Franck, 40 ans, a écrit à Causette il y a quelques mois. Son idée ? Nous raconter son expérience intime de la vasectomie. Sa façon à lui de prendre en charge la contraception. Voici son témoignage.
"Nous sommes le 21 février 2017 et mes résultats d’analyses viennent d’arriver. Je vais enfin savoir si je suis bien devenu stérile grâce à une vasectomie pratiquée quatre mois plus tôt. Alors que je tente de décacheter l’enveloppe, la télé, en fond sonore, annonce le documentaire Et si on faisait un bébé. La vie est moqueuse parfois ! Flash-back…
CHAPITRE 1 – La contraception se conjugue aussi au masculin
Âgé de 40 ans, sans enfants, je suis attentif à la parité femmes-hommes et je me sens concerné par la lutte contre les inégalités sous toutes ses formes. De là à me qualifier de féministe ou proféministe ? Certainement. En tout cas, c’est grâce à une femme, avec laquelle je suis en couple depuis quatre ans maintenant, que j’ai pris conscience d’une grosse lacune : « Le jour où tu avaleras quotidiennement des hormones pour te prémunir d’une future paternité, alors là, oui, on pourra vraiment parler de parité… » Voilà comment une simple phrase de ma compagne, Véro, m’a mis un coup de pied au cul (qu’elle affectionne tout particulièrement, me souffle-t-elle à l’oreille alors que j’écris ces lignes). Véro a raison : la contraception est aujourd’hui considérée comme une prérogative féminine. Cette charge (mentale) normée et imposée est pourtant loin d’être un acte banal et n’est pas sans risque.
Je NE VEUX PAS d’enfant. Je n’en ai jamais voulu. Ni besoin, ni envie, ni désir. Cela a d’ailleurs été l’une des raisons principales de ma dernière rupture amoureuse. J’aime cette liberté d’improviser à la dernière minute une soirée, un restaurant, une terrasse, un voyage, une sieste crapuleuse. Véro n’en a jamais voulu non plus. Vu les statistiques, il était plus simple de trouver une aiguille dans une botte de foin que de nous rencontrer. Nous avons une chance folle de partager ce choix qui n’est source de frustration pour personne. Alors, autant assumer et prendre enfin ma part.
Coïncidence heureuse, au cours de l’année 2016, date anniversaire des 60 ans du planning familial, son antenne locale rennaise organisait une conférence intitulée « Contraception : où (en) sont les hommes ? », avec la participation d’un membre de l’association Ardecom, qui milite pour la contraception masculine. Bien sûr, j’y étais. Et je n’étais pas le seul, il y avait du monde ! Les hommes, parfois venus avec leur compagne, représentaient ce soir-là plus du tiers du public.
Au fond de la salle, côté radiateur, j’écoute avec attention. J’apprends que certaines expérimentations de contraception masculine ont été abandonnées en raison de leurs effets secondaires incommodants. Comme si la pilule féminine (pour ne citer qu’elle) n’avait aucun effet indésirable ! Certaines femmes le réclament dans la salle : « La contraception ne doit pas être assumée seulement par les femmes, les hommes ont aussi leur part de responsabilité à prendre… »
La soirée permet de découvrir différentes méthodes contraceptives masculines – comme la contraception testiculaire, plus communément appelée « slip chauffant » – et d’évoquer la vasectomie. J’ai pu poser quelques questions indispensables pour en finir avec tous ces témoignages erronés qui pullulent sur Internet. Non, ce n’est pas sale ! Une vasectomie n’est ni une castration ni un changement de sexe… À la sortie de cette rencontre, c’est une évidence. Je ferai cette opération. Avec le recul, je me rends compte que j’étais déjà prêt mentalement.
CHAPITRE 2 – Le parcours
Mon parcours médical commence avec mon généraliste. Une chance pour moi, c’est une jeune praticienne très au fait du sujet. Ma demande de rencontrer un urologue l’enchanterait presque. Numéro en poche, j’obtiens un rendez-vous le mois suivant avec le docteur « De-la-bourse-ou-la-vie ». Lors de l’entretien, je m’aperçois vite que c’est uniquement grâce à mon âge « avancé », 40 ans, qu’il prendra en charge l’opération : « Je n’opère pas des hommes sans enfants et âgés de moins de 40 ans. Je n’ai pas envie de prendre le risque qu’ils regrettent leur opération plus tard… » Je l’interroge à mon tour : « Est-ce que l’on met en garde aussi explicitement un futur parent qu’il devra assumer son enfant toute sa vie ? J’en connais, moi, des pères qui regrettent leur paternité… »
En 2017, en France, nous ne sommes donc pas libres de notre corps ni de nos choix. Un trentenaire sans enfants devra consulter plusieurs urologues avant d’en trouver un qui accepte de l’opérer. Une quête perdue d’avance pour un homme encore plus jeune.
Malgré tout, il m’explique clairement l’opération avec des propos rassurants. Elle est simple et consiste à bloquer les canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes [lire l’encadré page suivante, ndlr]. La vasectomie s’effectue généralement sous anesthésie locale, mais, dans mon cas, ce sera une anesthésie générale à cause de la difficulté à trouver le bon canal. Durant cette grosse demi-heure d’échanges pendant laquelle l’urologue ne cesse de me mettre en garde contre l’irréversibilité de l’opération, je lui repose quelques questions pratiques en lisant mes antisèches.
« Cela va-t-il jouer sur ma sexualité, mon érection, mon éjaculation ?
– Non, il n’y aura aucun effet. Ce sera ni mieux ni moins bien.
– Quand pourrais-je reprendre une activité sexuelle ?
– Dès le lendemain si vous le voulez [rires], mais avec les fils et l’hématome, je pense qu’il est préférable d’attendre quelques jours quand même…
– Y a‑t-il un risque que l’opération ne fonctionne pas ?
– Vous ferez un spermogramme au bout de trois mois pour vérifier que vous êtes bien stérile. Il peut arriver, mais cela est extrêmement rare, que les canaux, bien qu’ils aient été coupés, clippés ou brûlés, se reconnectent… Mais je le répète, l’opération est simple et parfaitement maîtrisée. »
Je ressors confiant de l’entretien, mais le délai de rétractation de quatre mois me paraît une éternité. Au cours de ces quatre cycles menstruels d’attente, Véro et moi évoquons régulièrement l’opération. Plusieurs fois, elle me rassure en me disant qu’elle ne m’en voudra pas si je veux changer d’avis. Elle me laisse une porte de secours si besoin.
En dehors de notre couple, peu de personnes sont dans la confidence. Je me rends compte que les occasions d’en parler sont rares… Parfois, avant de me coucher, j’imagine le pire. Et si l’opération se passe mal ? J’aurais l’air malin assis sur le lit, Véro à mes côtés, incapable d’avoir une érection. Je m’imagine devenir aigri et finir alcoolique pour noyer mon chagrin… Ou, autre scénario du pire, grimaçant de douleur comme si je recevais un ballon de foot dans les testicules toutes les cinq minutes. Je me vois accro aux antidouleurs, addict à la morphine et à d’autres substances illicites… Mais ces pensées passent vite.
Deuxième visite chez l’urologue : « Bonjour, docteur… oui, oui… je suis toujours sûr de moi… oui, c’est mon dernier mot. Au revoir. »
La veille de l’opération, dernier repas, dernière clope et dernier grattage testiculaire. Le stress est là, forcément, mais sans plus. Véro vient me prendre tôt le lendemain matin. Je me retrouve dans une chambre aux néons blafards, vêtu d’une blouse en papier bleu pétrole et de petits chaussons. La grande classe… À ce moment-là, je perds effectivement tout sex-appeal. Une infirmière passe ensuite me voir avec une tondeuse… et vu mon crâne rasé, ce n’est pas pour les cheveux. Je m’enferme dans les toilettes. La mode est à l’élagage des parties intimes masculines. Eh bien, voilà, j’y suis ! #jouelacommeunacteurporno. Le brancardier arrive. Dernier regard à mon amie, direction le bloc opératoire.
CHAPITRE 3 – Les premières fois
« Monsieur, l’opération s’est bien passée ! Vous êtes en salle de réveil. » J’ai dû rester endormi une petite demi-heure à peine. Je reprends peu à peu mes esprits. Je n’ose pas encore toucher mon bas-ventre, ni même le regarder. Je ne ressens aucune douleur, l’anesthésiant joue encore probablement son rôle. 15 heures. Mon urologue passe, soulève mon pansement : aucun problème, tout est parfait. Une heure plus tard, les infirmières me demandent d’uriner, condition nécessaire pour vérifier que tout fonctionne et me laisser sortir de l’hôpital dans la foulée. Devant les W.-C., j’attends…
« OK, ne panique pas, ça va venir… » Rien ne sort. Mon regard commence à fixer le mur. « Et s’il s’était trompé de canal ?… Et s’il n’avait pas coupé le BON ??!! » Toujours rien. « Et si je dois porter une poche à pipi comme Pépé le reste de ma vie… Et si… Et si… » Vingt secondes, c’est long… mais ouf, j’urine enfin. Mon premier pipi postopératoire restera un grand souvenir pour moi. Le bruit de l’urine dans la cuvette ? Une délivrance… Un peu comme quand tu atteins les toilettes après trois pintes et une queue interminable aux chiottes du bistrot. Premier pipi : check !
Véro vient me chercher. On est même étonnés que je puisse partir aussi tôt. Le lendemain matin, une bonne surprise me surprend au réveil. Non, pas un petit déjeuner au lit, ça fout plein de miettes partout et puis ça gratte. Une érection. Wouhouhouhou ! Première érection : check !
Bien que mon urologue m’ait assuré que je pouvais reprendre une activité sexuelle rapidement, j’ai préféré ne pas m’emballer. Avec Véro, nous avions convenu que je ferai le premier test en solo. Après quelques menus travaux manuels, il y avait moins de stress lors de notre premier rapport, une bonne semaine après l’opération. Il ne restera pas dans les annales, mais bon… Premier rapport sexuel : check !
J’ai pu reprendre le travail après deux jours de repos. À part quelques tiraillements au niveau du bas-ventre, rien d’insurmontable. Mais je l’avoue bien volontiers, durant ces quelques jours de convalescence, j’ai pratiqué le manspreading* tellement j’ai cru que mes couilles étaient en cristal.
Au bout de quinze jours, je ne ressens presque plus rien des suites de l’opération. Trois mois passent…
CHAPITRE 4 – Spermodrame
Afin de vérifier la réussite de l’intervention, je dois effectuer un spermogramme. Je stresse plus pour ce rendez-vous que pour l’opération. Je me présente au secrétariat. Mes yeux sont vite attirés par la multitude de cartes postales, de photos et de faire-part de nouveau-nés qui ornent les murs. Quelle place laisse-t-on ici aux personnes ne souhaitant pas devenir parents ?
Dans la salle d’attente, à peine ai-je le temps de lire quelques pages d’un magazine aussi obsolète que la tapisserie que me voilà déjà assis face au médecin. Il me montre l’étagère qui contient quelques bouquins érotiques, un magnétoscope. Rapidement, je me retrouve avec un bocal à la main : « Dès que vous avez fini, vous indiquez l’heure et vous le reposez ici… » Et subitement, il me demande si j’ai bien réfléchi aux conséquences de la vasectomie. Encore !? Le médecin poursuit. Ai-je bien pensé à congeler mes spermatozoïdes… au cas où ? Double uppercut. Ce médecin veut me faire payer mon choix ou quoi ? Au cas où quoi ? Je ne veux pas d’enfant. Point.
Après avoir vérifié trois fois que la porte était bien fermée à double tour, je regarde les murs recouverts de posters. Ambiance cabine de chauffeur routier des années 1980. Je jette un œil distrait sur les magazines pornos. On dirait ceux de mon adolescence. Pour ce qui est du canapé, je n’ose même pas poser mon manteau dessus… L’affaire entendue, je repasse voir la secrétaire pour finaliser les papiers. Sait-elle que je sais qu’elle sait que je viens de me masturber ?? Vite, je règle, je salue et je rentre. Voilà, c’est la fin, il n’y a plus qu’à attendre…
Épilogue
21 février 2017… Mon courrier ouvert, je lis le résultat et je ne comprends rien. Quelques relectures plus tard, je ne comprends toujours rien. Ce n’est que grâce à la confirmation de mon urologue que je sais que ma vasectomie a fonctionné. Je suis stérile ! Quelques jours plus tard, Véro prendra sa dernière pilule.
Aujourd’hui, je parle de la vasectomie très librement. Je réponds d’ailleurs volontiers aux questions que certain-e‑s se posent sur l’opération, via des forums ou sur les réseaux sociaux. J’essaie de participer activement à toute conférence ou débat sur la contraception masculine dans ma ville afin d’apporter mon témoignage. Par contre, mes parents ne sont toujours pas mis dans la confidence. L’homme est fait de contradictions. Peut-être que cet article de Causette sera l’occasion d’en parler avec eux."
* Le fait de s’asseoir en écartant les jambes dans les transports en commun.