Elle irradie tellement sur les planches de la Scala à Paris dans la peau de Gisèle Halimi que la pièce Une farouche liberté, adaptée du dernier entretien que la mythique avocate a donné avant sa mort, est prolongée jusqu’en avril. Ariane Ascaride y incarne une figure dont les engagements résonnent en elle, « femme de gauche », répète-t-elle : défendre les femmes, les pauvres, les victimes de la colonisation. Des combats que l’actrice mène depuis toujours, sans fin, épuisants, mais heureux !
Causette : Quel lien entreteniez-vous avec la figure de Gisèle Halimi avant de l’interpréter ?
Ariane Ascaride : Je n’avais pas d’attachement particulier à elle parce que je pense que Gisèle Halimi a tout fait pour passer pour une grande bourgeoise. Les cheveux, la manière de parler… elle a tout adapté. Cela demande un travail incroyable ! Moi, j’avais l’accent du Sud. Je n’ai pas eu ce truc de vouloir passer pour une bourgeoise. Ça tient peut-être à mon physique. Elle, elle était grande, fine, élégante. Moi, je suis partie dans un autre sens. Mais c’est quelque chose qui me touche profondément parce que je connais, je comprends.
Quelle part de l’engagement de Gisèle Halimi admirez-vous le plus ?
A. A. : Ce qu’elle a fait dans le cadre de la guerre d’Algérie. On ne mesure pas ce que son engagement voulait dire. Elle était d’un courage incroyable. Quand tu penses que dans les années 1960, elle défendait des membres du Front de libération nationale (FLN) ! On la traitait de « pute à bicot ». Comme on l’entend dire pendant le spectacle, elle a voulu être avocate pour SE défendre d’abord. Elle dit qu’elle va se battre avec les mots. Elle décide de défendre une jeune femme, Djamila Boupacha 1, pour lui éviter la peine de mort. Gisèle Halimi part au combat non seulement enétantunefemme–orilyatrèspeu d’avocates pendant la guerre d’Algérie –, mais en ayant aussi des enfants petits. Elle joue sa vie pour elle ! Car pour ça, elle se retrouve en prison et court le risque d’être fusillée par les Français. Elle qui adore la France, la littérature française, la loi française… Je pense que c’est précisément parce qu’elle a vécu ça qu’elle a pu, ensuite, faire le procès de Bobigny en 1972. Elle n’a pas eu peur parce que l’Algérie lui a donné la force pour se faire cracher dessus, se faire traiter de pute, de monstre, de salope. À Bobigny, il y avait les filles : Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig. En Algérie, il n’y avait personne.
« Il est fondamental de désobéir. »
Quand la loi n’est pas respectable, Gisèle Halimi ne la respecte pas. C’est pourquoi elle a d’ailleurs eu du mal à prêter serment, à jurer qu’elle honorerait les tribunaux… Aujourd’hui, à quoi faut-il désobéir ?
A. A. : Il est fondamental de désobéir. Mais il ne faut pas désobéir n’importe comment. Il ne s’agit pas de chercher à être original. La vraie désobéissance est une désobéissance politique, idéologique. Au départ, pour Gisèle Halimi, c’est même une désobéissance sensible. Elle ne comprend pas, enfant, pourquoi il faut se taire quand on est une fille. C’est un truc que je comprends très bien. Si tu subis le quotidien, c’est parce que tu ne l’as pas ouvert à un moment donné. Si tout le monde se met à parler, on n’a plus besoin de courage parce qu’on devient vachement plus nombreux que ceux qui se taisent.

©Thomas O'brien
Philippine Pierre-Brossolette, qui incarne Gisèle Halimi en duo avec vous, est à l’origine de cette pièce. Comment s’est développée votre collaboration ?
A. A. : Si j’ai fait ce spectacle avec elle, c’est parce qu’on est liées par un moment de vie et de mort très fort survenu dans notre entourage, que je ne développerai pas. Quand Philippine m’a proposé de jouer la pièce avec elle, je pense que j’ai accepté pour ça. C’est mon côté[…]