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Frédéric Beigbeder sur France Inter, le 3 avril 2023. ©Capture d'écran Twitter France Inter

Frédéric Beigbeder se demande pour­quoi il n’a pas de médaille de com­bat­tant anti­sexiste ? Des femmes lui répondent

Invité lundi 3 avril dans la matinale de France Inter, Frédéric Beigbeder a affirmé mériter une « médaille de combattant antisexiste ». En réaction, plusieurs femmes ont pris la parole sur Twitter témoignant d’agressions sexuelles, de comportements sexistes de sa part ou rappelant encore ses liens étroits entretenus avec Gabriel Matzneff ou Patrick Poivre d'Arvor.

« Pourquoi est-ce que je n’ai pas une médaille de combattant antisexiste ? »  Chacun·e en conviendra, la question est plutôt culottée de la part de Frédéric Beigbeder. L’auteur était l’invité de Sonia Devillers lundi matin, dans l’émission L’invité de 9h10 sur France Inter, pour la tournée promo de son nouveau roman, Confession d’un hétérosexuel légèrement dépassé, publié chez Albin Michel début mars. Et comme bien souvent avec Beigbeder, à un moment de l’interview, ça a dérapé.

Frédéric Beigbeider entame son livre par cette phrase : « Moi aussi, je suis une victime », souligne Sonia Devillers. « Je respecte la souffrance de chacun, mais je demande aussi qu’on me respecte autant que les autres, ni plus ni moins. Moi, j’ai aussi le droit d’avoir voix au chapitre, lui répond alors l’intéressé avant de partir dans une tartine égocentrique du meilleur effet. La première génération de Français sans guerre, c’est la mienne, je suis né vingt ans après la Deuxième Guerre mondiale, dans une période de libération absolue dans tous les domaines y compris sexuelle, dans une société très égoïste dans les années 70-80 que j’ai beaucoup critiquée, que ce soit la surconsommation, la destruction de l’environnement par le capitalisme, les violences sexistes dans le milieu du mannequinat ou encore dans l’univers des oligarques russes. Tout ça, je l’ai fait dans les années 2000, soit quinze ans avant #MeToo, pourquoi donc est-ce que je n’ai pas une médaille de combattant anti sexiste ? » Avant de poursuivre, large sourire aux lèvres : « Au lendemain de ma mort, je devrais être au panthéon comme Annie Ernaux. » Rien que ça !

Ben oui alors, pourquoi Beigbeder, en preux chevalier du féminisme, n’a-t-il pas reçu sa petite médaille ? En retour, sur Twitter, elles ont été nombreuses à balancer. Car si la provoc est son fond de commerce depuis toujours, Frédéric Beigbeder semble avoir atteint ici le point Godwin. À commencer par le récit de l’autrice Bénédicte Martin, qui a raconté qu’en 2003 alors qu’il était son éditeur, Frédéric Beigbeder lui a jeté hilare des billets de dix, vingt, cinquante et cent euros sur la table d’un café parisien pour qu’elle accepte de l’embrasser.

L’autrice avait par ailleurs déjà raconté en septembre 2022 dans les colonnes de Libération, l’inaction et l’indifférence de Beigbeder, lorsqu’elle lui avait confié que Patrick Poivre d’Arvor avait essayé de l’agresser sexuellement en 2003 au cours de la promotion de son recueil de nouvelles. Selon les mots de Bénédicte Martin, il aurait « explosé de rire » lui disant « c’est normal, tu es une fille », allant même jusqu’à considérer les faits comme « un baptême ou un adoubement ». Après ces révélations, Frédéric Beigbeder avait tenu à revenir sur ces révélations, assurant dans Libé n’avoir « aucun souvenir » de ce moment. 

Bénédicte Martin n’est pas la seule à balancer. Lila Djellali, adjointe à la mairie du 20ème arrondissement de Paris en charge de l’économie sociale et solidaire (ESS) et de l’alimentation durable, a affirmé sur Twitter que Frédéric Beigbeder lui aurait demandé lorsqu’elle travaillait dans un restaurant, de l’accompagner aux toilettes pour y rejoindre sa copine. Plus tard dans la soirée, elle dit l’avoir recroisé dans un club où l’auteur l’aurait alors collée en lui disant qu'il aimait « que les filles lui résistent car il les aime “sauvages” ».

« Je ne savais pas que c’était la main d’un combattant antisexiste que j’avais en haut de la cuisse à 16 ans alors que j’étais ivre en boîte et que mes amis étaient partis me chercher de l’eau »

Claire Caché,experte et éducatrice en sexualité.

Sabrina Erin Gin, autrice, journaliste et artiste, raconte sur Twitter avoir elle-aussi été draguée lourdement par Frédéric Beigbeder il y a quinze ans sur le plateau du Grand Journal lors du Festival de Cannes pendant les répétitions. « J’avais 20 ans et j’ai toujours fait plus jeune que mon âge. À 20 ans j’en faisais 16 », écrit-elle. 

Témoignage semblable chez la streameuse Claire Caché, qui se présente comme experte et éducatrice en sexualité. « Tiens, je ne savais pas que c’était la main d’un combattant antisexiste que j’avais en haut de la cuisse à 16 ans alors que j’étais ivre en boîte et que mes amis étaient partis me chercher de l’eau », écrit-elle ironiquement sur Twitter. Un récit qui colle à celui de la journaliste Maud Margenat qui raconte sur Twitter que l'auteur a « insisté très lourdement » pour la faire boire et la ramener dans sa chambre d'hôtel « malgré [ses] refus catégoriques ». De son côté, Emilie Flechaire, créatrice de l’agence de communication Néroli, accuse elle-aussi sur le réseau social, Beigbeder d’avoir fourré sa langue dans la bouche d’une de ses stagiaires lors d’une soirée professionnelle.

À l’image de son passage sur France Inter hier matin, Frédéric Beigbeder n’en est pas à sa première provocation. La journaliste indépendante Coline Clavaud-Mégevand a raconté sur Twitter avoir été comparée aux Nazis en 2013 par l’auteur, pour s’être photographiée en train de brûler un exemplaire du magazine Lui, dont il était alors le directeur de la rédaction. Coline Clavaud-Mégevand avait fait cela dans le cadre d’un article publié sur le site de Vice intitulé « Le magazine Lui version 2013 est l’ennemi des femmes et des hommes civilisés, et je vous conseille de le brûler » (l’article n’est plus accessible aujourd’hui). Dans une interview accordée au quotidien espagnol El Pais, Frédéric Beigbeder condamnait l’acte expliquant qu’il lui rappelait « les autodafés d’Hitler contre les oeuvres dissidentes », cette période sombre de l’Histoire pendant laquelle les œuvres jugées contraire au régime Nazi étaient brûlées dans de grands bûchers. Sur Twitter, la journaliste a expliqué que cette comparaison avait entraîné son harcèlement en ligne puis dans une rédaction dont la rédactrice en cheffe était à l’époque une amie de Beigbeder. « Jamais je ne pardonnerai cette histoire parce qu’elle a eu un impact sur ma carrière et ma santé mentale jusqu’à aujourd’hui », dit-elle. 

« Il est mêlé aux deux plus gros scandales de violences sexuelles dans le milieu littéraire, Matzneff et PPDA, et se permet encore de tourner en ridicule le combat des femmes pour être entendues et respectée. »

Cécile Delarue, journaliste et autrice.

D’autres ont exhumé des liens entre l’auteur et des hommes accusés de violences sexuelles et notamment de pédocriminalité dans le milieu littéraire. Si Frédéric Beigbeder a été cité dans l’affaire PPDA, il a également entretenu des liens étroits avec Gabriel Matzneff, visé par une enquête pour viols sur mineur après la publication du livre Le Consentement de Vanessa Springora, au début de l'année 2020, rappelle la journaliste et autrice Cécile Delarue, victime présumée de PPDA. « Il est mêlé aux deux plus gros scandales de violences sexuelles dans le milieu littéraire, Matzneff et PPDA, et se permet encore de tourner en ridicule le combat des femmes pour être entendues et respectée », a-t-elle tweeté en concluant par le mot « dégout »

Lire aussi I Affaire Gabriel Matzneff : l'écrivain, visé par une enquête pour « viols sur mineur », entendu en audition libre

Enfin, un passage télévisé problématique de l’émission Paris Dernière datant de 1995 a lui-aussi été sorti du placard par la journaliste indépendante Constance Villanova. Alors qu’il questionne ses invités, l’écrivain Gabriel Matzneff et Frédéric Beigbeder, sur la suite de leur soirée, on entend le producteur de l’émission Thierry Ardisson leur dire « On va coucher Gabriel avec une gamine de douze ans et demi et nous on va aller voir des putes de 62 ans ». Ce à quoi répond Beigbeder en riant : « Pourquoi on ne ferait pas l’inverse ? » Gabriel Matzneff conclut d’un sordide « Pour une fois ! » tandis que Thierry Ardisson relance encore d’un : « On devrait intervertir, nous avec des gamines de 12 ans et demi et lui il irait avec des prostituées. »

La séquence nauséabonde avait déjà refait surface en 2020 après la sortie du livre de Vanessa Springora, Le Consentement. Ce qui avait poussé Frédéric Beigbeder à réagir sur la séquence télévisée en expliquant qu’il « ne prenait pas Gabriel Matzneff au sérieux » à l’époque. « Il faut savoir qu’on pensait aussi que c’était peut-être un mythomane, peut-être qu’il se vantait, parce qu’après tout les gens qui écrivent transforment la réalité. Donc on n’était pas certains que cela fut exact », plaidait-il ainsi au micro d’Europe 1 en janvier 2020.

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