Pauline Bureau, Maëlle Poésy, Pauline Bayle. Les metteuses en scène occupent le terrain en cette rentrée théâtrale. On s’en réjouit ! Et on vous dit aussi ce qu’on a pensé de leurs pièces, tant qu’à faire.
7 Minutes, de Maëlle Poésy
Maëlle Poesy aime le théâtre politique. Celui qui questionne le rapport de l’individu au collectif. Cela tombe bien, c’est précisément l’enjeu de 7 minutes, pièce de Stefano Massini qui met en lumière le dilemme auquel sont confrontées 11 ouvrières d’une usine textile et qu’elles vont devoir résoudre le temps de la pièce. Après des heures de négociation avec les repreneurs de leur usine, Blanche, leur porte-parole revient avec ce qu’elles accueillent dans un premier temps comme une bonne nouvelle : il n’y aura aucun licenciement si elles acceptent de retrancher 7 minutes de leurs 15 minutes de pause quotidienne. Éclats de joie. 7 minutes c’est quoi par rapport à perdre son boulot ? Pas grand-chose. Quasi unanimement, au départ, elles foncent tête baissée. Mais Blanche, elle, ça la chiffonne cette affaire. Car si elles acceptent ça, que faudra-t-il céder ensuite ? Et puis, si on y réfléchit bien, elles sont 200 ouvrières dans l’entreprise. Donc si on multiplie 200 par 7, puis encore par le nombre de jours par semaine et par le nombre de semaines par mois, ça fait combien d’heures de travail économisées pour les employeurs ? Beaucoup. Vraiment beaucoup. Le doute s’immisce peu à peu. Et c’est à une discussion à bâtons rompus, non sans tension, et qui prend peu à peu des allures de thriller qu’assistent spectatrices et spectateurs, eux même tiraillé.es.
Les onze femmes en colère qui occupent le plateau, mélange de comédiennes de la Comédie française et d’autres venues d’ailleurs qui apportent une diversité salutaire à l’ensemble de la troupe, sont toutes convaincantes. Mais il faut saluer la prestation assez magistrale de Véronique Vella, qui joue Blanche. D’une authenticité qui arrache les larmes. Il faut dire que ce rôle de femme qui a la lutte dans la peau et l’intérêt collectif chevillé au corps est d’une grande beauté. Évitant les pièges du manichéisme, la pièce de Stefano Massini pose de bonnes questions sur la valeur du travail, la domination, la lutte des classes et le peu de considération pour les métiers ouvriers, surtout quand ils sont majoritairement féminins.
Jusqu’au 17 octobre, Théâtre du Vieux Colombier
Pour Autrui, de Pauline Bureau

Pauline Bureau a désormais une solide carrière de metteuse en scène derrière elle. Et Causette la suit et la soutient depuis toujours. Féministe, engagée, elle défend dans ses pièces des sujets sociétaux forts, et qui lui tiennent à cœur : l’affaire du médiator, le procès de Bobigny ou encore la belle histoire d’une équipe de foot féminine. Elle a été l’une des premières, dès 2011, à amener sur un plateau de théâtre la question de l’identité féminine et à en proposer une vision nouvelle. Pour cela, Pauline Bureau est une pionnière et il faut le saluer. C’est à nouveau en pionnière qu’elle revient puisqu’elle s’attelle cette fois au sujet de la GPA jamais porté à la scène. Il est donc ici question d’un couple qui, pour des raisons qu’on vous laissera découvrir, ne peut avoir d’enfant et qui va, de ce fait avoir recours à une mère porteuse aux États-Unis.
Pauline Bureau est une formidable raconteuse d’histoires. Elle serait d’ailleurs une bonne scénariste de série. Et c’est encore le cas cette fois. Le coup de foudre à l’aéroport, la fausse couche de Liz, les visites des parents, la sœur de Liz sage-femme qui vit aux États-Unis, la rencontre avec la mère porteuse, tout est mené tambour battant, et les tableaux défilent grâce à une impressionnante scénographie dont les décors changent à chaque tableau. Mais si l’ensemble est objectivement très enlevé, comme un bon show télévisé, on n’est jamais très loin du tape à l’œil… Trop d’effets tuent l’effet.
Autre limite du spectacle, la vision assez binaire de la GPA que propose Pauline Bureau qui, plutôt que de nous donner à réfléchir sur cette passionnante question nous impose une sorte de prospectus promotionnel rose bonbon, et par moments très cucul, pour la GPA. Et ce, tant sur le fond que sur la forme. Un plaidoyer qui manque de nuance et finit par créer l’inverse de l’effet escompté puisqu’il tend à crisper les spectateurs.ices les plus progressistes du public (Oui, nous !)
Saluons néanmoins l’excellente prestation des comédiens avec une mention spéciale pour la mythique Martine Chevalier de la Comédie française, qui, dans le rôle de la mère de Liz atteint des sommets de drôlerie.
Jusqu’au 17 octobre au théâtre de la Colline, à Paris puis en tournée dans toute la France. Dates ici.
Illusions perdues, de Pauline Bayle

Pauline Bayle, elle, aime adapter les grands textes de la littérature pour le plateau. Elle l’avait déjà fait avec un talent certain pour L’Iliade et l’Odyssée, (rien que ça !), en 2017. Et cela l’avait lancée. Elle aime plonger dans les pavés, les découper, les réajuster pour en extraire l’essentiel. Comme le ferait une monteuse pour le cinéma. Elle s’attaque cette fois à Balzac et ses 700 pages d’Illusions perdues. Ou l’histoire de l’ascension aussi fulgurante que brutale du jeune poète Lucien Chardon monté d’Angoulême à la capitale au début du XIXème siècle. Il rêve de gloire et de succès et pense au départ y parvenir sans trahir sa conscience. Mais petit à petit, le voilà pris au piège des petites manigances, des jeux de pouvoir, et sa soif de réussite, dans un monde, précapitaliste, dont il ne maîtrise pas les codes, finit par le perdre.
Comme à son habitude, Pauline Bayle ne s’embarrasse ni de décors ni d’artifices pour mieux laisser entendre le texte et jouer les comédiens qui, à l’exception du personnage principal, interprètent tous plusieurs personnages. Un foulard, un gilet, un veston leur suffisent à passer de l’un à l’autre. Nous sommes au théâtre, pourquoi prétendre autre chose ?
Pauline Bayle fait aussi le choix de dégenrer le personnage de Lucien Chardon. En le faisant jouer par une comédienne habillée d’une sorte d’uniforme unisexe, pantalon noir et chemise blanche, elle choisit de ramener ce personnage et ses enjeux au monde d’aujourd’hui où l’ambition n’a plus de sexe. Et ce parti pris n’est pas inintéressant.
Il faut reconnaître à Pauline Bayle une grande capacité à chorégraphier les corps dans l’espace scénique. Jusqu’à culminer avec une très belle scène véritablement dansée qui redonne de l’élan à l’ensemble au moment, environ à la mi-temps de la pièce, où l’intrigue commence à piétiner. Étrangement, pressentant peut-être que le texte s’embourbe un peu, Pauline Bayle balaye trop vite la chute dans le vide de Julien Chardon et le final de sa pièce semble un peu bâclé. Autre bémol, une distribution malheureusement assez inégale. Si certain.es comédien.nes excellent d’autres sonnent faux. L’ensemble reste néanmoins de très belle facture et Pauline Bayle confirme à nouveau son intelligence du texte et du plateau.
Jusqu’au 16 octobre au Théâtre de la Bastille, puis en tournée partout en France.