­reux ».

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