En marketing comme en politique, tout est une question de branding. Ainsi de ce caillou jusqu’ici inhabité au large d’Istanbul : ne dites plus Yassiada mais « île de la démocratie et de la liberté ». Après cinq ans de travaux – avec destruction systématique des arbres de Yassiada pour laisser place au bétonnage –, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, vient d’inaugurer en grande pompe l’île transformée et ses nouvelles infrastructures : un palais des congrès, un hôtel et des restaurants huppés, une immense mosquée de 1 200 places (pour zéro habitant à l’année) et un musée à la mémoire du Premier ministre Adnan Menderes, emprisonné par l’armée à Yassiada et exécuté sur une île voisine en 1961.
« Avec ce musée et le nouveau nom de l’île, Erdogan a dans l’idée de faire de cet homme politique, qui incarne la droite libérale mais conservatrice, un martyr », analyse Alican Tayla, enseignant à l’Inalco* et chercheur à l’Institut français de géopolitique de Paris-VIII. Mais derrière ce rebranding se cache aussi le caractère malicieux du Premier ministre à la main de fer : « S’il n’y avait pas tous ces reproches, dans le pays comme à l’international, quant à la sévérité de la répression et des emprisonnements politiques, observe Alican Tayla, je suis certain qu’il n’aurait pas choisi ce nom pour cette île. » Le comble ? D’après les informations du Monde, l’îlot servira de point d’accueil à Erdogan pour les dignitaires internationaux… Mais restera fermé au public. « Jusqu’ici, appuie Tayla, aucune navette ne permet d’accéder à l’île depuis Istanbul, et rien n’indique que cela s’apprête à changer. »
* Institut national des langues et des civilisations orientales.