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(©Ludovic Zuili)

Dans "Redcar les ado­rables étoiles", Christine and the Queens se réin­vente avec cou­rage et émotion

Redcar, le nouvel alter ego de Christine and the Queens, a pris vie mercredi lors d'un spectacle audacieux et poétique au Cirque d'Hiver. Un troisième album, inspiré par la new wave des années 80, doit suivre ce vendredi.

Sur la scène du Cirque d'Hiver, la statue de l'archange Michael côtoie l'armure d'un chevalier fleuri. Des étoiles jaunes et une immense lune bleue sont accrochées au plafond. Sur un air mystique et étrange, qui est joué en boucle, des ballons gonflables rouges, représentant des lettres, se balancent et annoncent la venue de celui que l'on attend, presque comme le messie : REDCAR. Ce nouvel alter ego du chanteur français Christine and the Queens, qui a récemment fait son coming-out trans et se genre désormais au masculin, a déboulé il y a quelques mois avec le titre Je te vois enfin, inspiré par la new-wave des années 80. La chanson était censée devancer la sortie d'un troisième album Redcar les adorables étoiles et d'un spectacle du même nom, initialement prévus en septembre. Mais une blessure au genou avait contraint l'artiste à repousser la publication de son disque et la tenue de son show.

Même si on a pu écouter en avance les nouveaux morceaux de Redcar, le mystère autour de ce qu'il qualifie d'opéra, joué seulement deux soir à Paris puis à Londres, n'a donc fait que s'épaissir, pendant ce mois et demi d'attente. Les fervent·es fans de Christine and the Queens, dont l'une d'eux·elles est venue nous proposer d'entonner en cœur le refrain d'un titre qui ne sera finalement pas joué, attendent avec excitation l'artiste qui se fait légèrement prier. Lorsqu'il apparaît enfin, une canne à la main et flanqué de cinq personnes portant des masques de monstres, ce n'est pas pour chanter. Mais pour enjoindre le public à ne pas photographier ou enregistrer le spectacle avec son portable, promettant alors un « rituel de psychomagie ».

Un début déroutant

Une fois les lumières éteintes, de multiples bougies posées tout autour de la scène s'illuminent, laissant apparaître un autel composé de multiples figures religieuses et d'étoiles. Christine and the Queens fait son entrée, habillé d'une robe de mariée, qu'il enlève rapidement, laissant apparaître sa poitrine nue et un pantalon noir. La chanson qu'il interprète en premier ouvre également son troisième opus. Son titre, symbolisant la transition de genre du chanteur, est plus que limpide : « Ma bien aimée byebye ». Il le présente, dans son dossier de presse, comme « un lamento sur la fin d'une utopie, celle que nous avons aimée, une renaissance et une purgation à travers la robe blanche de la mariée, un dépouillement de cette peau de femme morte qu'on [lui] a imposée et dans laquelle [il] pouvai[t] à peine respirer ».

Ce premier tableau, beau et émouvant, est suivi par deux titres, Tu sais ce qu'il me faut et La chanson du chevalier, ponctués de saynètes où Redcar prend enfin vie, hors des réseaux sociaux où il existait à travers des vidéos énigmatiques. Le début de cet opéra est déroutant. L'artiste multiplie les blagues, déclame des saillies théâtrales et poétiques, discute avec la lune bleue qui lui répond avec une voix féminine, grâce à un sampleur sur lequel il appuie frénétiquement. On reste un peu en dehors. Et puis arrive Rien dire, troisième single de l'album, morceau épuré et apaisant, qui rappelle les excitants débuts de Christine and the Queens. On est happé par la beauté de la chanson et par son interprétation, qui fonctionne comme un pont entre toutes les identités - Christine, Chris et Redcar - du talentueux Français. Un déclic s'opère et son humour complètement perché nous fait enfin rire. Comme lorsque la scène sur laquelle il se trouve se met subitement à descendre, faisant croire à un couac face aux inquiétudes de l'artiste, avant qu'il ne remonte fièrement avec une fontaine pour jouer son nouveau titre... À la clairefontaine.

« La poésie vaincra »

Les morceaux s'enchaînent avec aisance, lorgnant du côté de Depeche Mode et The Cure, avec une touche de modernité. Redcar semble s'amuser et nous avec. On le suit avec passion dans sa quête de forcer les portes du paradis. Et s'amuse de la lune qui lui lance des phrases comme « Je t'aime », « La poésie vaincra » ou « Fuck it all ! ». Des mots que devaient sûrement lui dire sa mère, Martine Letissier, professeure de littérature, morte brutalement en avril 2019, alors que Christine and the Queens se produisait au festival américain Coachella. C'est pour surmonter le choc de sa disparition qu'il a composé ce disque et pris le nom de Redcar, « voiture rouge », en français. Car, lorsqu'il travaillait sur cet opéra, les voitures rouges qui passaient devant lui dans la rue « le saluaient quand [il] pensai[t] à l'amour, [sa] mère, l'archange Michael, rouges comme lui, rouges comme le sang du dragon qu'il a vaincu ».

« Alors j'ai décidé étant donné que mes noms précédents étaient morts et que la vérité de mon nom ultime, mon état ultime, était toujours un mystère pour moi que je deviendrai ce signe d'espoir, cette prière, cette manifestation technique. Redcar pour tous, tous ceux qui ont juste besoin d'un petit peu d’espoir. Redcar chaque fois que vous voulez savoir que vous êtes dans la lumière ! », indique-t-il encore dans le dossier de presse. Dans une longue interview au Guardian, Christine explique, touchant, que lorsque sa mère était en vie, il avait l'impression de devoir être une fille pour elle. « Je l'aimais donc je n'étais pas gêné par cela. Mais il y avait une grande part de moi qui ne se connectait même pas à mon identité trans quand elle était de ce monde, parce qu'être féminine était quelque chose dont elle avait besoin ». Sa disparition lui a donné l'élan nécessaire pour entamer sa transition.

Une mue impressionnante

Toutes ces réflexions et interrogations ne sont pas immédiatement compréhensibles lorsque Redcar est sur scène. Mais elles se sentent, par petites touches, lors d'une chanson ou d'une tirade. Paradoxalement, ce personnage théâtral et poétique, qui apparaît le plus comme un alter ego que les précédents, est aussi celui qui semble le plus proche de qui est vraiment Christine and the Queens, dans la vraie vie et sur scène. Quelqu'un de drôle, touchant, pétri de références culturelles (la pièce de théâtre Angels in America de l'Américain Tony Kushner est un fil rouge du show) et qui essaie tant bien que mal de grandir dans un monde qui se referme de plus en plus sur lui-même, et où la différence est toujours autant pointée du doigt.

Si l'on regrette la courte durée de l'opéra, environ 1h10, et l'absence d'au revoir de Redcar, qui disparaît aussi mystérieusement qu'il est apparu sur scène, on ne peut qu'être impressionné par la mue artistique du chanteur. Qu'on aime ou pas son nouveau personnage, qu'on soit dérouté ou non par ses nouvelles chansons, on est obligé de reconnaître que peu osent se réinventer de la sorte, comme une Madonna ou une Cher avant lui. Un deuxième album presque entièrement anglophone, et dont Redcar les adorables étoiles constitue le prélude, devrait sortir en début d'année prochaine. Créé en collaboration avec l'Américain Mike Dean, un producteur connu pour son travail avec Lana Del Rey, The Weeknd et Madonna, il devrait permettre de parachever l'ambitieuse direction dans laquelle s'aventure notre OVNI français.

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