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L'accueil de Citad'Elles, 22 novembre 2022, Nantes. ©A.T.

À Citad’Elles, les femmes vic­times de vio­lences trouvent un havre de paix

À Nantes, une struc­ture unique en France accueille et accom­pagne nuit et jour et sept jours sur sept des femmes vic­times de vio­lences dans un lieu cha­leu­reux qui leur est réser­vé. Reportage.

Mardi 22 novembre, 9h30. À notre arri­vée sur l'Île de Nantes, la pluie vient seule­ment d’arrêter de tom­ber. Devant nous se dresse, dans le ciel main­te­nant bleu, un immeuble moderne de sept étages com­plè­te­ment vitré. Un immeuble somme toute sem­blable aux bâti­ments d’habitations et de bureaux que l’on trouve dans ce quar­tier en pleine restruc­tu­ra­tion. Seule dif­fé­rence, au der­nier de celui-​ci, se trouve la struc­ture Citad’Elles qui accueille, informe et accom­pagne les femmes vic­times de vio­lences sept jours sur sept et vingt-​quatre heures sur vingt-​quatre depuis novembre 2019. Un lieu unique en France, finan­cé par la ville de Nantes, Nantes métro­pole et le dépar­te­ment de Loire-​Atlantique. L’État depuis peu lui verse éga­le­ment des sub­ven­tions, indique à Causette Mahaut Bertu, adjointe à la mai­rie de Nantes en charge de l’Égalité et de la lutte contre les dis­cri­mi­na­tions. Forte de ces trois pre­mières années d'expériences, Citad'Elles pré­sen­tait d'ailleurs ses résul­tats, à l'occasion des pre­mières Assises natio­nales de lutte contre les vio­lences sexistes et sexuelles, orga­ni­sées ces 25 et 26 novembre à Nantes. 

Citad’Elles porte bien son nom. Selon le dic­tion­naire Larousse, il s’agit d’une for­te­resse construite à l’intérieur d’une ville, en vue de la défendre contre les assauts exté­rieurs. Au pied de la large tour de verre, la défi­ni­tion prend tout son sens. On ne pénètre pas la struc­ture comme dans un mou­lin. Personne ne passe l’entrée sans l’autorisation des agents de sécu­ri­té pré­sents dans le hall. Ils pré­viennent par talkie-​walkie les équipes de Citad’Elles puis actionnent eux-​mêmes l’ascenseur pour qu’il monte direc­te­ment au 7e étage. Si les six étages du des­sous – occu­pés prin­ci­pa­le­ment par des bureaux d’affaires – coha­bitent avec Citad’Elles, ils ne peuvent y accé­der, par mesure de sécu­ri­té envers les femmes prises en charge.

Combler un trou dans la raquette 

Dans son bureau à l’entrée du sep­tième étage, Floriane, agente d’accueil, d’écoute et d’information, reçoit en direct les images de la tren­taine de camé­ras qui filment en per­ma­nence l’ensemble des lieux, du bou­le­vard devant l’entrée de l’immeuble, aux cou­loirs du centre. C’est elle qui doit action­ner son badge de l’intérieur pour que l’ultime digue qui sépare Citad’Elles du monde exté­rieur, cède. Une sécu­ri­té ren­for­cée, néces­saire pour ces femmes qui, en pous­sant la porte de Citad’Elles, viennent cher­cher un espace de répit, par­fois le pre­mier en plu­sieurs décen­nies de vio­lence. Depuis l’ouverture, le 25 novembre 2019, plus de 3 000 femmes ont d’ailleurs pous­sé la porte. « En met­tant à l’abri des femmes, on évite des drames. Notre accueil vise à com­bler des rup­tures dans les par­cours, mais aus­si la fer­me­ture des ser­vices la nuit, quand le CHU ou les forces de l’ordre sont les seuls autres inter­lo­cu­teurs joi­gnables », explique à Causette, Caroline Godard, la direc­trice des lieux.

À l’intérieur, tout l’étage a été pen­sé pour elles. Les murs sont recou­verts de pan­neaux acous­tiques, la déco­ra­tion se veut cha­leu­reuse et les fau­teuils sont nom­breux. Un espace fumeur a même été pen­sé pour leur évi­ter de devoir des­cendre dans la rue et d’être poten­tiel­le­ment en dan­ger. Mais sur­tout, ces femmes à bout de souffle peuvent, si elles le sou­haitent, ren­con­trer un·e psy­cho­logue, un·e juriste, un·e sage-​femme ou encore un·e psy­chiatre. Elles peuvent aus­si par­ti­ci­per à des ate­liers d’art-thérapie, de pho­to­gra­phie ou encore béné­fi­cier de séances d’ostéopathie.

Fenêtres anti-​suicide

L’autre force de Citad’Elles, c’est l’accueil des enfants. En tout, 80 % des femmes qui viennent sont mères. Et la majo­ri­té n’imagine pas une seconde se sépa­rer de leurs enfants. « C’était une condi­tion indis­pen­sable lorsqu’on a ima­gi­né le lieu avec les asso­cia­tions », explique Mahaut Bertu. 

À quelques mètres de l’accueil, en cette mati­née enso­leillée d’automne, les vitres sans tain laissent entrer une lumière douce dans la salle de jeux, acco­lée à « l’espace de res­source » où les femmes peuvent se repo­ser. À cette heure encore mati­nale, aucune femme ne s’est encore pré­sen­tée. « Ce sont des fenêtres anti-​suicides », inter­rompt Caroline Godard. L’information nous ramène à la froide réa­li­té : les femmes accueillies ici sont pour la plu­part dans un état de grand désar­roi. Souvent à bout de res­sources, elles sont acca­blées par la vio­lence d’un conjoint ou d’un ex-​compagnon, d’un parent ou d’un col­lègue. Toutes les formes de vio­lences sont prises en charge, même si les vio­lences conju­gales repré­sentent 75 % des venues. Ici, elles ren­contrent une coor­di­na­trice de par­cours qui éva­lue leurs besoins. 

Dans les cou­loirs de la struc­ture construite en U, se croisent des par­cours dif­fé­rents sem­blables sur un point : Citad’Elles repré­sente l’unique porte de sor­tie. Les plus jeunes sont à peine majeures, les plus âgées ont plus de 80 ans et toutes les caté­go­ries socio­pro­fes­sion­nelles sont repré­sen­tées. « 75 % ont moins de 30 ans », pré­cise à Causette Caroline Godard. C’est le cas de Coline*. Du haut de ses 27 ans, la jeune femme est déjà de celles ce qu’on appelle anciennes béné­fi­ciaires. La Nantaise a pous­sé la porte de Citad’Elles pour la pre­mière fois en mars 2021. Deux semaines avant de por­ter plainte contre son ex-​compagnon pour vio­lences conjugales. 

« J’étais comme un ani­mal errant qui voit la lumière. » 

Coline*, 27 ans, ancienne bénéficiaire

L’ironie du sort veut qu’elle ait connu la struc­ture par le biais de ce conjoint. Il avait tra­vaillé sur le chan­tier. C’est en pas­sant devant l’une des nom­breuses affiches du centre qui jalonnent le centre-​ville de Nantes qu’elle s’en est sou­ve­nue. Comme beau­coup d’autres, Coline n’a pas appe­lé avant de s’y rendre. Elle avait peur qu’il ait mis son télé­phone sur écoute. « On fait face à de plus en plus de femmes vic­times de contrôle coer­ci­tif [Il s’agit d’un com­por­te­ment de contrôle, de contrainte ou de menaces uti­li­sé par un indi­vi­du sur une par­te­naire dans le but de la rendre dépen­dante, ndlr]. Elles arrivent par­fois avec des camé­ras et des tra­ceurs plan­qués sur elles par leur com­pa­gnon », affirme Caroline Godard. 

Certaines femmes viennent parce qu’elles vivent actuel­le­ment une situa­tion d’urgence, d’autres poussent la porte des années après. Toutes sont accueillies avec l’idée que cha­cune trouve sa place. Y com­pris pour les situa­tions d’extrême urgence. Dans ce cas, Citad’Elles fait ce qu’on appelle une mesure de mise à l’abri dans l’un des trois appar­te­ments à proxi­mi­té du centre. 

"Millefeuille de violences"

Pour Coline, le cercle des vio­lences a com­men­cé en novembre 2019. À l’époque, elle est enceinte d’un petit gar­çon. C’est lorsqu’il apprend le sexe du bébé, dit-​elle, que son com­pa­gnon devient violent. Les insultes et les menaces pleuvent puis rapi­de­ment les coups. En mars 2020, comme pour de nom­breuses femmes en France, le pre­mier confi­ne­ment lâche une chape de plomb et de vio­lences sur Coline. Les vio­lences s’accélèrent. « Au début, je n’avais pas vrai­ment conscience que je me trou­vais dans un cycle de vio­lence, bien sûr, j’avais peur pour ma vie, mais j’avais l’espoir qu’il change », admet Coline. C’est lorsqu’il s’en prend phy­si­que­ment à son enfant qu’elle décide de par­tir. « Là, j’ai com­pris qu’il n’y aurait jamais de retour », lâche la jeune femme. 

Malgré la rup­ture, l’homme se main­tient au domi­cile de Coline. Elle ne mange plus qu’un repas par jour, ne dort plus. « Moi, je m’en fichais de mou­rir, de toute façon inté­rieu­re­ment, je n’existais plus, j’étais seule­ment une enve­loppe cor­po­relle, une coquille vide, dit-​elle. Mais j’avais peur pour mon fils. C' était mon seul élan de vie. » C’est cet élan de vie qui lui fait pous­ser la porte de Citad’Elles. « J’étais comme un ani­mal errant qui voit la lumière. » 

Comme toutes les femmes accueillies avec ou sans rendez-​vous, Coline a d’abord vu une coor­di­na­trice de par­cours du centre. Elles sont onze à se relayer nuit et jour pour écou­ter, infor­mer et orien­ter. Le rendez-​vous est impor­tant : c’est la pre­mière et unique fois que les femmes par­ta­ge­ront leur his­toire. Les coor­di­na­trices ren­tre­ront ensuite les récits dans un logi­ciel propre à Citad’Elles, que les intervenant·es du par­cours pour­ront consul­ter. Tous les lun­dis, la réunion de situa­tion per­met d’ailleurs aux coor­di­na­trices de par­cours de faire le point sur les situations. 

« Bien sûr, on aime­rait qu’elles portent toute plainte, mais elles n’en sont pas toutes là, il faut le respecter »

Nadège, 47 ans, coordinatrice

Ce mar­di, il s’agit de Nadège et Marie. Nous les croi­sons dans les cou­loirs, un peu agi­tées. Et pour cause, l’une des femmes mise à l’abri la nuit der­nière ne s’est pas pré­sen­tée à son rendez-​vous. Pour ne rien arran­ger, les deux coor­di­na­trices reviennent de l’appartement, la femme a dis­pa­ru. « J’espère qu’elle va reve­nir », dit Nadège en s’asseyant autour de la petite table ronde de son bureau. À 47 ans, l’ancienne infir­mière tra­vaille ici depuis les débuts de Citad’Elles. Elle a écou­té des mil­liers de récits de vies cabos­sées, qui sont sou­vent comme elle dit « un mil­le­feuille de vio­lences ». Il faut en effet faire face au conti­nuum des vio­lences. « Au début, elles sont en état de sidé­ra­tion, elles ne conscien­tisent pas les vio­lences. C’est géné­ra­le­ment au fur et à mesure des rendez-​vous qu’on se rend compte de l’ampleur des choses », dit-​elle. C’est pour­quoi, selon elle, il est impor­tant de res­ter dans la tem­po­ra­li­té des béné­fi­ciaires et non de pro­je­ter ses propres dési­rs. Il y a des femmes que les coor­di­na­trices ver­ront qu’une seule fois, d'autres qui revien­dront six mois après pour amor­cer un par­cours de sor­tie des vio­lences. « Bien sûr, on aime­rait qu’elles portent toute plainte, mais elles n’en sont pas toutes là, il faut le res­pec­ter », argue la coor­di­na­trice qui estime qu’aucun par­cours n’est un échec. 

C’était le cas de Coline par exemple. Petit à petit, elle parle des coups, raconte ces dizaines de fois où, parce qu’elle l’avait contra­rié, son com­pa­gnon l’avait mise habillée dans la bai­gnoire, sous l’eau froide. Sa prio­ri­té à l’époque n’était pas de s’épancher auprès d’une psy ni de por­ter plainte, mais de pro­té­ger son enfant. « C’est la juriste de Citad’Elles qui m’a fait com­prendre qu’il fal­lait por­ter plainte pour obte­nir la garde exclu­sive », explique la jeune maman. 

Jeux de socié­té & apé­ros dînatoires

Les femmes peuvent, si elles le sou­haitent, por­ter plainte auprès d’un·e policier·ière au sein des locaux. Les équipes peuvent aus­si prendre rendez-​vous dans un com­mis­sa­riat et les y accom­pa­gner. De son côté, Coline a pré­fé­ré fran­chir le pas seule, quelques semaines après son pre­mier rendez-​vous. « C’est la seule chose que je regrette dans mon par­cours à Citad’Elles », lâche la jeune femme. Le gen­darme qui l’accueille lui répond qu’il n’a pas le temps d’intervenir tout de suite pour l’éviction de son conjoint et lui enjoint de ren­trer chez elle. « Sauf que moi, j’étais par­tie à 8h de chez moi, ma valise et mon fils sous le bras, je ne pou­vais pas ren­trer », raconte la jeune femme qui appe­le­ra fina­le­ment Citad’Elles pour une mise à l’abri d’une semaine dans l’un des appar­te­ments. « Les loge­ments sont propres, il y a des feuilles et des feutres pour les enfants, c’est bien parce que quand on arrive, on a rien et les jour­nées sont très longues. » 

L’ex-conjoint de Coline est en pri­son depuis sep­tembre 2021. Il a pris dix-​huit mois ferme. « Une semi-​liberté » pour la jeune femme. « Je sais que ce n’est pas fini, quand il sor­ti­ra, le com­bat repren­dra notam­ment en ce qui concerne le droit de visite média­ti­sé, mais pour l’instant, j’en pro­fite pour me blin­der et me recons­truire », dit-​elle. Elle en est per­sua­dée, Citad’Elles lui a per­mis de s’en sor­tir, et même, « lui a sau­vé la vie ». Son der­nier rendez-​vous avec sa coor­di­na­trice remonte à sep­tembre. Pour l’heure, elle ne res­sent pas le besoin d’y retour­ner. « J’ai besoin de sor­tir de mon his­toire de vic­time et d’essayer de vivre nor­ma­le­ment. Si j’y retourne, ça sera pour racon­ter mon témoi­gnage », sou­ligne Coline en admet­tant pen­ser par­fois à Citad’Elles avec nos­tal­gie. C’est l’endroit, confie-​t-​elle, où elle s’est sen­tie le plus en sécu­ri­té en deux ans. 

Les locaux de Citad’Elles accueillent sou­vent les larmes, les souf­frances et les récits de vio­lences. Alors que l'on s'apprête à par­tir, une affiche colo­rée, col­lée au mur de l’accueil, nous inter­pelle : jeu­di pro­chain, une soi­rée jeux de socié­té avec apé­ro dîna­toire sera orga­ni­sée pour les femmes et les enfants. Il est cer­tain qu’on enten­dra alors réson­ner les rires et la joie. 

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