Le 8 juillet dernier, la Cour suprême des États-Unis rendait un arrêt portant atteinte aux droits des Américaines : il suffira aux employeurs américains d’invoquer des motifs religieux pour ne plus avoir à rembourser la contraception de leurs salariées. Une nouvelle victoire de Donald Trump dans ses attaques répétées à l’encontre de l’Obamacare… Et une détresse contraceptive à envisager pour les salariées les plus précaires.
Pour la sororité, on repassera. Ironiquement, le coup est venu des Little sisters of the poor Saints Peter and Paul home, une congrégation de femmes d’obédience catholique romaine, qui gèrent des maisons de retraite et se proposent d’accueillir les résidents « comme s’ils étaient Jésus Christ lui-même ». Bref, de bonnes catholiques charitables qui considèrent la contraception « immorale » et qui auraient pu, grâce à un formulaire administratif d’auto-certification religieuse prévu à cet effet, s’opposer à financer la contraception de leurs employées. En octobre 2017, une rectification de l’administration Trump à la loi de couverture santé (dite Obamacare) avait en effet ouvert la voie à ce genre d’oppositions grâce à la mise en place de l’auto-certification. Mais les Little sisters, un peu illuminées sur les bords, n’ont pas voulu remplir ledit formulaire : elles auraient eu l’impression, disent-elles, de « mener des actions qui conduiraient directement d’autres personnes à fournir la contraception ou semblent participer à la politique de distribution contraceptive du gouvernement », puisque leurs employées auraient pu se tourner vers les services d'assurances pour faire prendre en charge le coût de leur contraception via l’Affordable care act (ACA). La congrégation engage alors une croisade judiciaire contre l’État de Pennsylvanie, arguant que cette auto-certification contrevient à leur liberté religieuse. Des mois de procédure plus tard, le dossier arrive sur la table de la Cour suprême en octobre 2019. Laquelle penche résolument du côté des conservateurs depuis les deux nominations (sur neuf) dont s’est fendu Donald Trump depuis son accession à la présidence.
Le 8 juillet 2020, à sept voix contre deux (Ruth Bader Ginsburg et Sonia Sotomayor), la plus haute instance judiciaire du pays se prononce en faveur des Little sisters – dont la plainte avait par ailleurs été appuyée par Donald Trump lui-même – et étend le motif de dérogation religieuse et morale à la couverture obligatoire de la contraception créée par l’Obamacare à tout employeur non coté en bourse. Reprenant à son compte le vocabulaire de « fardeau » contraceptif dénoncé par les Little sisters, la cour laisse le soin au gouvernement de trouver une autre méthode que ce formulaire d'auto-certification pour « exempter » les employeurs de la charge contraceptive de leurs employées. « Avec cet arrêté, Donald Trump est sûr de galvaniser la droite religieuse, qui constitue un de ses indéfectibles soutiens politiques en période électorale, observe Claire Delahaye, Maîtresse de Conférence en études américaines à l’Université Gustave Eiffel. La Cour suprême confirme ainsi la décision de l’administration Trump de permettre aux institutions religieuses, aux universités et à toutes les entreprises dont les propriétaires ont des objections « morales ou religieuses » de ne pas fournir une couverture médicale gratuite pour la contraception de leurs employé·es. Cette décision politique s’inscrit dans ce qui semble être pour Donald Trump un objectif de défaire tout l’héritage politique, économique et social de la présidence Obama dans tous les domaines (on peut songer aux enjeux environnementaux par exemple, mais aussi aux décisions de ne pas rembourser les étudiant.e.s abusé.e.s par les universités…), et Obamacare constitue un héritage majeur des 8 années de mandat de son prédécesseur. »
Jusqu'à 113 $ par mois pour la pilule
Combien de femmes le déremboursement de la contraception par les employeurs pourrait-elle toucher ? Dans son « opinion dissidente » présente dans le document officiel de l’arrêt, la juge membre de la cour et prestigieuse défenseuse des droits des femmes Ruth Bader Ginsbourg a repris une étude gouvernementale pour avancer les chiffres de 70 000 à 126 000 femmes concernées. « La différence dans ces chiffres vient du fait que théoriquement désormais, tous les employeurs pourraient potentiellement décider de ne pas inclure la contraception dans leur couverture médicale,analyse Claire Delahaye. Mais d’après la Kaiser Family Foundation, environ 63 millions de femmes reçoivent une contraception grâce à la couverture sociale de leur employeur et elles économisent ainsi 255 dollars par an, donc l’estimation officielle est très basse. » Problème concernant les salariées dont l’employeur refuserait désormais de payer la contraception : elles ne pourraient pas toutes justifier d’un revenu suffisamment bas leur permettant d’accéder aux services de l’ACA et « sans couverture sociale, détaille Claire Delahaye, la pilule peut coûter de 10 dollars à 113 dollars par mois, un stérilet coûte lui entre 500 à 800 dollars. »
Recours judicaires
Toucher au portefeuille des femmes, une manière efficace d’entraver leur libre-arbitre quant à la grossesse. « En 2017, une étude publiée dans leJournal of population economics a montré que le taux d’avortement parmi les jeunes femmes (20−24 ans mais principalement blanches) qui ont eu accès à la contraception par la couverture médicale de leurs parents grâce à l’ACA a décliné, précise Claire Delaye. Le taux d’IVG se situe pour elles entre 9 et 14% et la fourchette s’explique par contre par les inégalités au sein de ce groupe de jeunes femmes dans l’accès à la contraception, selon qu’elles sont blanches ou racisées. » Ce que toutes les études montrent, relève en tout cas la chercheuse, c’est que « les coûts contraceptifs influencent les choix – ou leur absence de fait. »
Mais si la catastrophe pour la santé reproductive des femmes est annoncée, elle n’est pas irrévocable. De nombreuses voix, associatives, militantes et politiques (démocrates en tête) se sont élevées depuis le 8 juillet pour protester. « A l’annonce de la décision de la Cour Suprême, Josh Shapiro, le procureur général de Pennsylvanie, a déclaré qu’il continuerait à attaquer les régulations mises en place par l’administration Trump, pour différentes raisons légales, détaille Claire Delahaye. En ces termes : "La lutte n’est pas achevée. Personne ne devrait s’immiscer entre une femme et son médecin. Aucun employeur ne devrait pouvoir refuser l’accès à un médicament à ses employé.e.s selon ses convictions personnelles." » Quant au candidat démocrate en lice face à Trump pour l’élection présidentielle de novembre, Joe Biden, il a lui aussi dénoncé la manœuvre. De quoi polariser un peu plus le pays entre trumpisme réactionnaire et progressisme démocrate. Et de quoi, peut-être, mobiliser dans les urnes à l’automne pour démettre Donald Trump de son siège présidentiel.