Quatre ans après À ta merci, la chanteuse relocalisée dans les Ardennes sort, Avec les yeux, un deuxième album entre chien et loup, glamour et crépusculaire.
Par la fenêtre de sa maison, Flora Fischbach aperçoit une rivière qui file dans la vallée et, au loin, la forêt du parc naturel régional des Ardennes. Après la tournée de deux ans qui a suivi la sortie de son premier album, À ta merci (2017), la chanteuse – qui a enlevé le premier « c » à son nom – a regagné les terres familiales du Grand Est. En ce jour de décembre, son village d’une poignée d’âmes baigne dans le brouillard. Si son nouveau disque s’intitule Avec les yeux, il suffit de prêter l’oreille à ses chansons pour percevoir ce paysage de brume mystérieuse et de sous-bois de grand méchant loup. « Pour moi, la forêt n’a rien d’hostile. Enfant, c’était les cabanes, la découverte d’oiseaux blessés que l’on soignait, c’était la vie, l’émerveillement. Il faut cultiver ce sentiment. Mon père, un véritable homme des bois, m’a appris à cueillir des champignons, des myrtilles, l’ail des ours… C’est la plus belle des transmissions. »
Musique “maximaliste”
C’est bien la même femme qui chasse aujourd’hui les bolets avec son chien et s’affiche en bas résille et yeux de khôl dans le clip de Masque d’or, l’un des premiers extraits de son nouvel album. Fishbach est irréductible. Multiple et singulière. Comme un signe, son moment préféré se situe entre chien et loup, à l’heure de la transformation. Les différentes facettes de la trentenaire se dévoilent au fil d’Avec les yeux, une œuvre intense, sensuelle, surréaliste, trouble, osée. « Je me suis amusée à exagérer beaucoup de choses : les décors, les voix… Chaque chanson est un tableau, un arrêt sur image d’un sentiment que j’ai eu. On est dans un night-club parisien, on s’éclate, on chante fort, on danse et l’instant d’après, c’est une introspection en pleine nature. Certains font de la musique minimaliste, moi, je fais de la musique maximaliste. J’aime mettre des effets partout, des arrangements étranges, des cris, des paroles absurdes ou poétiques. Notre époque est un peu trop sérieuse, on a besoin dans la musique d’audace et d’expérimentation. »
Cette liberté et cette exubérance, l’artiste va les puiser dans le creuset des sonorités des années 1980, dans des nappes de synthés envoûtantes et des solos de guitare sinueux. « Le solo de guitare est un son extrêmement féminin, même s’il est souvent joué par un mec musclé en marcel, avec des cheveux longs. Le hard rock a un côté androgyne. Le solo est lyrique, sexy. J’en suis folle. C’est tombé en désuétude, mais il y a plein de gens qui y sont encore sensibles. »
Fishbach sait toutefois mesurer ses effets et ne perd jamais de vue l’émotion, portée par son timbre de faïence fêlée. « La voix est mon outil de prédilection. La guitare ou la basse sont comme des chanteuses que j’entends dans ma tête. La voix offre un spectre d’exploration infinie et permet de jouer avec son âge, ses sentiments… Depuis toute petite, je suis fascinée par la façon dont les acteurs de doublage composent leur personnage, notamment dans le cinéma d’animation. » Flora Fischbach a joué dans la série Vernon Subutex, sur Canal+. Si elle a tourné dans deux courts-métrages qui devraient sortir cette année, elle ne force pas son destin de comédienne. Elle sait que son métier de chanteuse lui offre la liberté de s’attribuer à chaque chanson un nouveau rôle.
Avec les yeux, de Fishbach. Sony Music. Sortie le 11 février. En tournée à partir d’avril et en concert à L’Olympia (Paris) le 30 novembre.