Depuis quelques années, ce mouvement expose et valorise des corps féminins moins standardisés. Une démarche plus que salutaire, mais pas miraculeuse.
Sophie est sur le point de franchir le cap des cinquante ans de vie commune avec son corps. Cinq décennies (ou presque) passées à se scruter sans relâche ni pitié. Cette enseignante et mère de famille installée sur l’île de la Réunion entretient avec son enveloppe charnelle un rapport où s’entremêlent l’amour et la haine. Une relation obsessionnelle et un peu toxique. Son poids, sa taille et le chiffre inscrit sur l’étiquette de ses vêtements ont beau entrer pleinement dans la « norme », rien n’y fait. « Cellulite, taille de mes cuisses, largeur de mes fesses : je ne suis jamais contente, confie-t-elle avec sincérité. Il y a toujours un truc qui ne me va pas. »

L’irruption du body positive, dont les images fleurissent sur les réseaux sociaux comme dans les campagnes de communication des marques de vêtements et de cosmétiques depuis quelques années, avec l’objectif de mettre en avant toutes les morpholo gies, aurait pu aider Sophie à relativiser ses angoisses, à stopper le cercle infernal de l’autocritique. Prof, militante et désireuse de réduire en miettes les diktats imposés aux femmes depuis des centaines d’années, elle aurait pu embrasser pleinement ce courant synonyme d’air frais et de démystification des modèles établis. Mais la rencontre n’a pas eu lieu.
Quand elle tombe sur une publicité pour des culottes menstruelles sur laquelle une jeune modèle a des cuisses larges et des bourrelets, elle applaudit des deux mains, mais la magie n’opère pas pour elle : « Je trouve ça très bien d’un point de vue intellectuel et théorique de voir des silhouettes moins standardisées, car c’est en cohérence avec mes valeurs féministes, raconte-t-elle. Par contre, ça n’a absolument aucun effet sur mes complexes. Je continue à trouver que les plis, c’est moche, et à ne pas vouloir ressembler à ces jeunes femmes. » La contradiction a beau lui sauter aux yeux, elle ne parvient pas à se délester de ses insécurités physiques. « Le jugement insatisfait que je porte sur moi-même reste à moitié dézingué par les magazines féminins et par une sorte de culte de la minceur. Je passe à côté du truc car les dégâts sont trop profonds », analyse-t-elle avec fatalisme.
Imperfections sur papier glacé
Le récit de Sophie – loin d’être un cas particulier – permet d’appréhender ce mouvement sous un angle un peu moins… positif. Et de questionner ses véritables bénéfices, au-delà du vernis. Il ne s’agit évidemment pas de critiquer le fait que plus de corps soient visibles et célébrés. Voir enfin des seins tombants ou minuscules, des jambes courtes, de la cellulite ou des vergetures sur les publicités a largement de quoi nous réjouir ! Quel soulagement pour les yeux de constater que les femmes sur papier glacé ont aussi des poils, une culotte de cheval ou parfois de[…]