« Aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction. » La maxime est charmante. Mais dans la vraie vie, les destinées amoureuses sont rarement aussi simples. Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sentimental pour comprendre comment les visions divergentes de chacun n’empêchent pas (toujours) le ménage de tourner. En aparté, chacun·e nous raconte SA version de l’histoire. Dans ce premier épisode, Delphine et Marion se sont rencontrées un mois et demi après la mort de la compagne de Delphine.
Delphine
47 ans
« La première fois que j’ai parlé à Marion, c’était dans le cadre professionnel. À l’époque, j’étais en plein deuil. Christine, ma compagne, était décédée un mois et demi plus tôt d’un cancer. Au cours de cette conversation, le feeling est tout de suite passé. S’en sont suivis des échanges de mails… Compte tenu du thème de la table ronde sur laquelle on travaillait ensemble, nos discussions avaient une connotation intime. On évoquait nos histoires de cœur, le sexe… Et je la draguais un peu ! La mort de Christine avait réveillé chez moi une libido intense et levé toute inhibition. Surprise de ce qui m’arrivait, j’en ai parlé à mon entourage, qui a bien réagi. Ça m’a permis de l’accepter sans me sentir coupable. Mais Marion m’a vite signalé que j’allais un peu loin. Elle préférait que nos échanges restent professionnels, tout en me laissant une ouverture : on pouvait continuer à s’écrire. On l’a beaucoup fait les semaines qui ont suivi. Ses mails déclenchaient chez moi de vives émotions. C’était super puissant. Je visualisais nos deux corps enlacés qui volaient…
On a fini par se téléphoner, plusieurs heures par jour… Nageait-on en plein délire ? Était-ce l’effet du deuil ? Elle habitait à Alès, dans le Gard, moi à Paris. Pour éviter de se faire des films trop longtemps, Marion a proposé que je lui rende visite. Lorsque je suis arrivée à la gare, elle m’attendait avec son large sourire. Je l’ai prise dans mes bras, respirée, humée. J’étais comme une ado. J’avais beau être en deuil, je m’étais rarement sentie aussi vivante. Mon cœur battait à cent à l’heure. À peine avoir franchi le seuil de sa porte, je lui ai sauté dessus !
Je ne ressentais aucune culpabilité. À la suite du décès de Christine, j’ai essayé d’être au maximum dans le vrai. Je l’interrogeais à travers ma voix intérieure. Je savais qu’elle validait ce que je vivais. J’avais aussi gardé en tête une discussion avec la maîtresse de cérémonie, la veille de l’enterrement. Elle m’avait révélé être médium et m’avait glissé un message : Christine souhaitait que je ne reste pas seule et une femme blonde ou rousse était déjà là… Mon inconscient l’avait entendu. De son vivant, Christine avait validé l’idée que je referais ma vie. Quand Marion a débarqué, j’étais encore amoureuse de Christine, mais cet amour s’est lové dans mon cœur, comme une fleur qui ne se fane pas. C’est un espace très singulier qui ne m’empêche pas d’être en total amour pour Marion. »
Marion
32 ans
« Je connaissais Delphine de loin, car nous évoluons dans le même univers. L’année précédente, Christine, sa compagne, m’avait proposé de travailler avec elle sur un projet, mais ça ne s’était pas fait. Entre-temps, j’avais appris son décès. De mon côté, je sortais d’une relation douloureuse et refusais de revivre une histoire qui pourrait me faire souffrir. Quand Delphine a commencé son rentre-dedans, je lui ai exprimé clairement mon malaise. Je n’avais aucune envie qu’on se saute dessus. Je la trouvais délicate, j’aimais son regard sur les choses.
Elle s’est beaucoup confiée sur la mort de Christine, les derniers mois qu’elles avaient passés ensemble, son chagrin… Assez vite, je lui ai posé des questions claires et directes : “Comment tu te positionnes par rapport à Christine ? As-tu le sentiment que je viens la remplacer ?” Elle m’a répondu le plus honnêtement possible : elle n’en savait rien ! J’essayais de me protéger…
Mais il se passait quelque chose de très fort. Quand elle est venue me rendre visite à Alès, j’étais très sereine. Et est arrivé le turbo Delphine ! [Rires.] Son désir n’avait pas faibli, le mien non plus… La connexion s’est faite aussitôt. On n’avait pas fantasmé notre amour. C’était la première fois que je rencontrais une personne en deuil. Delphine avait besoin de parler de Christine. Elle a aussi beaucoup pleuré. Si c’était trop douloureux pour moi, je pouvais lui dire. Elle respectait mon ressenti.
En tombant amoureuse de Delphine, je réalise que j’ai accueilli deux personnes dans ma vie : Delphine et Christine. Il a fallu que mon cœur soit assez grand pour elles deux. Ça n’a pas toujours été facile. J’étais parfois un peu perdue. J’ai cherché à lire des témoignages de personnes ayant vécu la même chose, mais je n’en ai pas trouvé. Je ne savais pas comment me positionner, si j’avais le droit d’exprimer mes difficultés. Cela m’a fait grandir, m’a obligée à nettoyer mes blessures narcissiques. Quatre mois et demi après le décès de Christine, Delphine a souhaité me présenter à sa famille et ses amis. Certains de ses proches n’ont pas bien vécu mon arrivée, et je le comprends… Un an après notre rencontre, j’ai eu envie de faire un geste symbolique. J’ai emmené Delphine en haut de la tour Eiffel, lui ai offert un bijou et lui ai demandé si elle aimait encore Christine. Cette fois-ci, elle a su me répondre… »