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Faut-​il un Grenelle sur les vio­lences conjugales ?

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© Sydney Sims

Mardi 3 sep­tembre se tien­dra le pre­mier « Grenelle » contre les vio­lences conju­gales sous l’égide de Marlène Schiappa, secré­taire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Selon le gou­ver­ne­ment, qui l’a annon­cé début juillet à la suite d’une mani­fes­ta­tion des asso­cia­tions, il s’agira d’une « jour­née de mobi­li­sa­tion natio­nale pour lut­ter contre ces vio­lences et faire connaître le numé­ro d’urgence, le 3919 ». Suffisant ? Au vu des dys­fonc­tion­ne­ments des sys­tèmes judi­ciaire et poli­cier, qui ne par­viennent tou­jours pas à pro­té­ger les vic­times, on est en droit de se poser la question.

Michèle Idels

Coprésidente de l’Alliance
des femmes pour la démocratie 

« Absolument. Ce Grenelle doit faire prendre conscience de l’ampleur des vio­lences faites aux femmes. C’est une condi­tion sine qua non pour que des mesures effi­caces soient mises en œuvre. Antoinette Fouque, fon­da­trice de l’Alliance des femmes, a d’ailleurs appe­lé ce Grenelle de ses vœux dès 2008. 
En fait, il y a un para­doxe : depuis cin­quante ans, les droits des femmes n’ont ces­sé d’avancer. Mais si les mesures comme le bra­ce­let élec­tro­nique ou l’ordonnance de pro­tec­tion existent dans la loi, elles ne sont pas assez appli­quées. Et les vio­lences res­tent très peu sanc­tion­nées. Les condam­na­tions pour viol ont bais­sé de 40 % en dix ans, et celles pour vio­lences sexuelles de plus de 20 %, alors que le nombre de plaintes a aug­men­té. L’Espagne est le seul pays ­d’Europe à avoir adop­té une loi glo­bale à ce sujet [dès 2004, ndlr]. Elle pré­voit à la fois des héber­ge­ments pour femmes, des tri­bu­naux spé­ciaux, des cam­pagnes de mobi­li­sa­tion… Et les fémi­ni­cides ont bais­sé. Suivons-​la. J’ajouterais que la France, pays d’accueil du G7 cet été, doit avoir un rôle moteur. » 

Sophie Auconie

Députée UDI d’Indre-et-Loire,
autrice d’un rap­port par­le­men­taire
sur les vio­lences sexuelles

« Non. Au-​delà du temps per­du, ce Grenelle coûte de l’argent. Il faut finan­cer des tables rondes, louer une salle, offrir du café et des made­leines… Cet argent, il vau­drait mieux l’attribuer à des pro­jets concrets, comme la créa­tion de centres d’accueil en urgence des vic­times d’agressions (Cauva). Il n’en existe pour l’instant qu’un à Bordeaux. 
Lorsqu’une femme s’y rend, elle est reçue par un méde­cin spé­cia­li­sé. Il sait qu’après un trau­ma­tisme, le récit d’une vic­time est impré­cis et inco­hé­rent, car elle est en état de sidé­ra­tion. Là où quelqu’un qui n’est pas for­mé – comme aujourd’hui la police, la gen­dar­me­rie ou le per­son­nel hos­pi­ta­lier – dirait “elle ne dit pas la même chose, elle ment”, au Cauva, la vic­time a le temps de se cal­mer, de se mettre en situa­tion de confiance. Elle prend une douche, elle se change. Puis on la met en rela­tion avec les ser­vices sociaux pour l’éloigner de son conjoint. Le Cauva conserve aus­si les preuves pen­dant trois ans, ce qui laisse le temps à la vic­time de por­ter plainte. Chaque dépar­te­ment devrait avoir son Cauva. C’est quand même plus utile que du blabla ! » 

Féminicides par com­pa­gnons ou ex 

Une membre du collectif


« Nous avons été un peu cho­quées par le fait que la date du Grenelle ait été fixée selon un plan de com­mu­ni­ca­tion pour coïn­ci­der avec le numé­ro ­d’urgence 3919 [3/​9/​19 : 3919. Marlène Schiappa a indi­qué avoir choi­si exprès cette date, ndlr]. Pendant qu’on attend le 3 sep­tembre, des hommes conti­nuent de tuer leur conjointe.
La réac­tion du gou­ver­ne­ment est liée à notre tra­vail de recen­sion : depuis trois ans, nous don­nons un nom et un visage à ces femmes au jour le jour grâce à nos comptes sur les réseaux sociaux, @feminicidesfr sur Twitter et @feminicide sur Facebook. Nous sommes deux, cela nous prend beau­coup de temps, mais c’est beau­coup plus effi­cace pour aler­ter l’opinion et les médias que le laco­nique chiffre pré­sen­té une fois par an par le minis­tère de l’Intérieur.
Nous sou­hai­tons que ce Grenelle soit l’occasion d’accéder aux reven­di­ca­tions des familles de vic­times : que le crime de fémi­ni­cide soit recon­nu par le Code pénal et que des ins­truc­tions soient lan­cées dès qu’une femme ou un proche porte plainte. Il faut éloi­gner les hommes vio­lents avant le juge­ment, ce n’est pas aux femmes à être pla­cées en foyers. À ce titre, la Maison des hommes vio­lents que le juge Frémiot avait mon­tée à Arras [dans le Pas-​de-​Calais] semble être une bonne solu­tion : ce sont ces der­niers qu’il faut suivre judi­ciai­re­ment et ­réédu­quer, pas leurs victimes. » 

Valérie Rey-​Robert

Blogueuse fémi­niste
sous le nom de Crêpe Georgette


« Si ce Grenelle n’aboutit qu’à une énième cam­pagne publi­ci­taire pour dire que vio­len­ter sa conjointe, ce n’est pas bien, il n’aura ser­vi à rien. Cette jour­née ne sera utile que si de l’argent est mis sur la table. J’ai peu d’espoir vu le criant manque de moyens du secré­ta­riat d’État de Marlène Schiappa.
Il faut finan­cer des études pour voir ce qui peut mar­cher auprès des hommes vio­lents, mais aus­si les prendre en charge sans plus tar­der dans des mai­sons spé­cia­li­sées où, regrou­pés, ils pour­ront prendre conscience de leurs actes.
Des études amé­ri­caines tendent à mon­trer que le tout car­cé­ral n’empêche pas la réci­dive des vio­lences conju­gales. On doit se poser la ques­tion des résul­tats et, en ce sens, se deman­der si la jus­tice doit être for­cé­ment répres­sive. Je com­prends que pour cer­taines fémi­nistes, c’est inau­dible quand elles voient trop d’hommes s’en sor­tir avec quelques mois de sur­sis. Pour moi, il faut com­bi­ner ordon­nances de pro­tec­tion pour pro­té­ger les vic­times et thé­ra­pies.
Obtenir un vrai bud­get per­met aus­si de finan­cer la pré­ven­tion. L’école doit jouer son rôle en édu­quant aux sté­réo­types de genre. Une façon de décons­truire le patriar­cat, rai­son struc­tu­relle de ces violences. » 

© S. Stirnema – AG Gymnasium Melle/​Wikipédia – Capture d'écran Facebook – Y.Levy/Hans Lucas 

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