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L'hôpital de la ville de Dzaoudzi à Mayotte ©Jean-Pierre Dalbéra

Stérilisation des mères à Mayotte : « Un contrôle du corps des femmes à géo­mé­trie variable », condamne la Ligue des droits de l’homme

L’Agence régio­nale de Santé de Mayotte a annon­cé fin mars que des sté­ri­li­sa­tions seraient pro­po­sées aux jeunes mères. Si le direc­teur de l’ARS jus­ti­fie cela par une crois­sance démo­gra­phique inédite, pour la vice-​présidente de la Ligue des droits de l’homme, il ne s’agit de rien d’autre que d’une pro­po­si­tion sexiste visant à exer­cer un contrôle sur les femmes vulnérables. 

Au télé­phone, Olivier Brahic l’assure d’emblée : « une par­tie de mes pro­pos a été sor­tie de son contexte ». Le direc­teur géné­ral de l’Agence régio­nale de san­té (ARS) de Mayotte fait allu­sion à une petite phrase tirée d’une inter­view accor­dée à Mayotte la 1ʳᵉ le 24 mars der­nier : « Nous allons mener un pro­jet en lien avec les ser­vices de pro­tec­tion mater­nelle et infan­tile (PMI), les sages-​femmes et le Centre hos­pi­ta­lier de Mayotte (CHM), pour pro­po­ser aux jeunes mères une sté­ri­li­sa­tion, donc une liga­ture des trompes très concrè­te­ment. » Une mesure annon­cée dans le cadre d’un plan d’action plus large sur la maî­trise de la nata­li­té à Mayotte, alors même que s'annonçait l'opération poli­cière dite Wuambushu, visant à expul­ser les étranger·ères en situa­tion irré­gu­lière, à déman­te­ler des cen­taines d’habitations infor­melles, et arrê­ter des délinquant·es connu·es des ser­vices de police (elle a débu­té le 24 avril).

Si, en France, le nombre de nais­sances est au plus bas depuis 1946, Mayotte est de loin l’exception fran­çaise. En 2022, l’archipel – ancienne colo­nie deve­nue dépar­te­ment fran­çais en 2011 – a vu naître 10.730 bébés pour un ter­ri­toire de 310.000 habitant·es. C’est 230 de plus qu’en 2021. Ce qui en fait le dépar­te­ment le plus jeune de France, avec un taux de nata­li­té beau­coup plus éle­vé que le reste de l’Hexagone. « Le taux de fécon­di­té est de 4,2 enfants par femme à Mayotte tan­dis qu’il est de 1,8 enfant par femme en métro­pole », indique ain­si Olivier Brahic à Causette.

Selon un rap­port d'information du Sénat, publié en juillet 2021, l'explosion démo­gra­phique de Mayotte s'explique aus­si par l’immigration mas­sive des îles voi­sines, prin­ci­pa­le­ment des Comores. De très nom­breuses femmes como­riennes, par­fois arri­vées sur l'île à bord d'embarcations de for­tune, viennent en effet à Mayotte pour y accou­cher dans de bonnes condi­tions. Accoucher sur le sol fran­çais per­met en outre à ces enfants de béné­fi­cier de la natio­na­li­té française.

Le dépar­te­ment le plus jeune et le plus pauvre de France 

Si la popu­la­tion maho­raise a déjà dou­blé entre 1997 et 2017, les pro­jec­tions de l’Insee laissent pen­ser que le nombre d’habitant·es pour­rait encore dou­bler, voire tri­pler au cours des trois décen­nies à venir, dans un ter­ri­toire de 376 km², le plus petit des dépar­te­ments d’outre-mer fran­çais. Mayotte est aus­si le dépar­te­ment le plus pauvre de France : 77 % des habitant·es vivent sous le seuil de pau­vre­té natio­nal

C’est pour­quoi l’ARS du dépar­te­ment s’est don­né pour mis­sion « de prendre part » à une poli­tique de maî­trise de la nata­li­té en amé­lio­rant la sen­si­bi­li­sa­tion et l'accès à la contra­cep­tion mas­cu­line et fémi­nine ou en déve­lop­pant la mas­si­fi­ca­tion de la dis­tri­bu­tion gra­tuite de pré­ser­va­tifs sur le ter­ri­toire, notam­ment dans les éta­blis­se­ments sco­laires et les épi­ce­ries de quar­tier. Et aus­si donc par la pro­po­si­tion faites aux jeunes mères – maho­raises ou como­riennes – de se faire liga­tu­rer les trompes. « L’idée est que cette pro­po­si­tion puisse être faite au Centre hos­pi­ta­lier de Mayotte (CHM), dans les ser­vices de pro­tec­tion mater­nelle et infan­tile (PMI) ain­si que par les sages-​femmes du sec­teur libé­ral », sou­ligne Olivier Brahic. Dans son inter­view accor­dée à Mayotte la 1ʳᵉ, Olivier Brahic n’a pas évo­qué la vasec­to­mie, méthode de sté­ri­li­sa­tion mas­cu­line non réver­sible. « C'est plus com­pli­qué, on manque de chi­rur­giens uro­logues sur le ter­ri­toire », pointe-t-il. 

« Si l’annonce avait été faite par le direc­teur de l’ARS d’Île-de-France, il y aurait eu immé­dia­te­ment une levée de bouclier. » 

Marie-​Christine Viergat, vice-​présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Proposer une sté­ri­li­sa­tion aux femmes est une « honte » pour la vice-​présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Marie-​Christine Vergiat. Jointe par Causette, cette der­nière déplore pre­miè­re­ment le « silence assour­dis­sant » ain­si que le manque de réac­tions média­tiques autour de cette annonce. Pour l’heure en effet, Causette a recen­sé seule­ment deux articles de presse relayant l’information : l’un paru dans L'Humanité le 2 avril, l’autre dans Libération le 20 avril. « C’est votre demande d’interview qui a por­té ces pro­pos à notre atten­tion, nous n’étions pas au cou­rant, affirme Marie-​Christine Vergiat. Je suis cho­quée par ces pro­pos, on n’a jamais vu ça dans un autre ter­ri­toire de la République fran­çaise. Si l’annonce avait été faite par le direc­teur de l’ARS d’Île-de-France, il y aurait eu immé­dia­te­ment une levée de bouclier. » 

Le direc­teur géné­ral de l’ARS de Mayotte jus­ti­fie cette mesure par la crois­sance démo­gra­phique, qui engendre une pres­sion impor­tante sur les ser­vices de san­té maho­rais. « Il faut repo­si­tion­ner cette annonce dans le contexte du dépar­te­ment, où 40 % de l’activité médi­cale de Mayotte est aujourd'hui tour­née vers la mater­ni­té alors même qu’on manque de soi­gnants pour suivre cor­rec­te­ment les femmes et leurs enfants », explique-​t-​il. Cette crois­sance démo­gra­phique engendre éga­le­ment, selon l’ARS, une dégra­da­tion de l’offre de soin avec un taux de mor­ta­li­té infan­tile de 10,1 pour 1 000 enfants dans le dépar­te­ment contre 3,7 pour 1 000 enfants en métro­pole. « La crois­sance démo­gra­phique a aus­si des consé­quences sur les condi­tions de vie des enfants, notam­ment sur les infra­struc­tures sco­laires qui ont du mal à suivre le rythme des nais­sances. On a des écoles satu­rées avec des enfants sco­la­ri­sés uni­que­ment par demi-​journée en rai­son du manque d’ouverture de classe », affirme le direc­teur géné­ral de l’ARS de Mayotte, indi­quant que la nata­li­té est « un immense défi pour Mayotte ». 

Contrôler le corps des femmes 

Des argu­ments non rece­vables pour Marie-​Christine Vergiat. « Je ne com­prends pas le rap­port entre les pro­blèmes éco­no­miques et sociaux de Mayotte et la liga­ture des trompes des femmes. Le pro­blème vient du fait que Mayotte est un ter­ri­toire oublié de la République fran­çaise, condamne la vice-​présidente de la LDH. Et les femmes maho­raises et como­riennes n’ont pas à subir les man­que­ments du gou­ver­ne­ment fran­çais. » Pour elle, les auto­ri­tés fran­çaises « prennent le pro­blème à l’envers ». « Le taux de nata­li­té d’un ter­ri­toire dépend sur­tout du déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social de ce der­nier. Pour frei­ner la crois­sance démo­gra­phique de Mayotte, il fau­drait com­men­cer par inves­tir davan­tage dans l’économie du dépar­te­ment. Lorsque je vois que l'État déploie un dis­po­si­tif et donc un bud­get consi­dé­rable dans l’opération Wuambushu alors que cet argent pour­rait ser­vir à construire des écoles, je suis extrê­me­ment cho­quée. Le droit à l’éducation est un droit pour tous. C’est hal­lu­ci­nant que ce dépar­te­ment soit sous un sta­tut dérogatoire. » 

Pour la vice-​présidente de la LDH, der­rière la pro­po­si­tion de sté­ri­li­sa­tion se trouve le besoin de contrô­ler le corps des femmes et sur­tout celui des femmes vul­né­rables. « On ne peut que pen­ser au livre de Françoise Vergès, Le Ventre des femmes (2017), qui dénonce les mil­liers d’avortements et de sté­ri­li­sa­tions for­cées sur des femmes réunion­naises dans les années 70, alors même qu’en métro­pole, on se bat­tait pour l’interruption volon­taire de gros­sesse », abonde Marie-​Christine Vergiat. 

Elle fait un paral­lèle avec notre époque, dans laquelle se déve­loppe le mou­ve­ment child­free, qui reven­dique le refus de la paren­ta­li­té et par­fois le recours à la contra­cep­tion défi­ni­tive. Une opé­ra­tion acces­sible en France depuis la loi Aubry du 4 juillet 2001 à toute per­sonne majeure après un délai de réflexion de quatre mois. Pourtant, nombre de femmes – essen­tiel­le­ment celles n’ayant pas eu d’enfants – se heurtent tou­jours aux réti­cences d'un corps médi­cal qui refuse de pra­ti­quer une sté­ri­li­sa­tion défi­ni­tive au nom de la clause de conscience. « Pourquoi est-​ce que l’on décou­rage les femmes de se faire liga­tu­rer les trompes en métro­pole sous pré­texte qu’elles pour­raient regret­ter cette opé­ra­tion alors qu’on les encou­rage à le faire à Mayotte ?, s’interroge Marie-​Christine Vergiat. A Mayotte, on assiste au par­fait exemple du contrôle du corps des femmes à géo­mé­trie variable. Je prends aus­si le pari que la sté­ri­li­sa­tion ne sera pas pro­po­sée à n’importe qui. Je pense que, dans un contexte de poli­tique migra­toire répres­sive, les femmes como­riennes seront davan­tage tou­chées par cette mesure que les femmes mahoraises. »

Miser sur la sen­si­bi­li­sa­tion à la contraception 

Olivier Brahic regrette la com­pa­rai­son avec les sté­ri­li­sa­tions for­cées ayant eu lieu à La Réunion. Il assure aus­si que seules les femmes ayant eu des enfants- qu’elles soient Comoriennes ou Mahoraises – seront concer­nées par « ce qui reste uni­que­ment une pro­po­si­tion ». Il tient aus­si à sou­li­gner qu’elle n’est pas nou­velle dans le dépar­te­ment. « Elle est déjà pro­po­sée par les sages-​femmes depuis des années dans une poli­tique de maî­trise de la nata­li­té, peu de femmes y ont recours, seule­ment quelques dizaines par an », estime-​t-​il, mar­te­lant que « l’enjeu est de miser sur l’accès et la sen­si­bi­li­sa­tion à la contra­cep­tion. »

C’est pour­quoi, explique-​t-​il, il compte mettre en place en lien avec le rec­to­rat à la ren­trée pro­chaine une cam­pagne de sen­si­bi­li­sa­tion sur la contra­cep­tion mas­cu­line et fémi­nine dès le col­lège, en com­plé­ment des séances obli­ga­toires annuelles d’éducation à la vie sexuelle et affec­tive. En ce qui concerne la pro­po­si­tion de sté­ri­li­sa­tion des jeunes mères, la vice-​présidente de la LDH songe de son côté à une manière de réagir. 

Lire aus­si I Mayotte : « Parfois, ici, on n’a pas l’impression que c’est la France »

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