Dans Mamy Francine, le journaliste Pierre Daymé tend le micro à sa grand-mère nonagénaire, de soixante ans son aînée. En résulte un podcast touchant, au cours duquel la parole libre et sincère de Francine dessine une époque presque révolue, où les femmes n'existaient pas pour elles-mêmes.
Les mots sont simples, clairs. La voix douce, à certains moments hésitante. Les histoires contées attachantes, parfois bouleversantes. Comme ce constat sans appel : « C'était comme ça, à l'époque : la femme, c'était l'esclave. » Avec son podcast Mamy Francine, diffusé depuis le début du mois de janvier, Pierre Daymé fait ce que tous les petits-enfants dont les grands-parents sont encore en vie devraient faire : les écouter.
Près de soixante années séparent le journaliste, âgé de 33 ans, et sa grand-mère, qui s'approche de ses 93 ans. Ils ont toujours été très proches. Depuis sa plus tendre enfance, Pierre, dont la maison se situait près de celle de Francine à Nantes, discute avec elle de son passé dans une Bretagne rurale où les femmes portaient invariablement la coiffe. Elle s'ouvre à lui assez librement, à son grand étonnement, les membres de sa génération faisant habituellement preuve d'une certaine pudeur. En particulier les femmes, pour qui prendre la parole ne va pas forcément de soi.
L'année où elle devient nonagénaire agit comme un révélateur pour son petit-fils : « On se dit que personne n'est éternel, explique-t-il à Causette. Les problèmes de santé arrivent, la fatigue. J'ai eu peur qu'elle parte de façon brutale sans m'avoir laissé la chance de faire quelque chose de sa voix et de sa parole. » Deux mois après qu'elle a soufflé ses 90 bougies, le trentenaire se rend donc chez elle, « un peu au culot », explique-t-il en rigolant, pour lui tendre son micro. Pendant quatre jours, il l'enregistre à chaque fois près de six heures. Soit vingt-quatre heures de bande où Francine se confie assez spontanément, de sa naissance à Le Saint (Morbihan), dans un milieu rural, jusqu'à aujourd'hui. Tout en se demandant si sa parole peut réellement toucher les gens, si elle possède une valeur, un quelconque intérêt.
Donner la parole à « des femmes de l'ombre »
Sa parole, libre et sincère, semble pourtant bien universelle, au cours des six épisodes sur quinze déjà mis en ligne. Elle porte les histoires d'une époque presque révolue. Où les femmes n'existaient pas pour elles-mêmes mais pour leur mari et leur famille. Où peu de choses étaient dites sur le corps et la sexualité. Où les démonstrations d'affections étaient taboues. Où les bourgs étaient encore pleins de vie. Où la lecture était réservée à un certain milieu.
Francine fait preuve de beaucoup de recul, dans cet étonnant flot de souvenirs. Pierre, qui l'appelle tous les jours, a pourtant été plusieurs fois surpris par des choses qu'elle lui a livrées : « Les faits de violence, de violence intime, je pouvais me les imaginer. Je me doutais de leur existence. Mais le fait qu'elle en parle aussi librement m'a bouleversé. » Dès le premier épisode, sa grand-mère se souvient ainsi de cette femme, la voisine de son amie Nicole, que cette dernière a vu être tuée par son mari à coups de barre de fer. « Il y a tellement de femmes qui se sont fait tuer, même à cette époque », observe-t-elle.
Mamy Francine vient finalement combler un certain vide, en donnant la parole à « des femmes de l'ombre que l'on ne prend pas le temps d'interroger », estime celui qui est rédacteur en chef de Boomerang sur France Inter, y voyant à la fois un intérêt personnel – en apprendre plus sur son aïeule – et collectif : rendre compte de la condition féminine au XXème siècle, du patriarcat, du basculement d'un monde à un autre et de la relation entre un petit-fils et sa grand-mère. Prendre le temps d'interroger et d'écouter ses grands-parents, c'est ce dont donne envie ce travail méticuleux, porté par la voix douce du journaliste et sublimé par la musique du studio de composition Alto MS. « Même si nos vies sont de plus en plus occupées, il faut prendre ce temps. Ce n’est pas forcément évident, surtout quand on en n'a pas l’habitude, mais ce n’est pas trop tard », promet Pierre Daymé. Nous le croyons sur parole.
Mamy Francine est un podcast imaginé et écrit par Pierre Daymé, réalisé par Juliette Médevielle et produit par LACMÉ et Ouest-France. Il est diffusé tous les mercredis sur le site de Ouest-France et sur les plateformes de streaming habituelles.