Romancière et metteuse en scène de théâtre accomplie, Alice Zeniter s’essaie avec bonheur au cinéma. Avant l’effondrement, coécrit avec Benoît Volnais, est une fable politique portée par Niels Schneider et Ariane Labed. Rencontre avec une néo-cinéaste joyeusement révolutionnaire…
Causette : Votre film s’articule autour de deux effondrements : celui de Tristan, le personnage principal, et celui de la planète, menacée par une crise écologique majeure. Pourquoi cet effet miroir entre l’intime et le collectif ?
Alice Zeniter : Parce que c’était justement ça, la question que nous voulions poser avec Benoît [Volnais, coauteur et coréalisateur] : comment on arrive à vivre alors que l’avenir est menaçant, sinon bouché ? Oui, ça veut dire pourquoi tomber amoureux, faire un enfant dans ces conditions ? La crise écologique est un thème brûlant, qui touche tout le monde, mais on a voulu que ce soit encore plus intense en l’incarnant à travers Tristan. Ce trentenaire est peut-être atteint d’une maladie génétique mortelle, mais il ne cherche pas à savoir et fait comme si de rien n’était. Jusqu’au jour où il reçoit ce courrier anonyme, avec un test de grossesse positif…
Tristan est un personnage atypique : directeur de campagne d’une candidate aux législatives, il est dans l’action, avant de s’effondrer. Serait-ce pour déconstruire le modèle du héros classique, l’une de vos marottes ?
A. Z. : Il ne s’appelle pas Tristan pour rien [sourire] ! Avec lui, on a en effet un personnage romantique à l’ancienne, qu’on a beaucoup vu dans les romans et dans les films, qui accomplit plein de choses et ne s’arrête jamais… Jusqu’au moment où il se pose la question : à quoi bon ? Où il se met en retrait, voire à l’arrêt. C’est alors que le récit se décentre de la trajectoire individuelle du héros blanc, beau et rêveur… Et c’est alors que Tristan laisse un peu plus de place aux autres, notamment aux femmes qui l’entourent.
Un bouquet de femmes dynamiques, engagées et résolues, accompagne Tristan. Nul hasard, là encore ?
A. Z. : Bien sûr ! Car, dès le départ, nous avions l’idée, consciente et militante, de faire porter le discours politique par les femmes. Naïma, la candidate, est une femme, et les deux personnages qui s’interrogent sur la possibilité d’une révolution ou d’un effondrement, Fanny et Pablo, sont aussi des femmes. On inverse la dynamique habituelle, notamment lors d’une séquence de 8 minutes, à table, où elles confrontent leurs deux visions du monde, à la façon d’un duel, et où elles sont les seules à parler. Fanny est à la fois marxiste et joyeuse. Elle a un vrai appétit pour la révolution. J’ai eu beaucoup de plaisir à la créer. Quant à Pablo, c’est un nom de guerre, adopté en référence à Pablo Servigne, un auteur qui s’est beaucoup intéressé à la collapsologie.
Votre film multiplie les ruptures de ton, entre mélancolie et plaisanteries. Et la dimension théâtrale de votre écriture crée même une forme de distance, d’ironie…
A. Z. : Ces différentes tonalités viennent vraiment du fait que l’on a écrit ensemble, Benoît et moi. On n’a pas du tout le même rapport au monde ni à l’amour. Je suis quelqu’un d’optimiste, alors qu’il est beaucoup plus mélancolique. Disons, pour faire court, que Fanny est une projection exagérée de moi, tandis que Tristan est une projection exagérée de Benoît [rires] !
Avant l’effondrement, d’Alice Zeniter et Benoît Volnais