Le trouble de stress post-traumatique généré par un accouchement difficile reste méconnu et est passé sous silence.
« Les scènes de cette nuit d’horreur reviennent tout le temps. Ma gorge se serre et j’ai la boule au ventre, la tête qui tourne. Je ne saurais décrire cette angoisse tellement elle est intense. » Marie 1, 32 ans, a accouché en 2018 après une pré-éclampsie 2. Douleurs au ventre insupportables, hémorragie, manque d’informations sur l’état de son enfant… Elle ne s’en est jamais remise. Depuis, elle souffre de trouble de stress post-traumatique (TSPT), un trouble anxieux grave survenant après un événement traumatisant (attentat, violences, deuil…). Il se manifeste souvent par des cauchemars, des flash-back, une tendance à l’isolement et une hypervigilance. L’événement traumatisant est vécu en continu pendant des semaines, voire des années. Pour certaines femmes, ce trauma, c’est l’accouchement.
Un trouble récemment décrit
Si Marie s’est vu proposer un traitement adapté – on préconise la plupart du temps une prise en charge psychologique ciblée, comme l’EMDR (lire encadré) –, peu de femmes souffrant de TSPT après leur accouchement en bénéficient. « Le TSPT est très peu connu. Sa description est assez récente et rarement appliquée au domaine de la périnatalité », explique la docteure Françoise Gonnaud, pédopsychiatre et coautrice de l’étude « État de stress post-traumatique et périnatalité », parue en 2015 dans la Revue de médecine périnatale. Conséquence directe de cette méconnaissance : une errance diagnostique pour la patiente, parfois décrite comme souffrant de dépression post-partum. Cette dernière n’a pourtant rien à voir avec le stress post-traumatique. « Le TSPT, c’est le fait d’avoir subi un choc traumatique, ça relève du risque ou du ressenti de risque. La dépression post-partum, c’est un état général lié au fait de devenir mère », tempère la pédopsychiatre.
“Je me suis isolée : le regard des gens, ça n’aide pas. J’ai des idées noires. J’ai même pensé au suicide”
Leïla, 45 ans
« Il y a eu un avant et un après accouchement, avec des répercussions physiologiques : problèmes de sommeil, de peau, au niveau du cuir chevelu… Je n’ai mes règles que trois fois par an et je ressens une fatigue extrême », témoigne Justine1, 27 ans. Pendant son accouchement, l’équipe s’est acharnée avec une ventouse pour faire sortir le bébé. Mais la péridurale ne fonctionnait plus. « Je suis restée bloquée à la date de l’accouchement, en 2011. Je n’ai jamais pu retravailler. Je suis au RSA. Ma vie s’est arrêtée », confie pour sa part Laura, qui a créé un réseau d’entraide pour les femmes souffrant de TSPT après un accouchement. La jeune femme a accouché en 2011 par césarienne, alors que l’anesthésie n’avait pas eu le temps de faire effet. « Je me suis isolée : le regard des gens, ça n’aide pas. J’ai des idées noires. J’ai même pensé au suicide », abonde Leïla1, 45 ans. Comme Laura, elle raconte une césarienne « à vif ».
Un diagnostic difficile à établir
Selon un article paru dans la Revue médicale suisse en 2019 3, le TSPT après l’accouchement toucherait jusqu’à 3 % des femmes et 18 % des femmes ayant déjà vécu une expérience de trauma autre que l’accouchement. C’est la seule étude récente qui tente de donner une prévalence de ce trouble anxieux. Comment expliquer ce manque de données ? Tout d’abord, par l’extrême difficulté à établir le diagnostic. « Avant d’être formée au TSPT après accouchement, je n’étais pas consciente des mécanismes en jeu et je les envisageais plutôt comme un état dépressif transitoire », se souvient Isabelle Derrendinger, secrétaire générale du Conseil national de l’ordre des sages-femmes. Il peut exister, en outre, une longue période de silence entre le traumatisme et son expression, de plusieurs semaines à plusieurs années. « Le cerveau a un rôle régulateur dans l’intégration psychique d’un événement bouleversant. Si celui-ci est trop lourd à supporter, l’amygdale cérébrale “disjoncte”, ce qui entraîne une dissociation traumatique », ou déconnexion d’avec la réalité, précise Isabelle Derrendinger. Le sentiment de culpabilité de la mère entre également en jeu : « Les femmes n’osent pas toujours exprimer ce qu’elles ressentent, car elles ne peuvent évoquer la naissance de leur enfant comme un événement traumatisant », note la sage-femme. Enfin, à l’inverse d’un attentat ou d’un viol, il n’est pas simple, dans le cas d’un accouchement, d’isoler l’auteur de la violence. « Quelle est la part des équipes soignantes ? Des structures hospitalières ? Des bouleversements hormonaux ? Des familles ? De la société ? » s’interroge Isabelle Derrendinger.
Un entretien prénatal avec la sage-femme à quatre mois de grossesse est indispensable pour déceler les traumas et les risques de développer un TSPT chez la mère, indique la docteure Françoise Gonnaud. « Il faut explorer ces pistes bien avant l’accouchement pour les désamorcer. On découvre que beaucoup de mères touchées ont souffert d’une IVG qui s’est mal passée. » Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) partage le point de vue de la chercheuse. Le 5 mars 2019, dans un communiqué publié sur son site Internet, l’organisme estimait que le TSPT devait « faire l’objet d’une attention plus soutenue de la part des équipes soignantes », notamment « lors de l’entretien prénatal précoce ». Le CNGOF préconise également un examen six semaines après l’accouchement pour surveiller « le vécu psychique de la mère ».
Or, d’après la juriste Marie-Hélène Lahaye, on en est encore loin. Selon l’autrice d’Accouchement : les femmes méritent mieux (éd. Michalon, 2018), les mères sont trop rapidement livrées à elles-mêmes après la naissance. « Elles accouchent, elles s’en vont et puis voilà, s’insurge la militante féministe. La logique, c’est que du moment que la femme et son enfant sont en “bonne santé”, tout va bien. Il n’y a même pas de débriefing après l’accouchement. » La faute, selon elle, à un « système “fordiste” d’accouchement à la chaîne, avec des médecins, des sages-femmes et des infirmiers et des infirmières complètement noyé·es sous la charge de travail ».
1. Les prénoms ont été modifiés.
2. La pré-éclampsie est une maladie fréquente de la grossesse, associée à une hypertension artérielle et à l’apparition de protéines dans les urines.
3. « État des connaissances sur le trouble de stress post-traumatique du post-partum, par les docteures L. Benzakour, M. Épiney et É. Girard. Revue médicale suisse, février 2019.
L'EMDR, une psychothérapie ciblée
L’EMDR, ou « désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires », est reconnue par la Haute Autorité de santé (HAS) depuis 2007. Elle est pratiquée par des psychiatres et des psychologues cliniciens. Le ou la patient·e suit des yeux une baguette, en se remémorant le souvenir douloureux et en le remplaçant par des idées positives. Grâce aux mouvements oculaires, le cerveau entier est stimulé. Cette technique peut aider le ou la patient·e souffrant d’une hyper-activité de l’hippocampe (la zone qui produit les souvenirs) à évacuer les pensées traumatisantes.