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Caroline Darian : « La sou­mis­sion chi­mique est un véri­table enjeu de san­té publique »

Victime col­la­té­rale d'une sor­dide affaire de sou­mis­sion chi­mique, Caroline Darian a lan­cé en mai der­nier la cam­pagne de sen­si­bi­li­sa­tion #MendorsPas, pour aler­ter sur une vio­lence de genre mécon­nue, mise en lumière la semaine der­nière par l'affaire Joël Guerriau. Le séna­teur est accu­sé d'avoir dro­gué la dépu­tée, Sandrine Josso, en vue d’une agres­sion sexuelle. 

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Caroline Darian © Patrick Gaillardin

En novembre 2020, le ciel tom­bait sur la tête de Caroline Darian et sa mère. Elles étaient infor­mées par la police que le père de Caroline et mari de sa mère était soup­çon­né d’avoir réduit cette der­nière à dix ans d’esclavage sexuel au moyen de la sou­mis­sion chi­mique. Il dro­guait la mère de Caroline qu’il offrait endor­mie à d’autres hommes durant des soi­rées de viols col­lec­tifs. Le pro­cès de son père et de ces hommes aura lieu en 2024. 

Victime col­la­té­rale de cette sor­dide affaire, Caroline Darian a pris la plume pour cou­cher sur papier l’immense souf­france subie par sa mère et elle depuis les révé­la­tions, mais aus­si pour aler­ter sur un phé­no­mène mécon­nu et sous-​évalué : celui de la sou­mis­sion chi­mique. En mai der­nier, elle a lan­cé, appuyée par des per­son­na­li­tés (Keren Ann, Daphné Bürki, Roxana Maracineanu, Axelle Laffont…), la cam­pagne #MendorsPas afin de pour­suivre cette sen­si­bi­li­sa­tion et en atten­dant que les pou­voirs publics s’emparent du sujet. Entretien avec une battante.

Causette : En quoi consiste la cam­pagne #MendorsPas ?
Caroline Darian :
Nous lan­çons ce jour un mou­ve­ment de pré­ven­tion et de sen­si­bi­li­sa­tion qui consiste à aler­ter sur le phé­no­mène de sou­mis­sion chi­mique. Cela se fait à l’appui d’un site d’information et de res­sources, mendorspas.org et d’une cam­pagne sur les réseaux sociaux, avec le hash­tag #MendorsPas, por­té par des per­son­na­li­tés.
Cette mobi­li­sa­tion part de mon his­toire, avec l’envie de mettre autour de la table plu­sieurs par­ties pre­nantes qui sont convain­cues comme moi que c'est un véri­table enjeu de san­té publique aujourd'hui en France, auquel on ne sen­si­bi­lise pas suf­fi­sam­ment le public et encore moins auprès des pro­fes­sion­nels de santé.

Quel est le but de cette cam­pagne ?
C.D. :
Ce que je sou­haite, c’est avant tout faire connaitre le sujet, parce que je suis bien pla­cée pour savoir que bien sou­vent, les vic­times s’ignorent. Pendant 10 ans, ma mère a été assom­mée à coups de som­ni­fères, et nous, ses enfants, on ne com­pre­nait pas pour­quoi on la voyait dans des états seconds. Elle ne se sou­ve­nait pas des conver­sa­tions qu'on avait eues la veille. Si on avait su que poten­tiel­le­ment ce type de symp­tômes (som­meil, trous noirs, inco­hé­rences du com­por­te­ment…) pou­vait ame­ner sur la piste de la sou­mis­sion chi­mique, on aurait gagné un temps phé­no­mé­nal.
Ensuite, nous cher­chons aus­si à faire connaitre la spé­ci­fi­ci­té de la prise en charge des vic­times, avec le par­cours médi­cal pour avoir une chance de faire la preuve de la sou­mis­sion chi­mique. Pour ma part, j’ai appris tout cela de façon bru­tale. Quand la police nous a révé­lé que ma mère avait été dro­guée par mon père pour être vio­lée, je me suis ren­du compte que non seule­ment les gens ne savaient pas ce que c'était la sou­mis­sion chi­mique, mais qu’être pris en charge dans les meilleures dis­po­si­tions pos­sibles rele­vait d'un par­cours du com­bat­tant, quand per­sonne ne vous explique com­ment ça fonctionne. 

On a sou­vent dans l’idée que la sou­mis­sion chi­mique, c’est le GHB dans le verre au cours d’une soi­rée, mais les don­nées de l’Agence natio­nale de sécu­ri­té du médi­ca­ment (ANSM) sur les­quelles vous appuyez votre cam­pagne montrent que c’est là une mino­ri­té de cas…
C.D. :
En effet, les pre­mières sub­stances uti­li­sées sont pio­chées dans l'armoire à phar­ma­cie fami­liale : des médi­ca­ments déli­vrés sur ordon­nance ou même en libre-​service, qui sont détour­nés de leur pro­prié­té de base, pour en uti­li­ser leurs effets séda­tifs, des troubles de la mémoire, du com­por­te­ment… Faire bais­ser la vigi­lance des vic­times, en somme. 
Leila Chaouachi, doc­teure en phar­ma­cie et experte de l’enquête natio­nale sur la sou­mis­sion chi­mique publiée par l’ANSM, qui a bien iden­ti­fié le pro­blème et tente de le mesu­rer depuis plu­sieurs années, s’est asso­ciée à la mobi­li­sa­tion #MendorsPas. Pour l’heure, l’ANSM explique avoir beau­coup de mal à déga­ger un chiffre très clair du nombre de cas annuels en France, parce que le phé­no­mène ne concerne pas que les femmes mais aus­si les enfants, les per­sonnes âgées… En fait, per­sonne ni aucun milieu social n’est à l’abri. Mais l’élément cen­tral, c’est que dans 50% des cas, les agres­seurs sont dans le cercle fami­lial ou ami­cal de leur victime.

La sou­mis­sion chi­mique est aus­si géné­ra­le­ment une vio­lence de genre…
C.D. :
Tout à fait, mais notre socié­té n’en a pas encore pris la mesure tant il est dif­fi­cile de chif­frer l’ampleur du phé­no­mène. Ce que je sais, c’est que c’est vrai­ment beau­coup plus répan­du qu’on ne le croit. Depuis que j'ai publié mon livre l'année der­nière, je passe mon temps à rece­voir sur Facebook des mes­sages de femmes qui me remer­cient d’avoir mis des mots sur quelque chose qui leur était arri­vé. 
La plu­part du temps, le motif est d’ordre sexuel, comme on l’a vu avec l’histoire de ma mère mais aus­si l’affaire Laurent Bigorgne ou les accu­sa­tions concer­nant Damien Abad. On l’oublie aus­si mais dans l’affaire du fémi­ni­cide d’Alexia Daval, son mari Jonathan la dro­guait afin de ne pas avoir de rap­port sexuel avec elle. La sou­mis­sion chi­mique, c’est un peu la face encore cachée des vio­lences intrafamiliales.

Pourquoi avoir noué un par­te­na­riat avec la Maison des femmes de Saint-​Denis, diri­gée par Ghada Hatem ?
C.D. :
On le sait, Ghada Hatem est pion­nière sur de nom­breuses pro­blé­ma­tiques de vio­lences à l’encontre des femmes et, sans sur­prise, est très à l’écoute et proac­tive concer­nant le sujet de la sou­mis­sion chi­mique. Elle vient ain­si de lan­cer une sorte d’unité médico-​légale au sein de l’établissement, qui per­met aux femmes qui soup­çonnent d’avoir été vic­times de sou­mis­sion chi­mique de pou­voir faire les pré­lè­ve­ments néces­saires au dépôt de plainte. Avec la marque Uniforme urbain, nous lan­çons dans le cadre de la cam­pagne #MendorsPas la vente d’un t‑shirt dont les béné­fices seront rever­sés à la Maison des femmes pour finan­cer cette uni­té. A terme, l’enjeu est de s’associer à l’ensemble des Maisons des femmes pré­sentes sur le territoire.

Que faire si on soup­çonne d’avoir été vic­time de sou­mis­sion chi­mique ?
C.D. :
Il n'y a même pas de ques­tion à se poser. Il faut direc­te­ment pas­ser les portes d'un com­mis­sa­riat pour dépo­ser plainte afin d’être diri­gée vers une uni­té médico-​légale pour le vérifier.

Qu'attendez-vous des pou­voirs publics ?
C.D. :
Nous sou­hai­tons que les pou­voirs publics s’emparent du sujet et prennent leur res­pon­sa­bi­li­té, en com­men­çant par lan­cer une cam­pagne de pré­ven­tion et de sen­si­bi­li­sa­tion. A la fois à des­ti­na­tion du public mais aus­si à celle des pro­fes­sion­nels de san­té, qu’il faut for­mer, les pro­fes­sion­nels de san­té. Lorsque ma mère consul­tait pour ses symp­tômes, aucun des méde­cins qu’elle a croi­sé ne s’est dou­té qu’il pou­vait s’agir d’un empoi­son­ne­ment, ils cher­chaient une cause neurologique. 

Comment se porte votre maman aujourd’hui ? 
C.D. :
Ma maman, c'est com­pli­qué, bien sûr. Elle doit com­po­ser avec cin­quante ans de vie pas­sée avec son agres­seur. En paral­lèle, elle est fière du com­bat que je porte et m’encourage. Elle a bien com­pris que pour moi, c'était vital d'en faire quelque chose pour la col­lec­ti­vi­té. J’avais à coeur de dépas­ser le sor­dide fait divers.
Le pro­cès de mon père et des 49 autres indi­vi­dus qui ont pro­fi­té du sys­tème d’asservissement qu’il a créé aura lieu en 2024, j’espère que son issue mar­que­ra le début de la recons­truc­tion pour ma mère.

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