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© Lingchor

« En sous-​effectif, nous devons prio­ri­ser à qui nous don­nons le bibe­ron » : une auxi­liaire de pué­ri­cul­ture se livre sur la crise que tra­verse son métier

Dégradation des conditions de travail, pénurie de personnel, manque de moyens... Une auxiliaire de puériculture nous fait part de son quotidien dans une crèche municipale du Var, alors qu'un rapport de l'Inspection des affaires sociales vient de sortir sur le secteur de la petite enfance.

Claire1 est auxiliaire de puériculture depuis dix ans, dans une crèche municipale du Var. Après la publication du rapport de l'Inspection des affaires sociales sur le secteur de la petite enfance, cette semaine, soulignant l'existence de conditions de travail difficiles et de situations de maltraitance, la jeune trentenaire a accepté de nous livrer le bilan de sa décennie passée auprès d'enfants en bas âge.

Causette : Le rapport de l'Inspection des affaires sociales sorti cette semaine dépeint un secteur de la petite enfance en souffrance. Comment trouvez-vous que le métier a évolué depuis vos débuts ?
Claire : Le métier se dégrade depuis des années. Nous atteignons des sommets aujourd'hui. Nous souffrons d'un vrai manque de personnel, c'est ce qui nous tue. Dans ma structure, nous sommes censés être une vingtaine d'auxiliaires de puériculture, mais nous n'atteignons jamais ce chiffre : il y a toujours des arrêts-maladies ou des congés. Le nombre d'arrêts-maladies devrait interroger les autorités... C'est déjà arrivé que l'on se retrouve à deux pour nous occuper de 18 bébés. Or, selon la loi, il doit y avoir une auxiliaire pour cinq enfants qui ne marchent pas, et une pour huit enfants qui marchent. Les petits demandent tout le temps de l'attention. En sous-effectif, nous n'avons pas le temps de nous occuper d'eux comme nous le voudrions. Lorsque nous donnons à manger aux 20 bébés, cela peut être très long. Et pendant que nous le faisons, nous en entendons hurler certains. Nous sommes alors obligées de faire des choix, d'aller au plus urgent, de prioriser à qui nous donnons le biberon, déterminer celui qui a besoin de soins urgents...

En plus du manque de personnel, vos conditions de travail se sont-elles dégradées en dix ans ?
C. : Oui, nous n'avons plus assez de moyens pour acheter des jouets, les enfants jouent avec les mêmes hochets. Mais parfois cela devient plus embêtant. Nous avons déjà eu un manque de savon pour les nettoyer au moment de les changer : nous faisons ça simplement avec de l'eau ! Pour moi, c'est de la maltraitance. Nous avons aussi déjà manqué de gants en latex, que nous portons lorsque nous les changeons. Nous avons dû les acheter nous-même au supermarché... La direction nous dit qu'il n'y a pas assez de moyens pour nous acheter ce matériel. C'est bête, mais ça arrive qu'il n'y ait plus de marqueurs, pour inscrire des choses sur les biberons des bébés par exemple. Encore une fois, nous devons les acheter nous-mêmes.

Selon ce rapport, la pénurie de personnel serait notamment due aux faibles rémunérations et aux mauvaises conditions de travail… Qu’en pensez-vous ?
C. : En dix ans j’en ai vu passer des filles qui restent un mois, car elles trouvent que le métier est horrible, pas assez bien payé. Nous gagnons en moyenne par mois 1400 à 1500 euros net. Ce n'est pas possible. Nous passons notre journée à entendre des bébés hurler et nous ne pouvons parfois rien faire. Ce n'est pas pour cela que nous avons choisi ce métier. Le soir, quand je quitte la crèche, j'ai le dos en compote. Car nous faisons tout dans l'urgence, vite. Parfois, nous avons deux enfants dans les bras en même temps. Si je faisais aujourd'hui mon stage dans cette structure, je ne signerais pas.

À lire aussi I Maltraitance, pénurie de personnel… L'Inspection des affaires sociales pointe les dysfonctionnements du secteur de la petite enfance

Comment les parents réagissent et se comportent-ils et elles face à cette dégradation du secteur ?
C. :
Les parents deviennent de plus en plus en exigeants. Avant, ils étaient reconnaissants. Mais aujourd'hui, les histoires de maltraitance que nous entendons montent à leur tête : nous n'avons pas le droit à l’erreur. Si nous rendons un enfant qui a une petite griffure, c'est la fin du monde, nous nous faisons presque insulter. Je comprends, tout ce que nous voyons à la télévision fait peur. Mais il faudrait que les gens viennent voir la réalité de notre travail : avec 18 bébés, nous tournons la tête une minute, l’un en mord un autre, que pouvons-nous faire ? J'aimerais faire comprendre que nous ne pouvons pas réaliser de miracle avec le manque de personnel et les conditions de travail dans lesquelles nous travaillons.

Les professionnel·les sont-ils·elles aujourd’hui suffisamment formé·es ?
C. : Dans notre métier, ils prennent désormais des personnes non-qualifiées pour s'occuper des enfants en crèche, c'est-à-dire que ces dernières ne sont pas diplômées comme auxiliaire de puériculture, mais ont seulement un CAP petite enfance. Dans cette formation, elles n'ont pas de module sur les soins, par exemple. Or, avec les bébés, nous ne pouvons rien laisser passer, il faut regarder sans cesse la couleur de leur peau, leur respiration, vérifier leur ventre... Ces nouvelles recrues sont obligées d'apprendre sur le tas.

Qu’attendez-vous du gouvernement ? Quelles améliorations mettre en place ?
C. : J’aimerais que le gouvernement prenne le secteur de la petite enfance plus au sérieux, qu'il se rende compte de ce que nous vivons tous les jours, et qu'il mette du personnel qualifié. Dans tous les cas, avec ou sans personnel, cela reste un métier compliqué, mais nous l’avons choisi. Nous souhaitons juste avoir le matériel dont on a besoin et le nombre de personnes nécessaires. Parfois, avec mes collègues, nous ne prenons pas de pauses pour déjeuner afin d'être toujours avec les bébés, car ils restent notre priorité. Dans toutes les crèches que je connais, nous partageons ce même constat : nous sommes à bout et épuisées. J’ai voulu faire ce travail car j’adore le contact avec les enfants et les familles. Je voulais m'occuper d’eux pour qu’ils passent une bonne journée. Je ne m’attendais pas à aller dans la gueule du loup. Tous les soirs, je rentre chez moi dans un état terrible.

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