La journaliste de Mediapart publie Faute de Preuves, un livre consacré au travail de la justice après #MeToo. Parcours des victimes, failles des institutions, rôle des médias… Entretien.
En matière de révélations d’affaires de violences sexuelles, le travail de Marine Turchi fait référence. Pour son article de novembre 2019 relatant les agressions dont Adèle Haenel aurait été victime alors qu’elle était mineure, bien sûr. Mais pas seulement. Au sein de la cellule enquêtes de Mediapart, elle mène depuis quatre ans un travail de fond sur un sujet qu’elle considère comme un « gigantesque problème de santé publique ».
Deux ans après l’affaire Haenel, elle publie aux éditions du Seuil, le 10 novembre 2021, Faute de Preuves*, un ouvrage dense et précis, qui décortique le travail de la police et de la justice. Chaque chapitre s’attache à un dossier récent pour tenter de comprendre ce que les institutions font ou ne font pas. Nourri par des entretiens avec des dizaines d’avocat⋅es, de policier⋅es, de magistrat⋅es, le livre n’a rien d’un pamphlet manichéen. C’est un travail journalistique objectif et constructif, qui aide à penser la réalité et la complexité du cheminement judiciaire et du travail journalistique en matière de violences sexuelles. Un livre à mettre entre toutes les mains.
Causette : Dans le livre, vous retracez neuf affaires récentes ou en cours d’examen par la justice. Quel est le dénominateur commun entre toutes les personnes qui témoignent ?
Marine Turchi : Évidemment, il y a des points communs entre toutes ces personnes : dans le parcours du combattant que représente le fait de porter une accusation, dans l’appréhension, dans le sentiment d’injustice aussi. Je voulais surtout que chaque histoire incarne un des pans du traitement judiciaire, et surtout un des griefs souvent formulés à la police et à la justice. Un témoignage illustre, par exemple, le stéréotype de la « mauvaise victime », un autre montre en quoi la justice peut être réparatrice quand elle condamne. Dans une autre affaire, celle d'Adèle Haenel, on s’interroge sur le rôle des médias. Pour une autre, c’est l’histoire d’une désillusion face à une décision judiciaire. Il y a aussi la question de la déconnexion sociale de la justice. Un autre dossier parle du rapport de la justice aux puissants comme dans l’affaire Darmanin. Je voulais que chaque histoire raconte quelque chose et je voulais montrer des choses précises[…]