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La chro­nique de Cathy Yerle I Cordon sanitaire

Capture d’écran 2022 01 24 à 23.10.34

"En ce pre­mier jour de l’année, j’attends la visite de Lila, ma fille, ma fier­té, mon bébé. Dernièrement, elle s’est un peu éloi­gnée. Pourtant, on a une rela­tion presque idéale : on s’aime fort, on est sur la même lon- gueur d’onde. Il me tarde de la ser­rer dans mes bras, d’échanger, de par­ta­ger nos pro­jets pour 2022.

Elle arrive à l’avance, je suis sur le divan en train de patien­ter avec un bou­quin. Elle dépose un bisou sur ma joue et, avant même que je puisse lui sou­hai­ter le meil- leur, elle me dit : « Tu sais Maman, je ne vais pas pou- voir res­ter. Je suis juste venue t’annoncer que, pen­dant un cer­tain temps, ce serait bien qu’on ne se voie plus. Du tout. » Heureusement, le divan est bas, je ne tombe pas de haut. Je ravale les larmes qui se bous­culent sous mes pau- pières et je dis, l’air faus- sement décontracté :

« Ah bon ? Mais pour­quoi donc ma ché­rie ?
– Ce serait trop long, je suis en train de t’écrire une lettre pour t’expliquer. En bref, c’est une his­toire de cor­don à cou­per et ma psy pense qu’il faut que je me recentre sur moi-​même.
– Tu vois une psy ? Mais pourquoi ? »

Elle me raconte qu’elle se sent mal, qu’elle pleure sou­vent, que ça vient pro­ba­ble­ment de la drôle de période que le monde tra­verse, l’incertitude, le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, la parole nau­séa­bonde libé­rée, mais aus­si, peut-​être, de l’enfance. Et donc du cordon.

Touchée en plein cœur, je pro­fère un flo­ri­lège de petites phrases assas­sines dont la fameuse « À ce prix-​là, moi aus­si je veux bien faire psy ». J’enchaîne avec le fameux cor­don qui avait bien failli l’étrangler il y a vingt ans, et que son père

avait cou­pé. Juste avant de s’évanouir. Je raconte que moi aus­si, à l’époque, j’étais jeune et angois­sée. La peur d’être une mau­vaise mère, engluée dans les odeurs de lait, de caca, les dou­leurs de seins cre­vas­sés, de vulve déchi­rée, d’hémorroïdes explo­sées. Et ce petit bout de cor­don nécro­sé, qu’il fal­lait soi­gner, qui n’en finis­sait pas de tom­ber, qui me don­nait la nausée.

Lila me répond que je ramène tout à moi, qu’elle en a marre d’être rede– vable, de devoir tenir son rôle d’enfant idéale. Elle a besoin de décons­truire pour construire son propre che­min. Elle me rap­pelle que moi aus­si j’ai fait ça avec Mamie.

Là, son fran­gin débarque avec son tout nou­veau cos- tume de judo, prêt pour une démons­tra­tion, impa­tient de mettre sa grande sœur au tapis. Il nous regarde, demande si on joue au roi du silence, je me mets à pleu­rer. Il dit que ce serait bien que je vois un·e psy, Lila rigole. Enfin.

J’essaie de cho­per le mor­veux par le col du kimo­no et de lui faire un O‑soto-​gari, mais je me prends les pieds dans le tapis et j’atterris à plat ventre aux pieds de son père, qui arrive du froid avec le champagne.

Blessée dans mon orgueil et un peu au genou, je bou- gonne que tout ça, c’est de sa faute, parce qu’il n’a pas bien cou­pé le cor­don, que SA fille en se regar­dant le nom­bril d’un peu trop près, vient de s’apercevoir qu’il en reste encore un bout et que ça nous pro­met une bonne année ! Puis je repars en boi­tillant vers mon divan afin d’y ana­ly­ser plus serei­ne­ment la situation."

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