Ce jeudi 3 mars paraissent un roman d'initiation sentimentale entre femmes et la première traduction française d'un roman que Toni Morrison jugeait fondamental.
Éruption de désir
Tournant les premières pages, on a l’impression d’avoir déjà lu des histoires comme ces Frénétiques. Mais on y reste, on y plonge et on est pris dans un récit fait d’accélérations-décélérations. Tant par la vigueur du verbe que par les images de plus en plus luxuriantes qu’il produit. On est comme Ada, cette mère célibataire qui a pris des vacances avec son fils de 10 ans. Elle arrive là, en Italie, sur une île volcanique. Elle n’a pas baisé depuis un an, elle n’a aucune expérience avec les femmes, mais la voilà subjuguée par cette jeune rousse « au corps de liane », Eva, qui réside dans la même pension qu’elle.
Roman d’initiation sentimentale, histoire sensuelle, le texte prend ensuite une ampleur et des directions plus déroutantes, sans jamais perdre sa verve en route. La charge érotique est exacerbée par les paysages, par les retournements de situation, par les risques permanents d’éruption. Tout, ici, mêle Éros et Thanatos. Dans ses essais (Petit éloge de la jouissance féminine, Femme absolument) comme dans ses fictions (c’est sa quatrième), Adeline Fleury verbalise sans fard les questions du corps, du sexe, de la féminité. Sur le fond, sur la forme comme par son rythme, ce roman provoque réflexion et excitation. H.A.
Les Frénétiques, d’Adeline Fleury. Éd. Julliard, 208 pages, 19 euros. Sortie le 3 mars.
Les maux et la mémoire
Toni Morrison considérait Corregidora, le premier roman de Gayl Jones, comme une œuvre fondatrice : « Personne, plus jamais, n’écrira de la même façon sur les femmes noires après ce roman. » Paru en 1975 aux États-Unis, ce livre culte et sulfureux est traduit pour la première fois en France. L’histoire s’ouvre en 1940 au Kentucky. Ursa Corregidora, chanteuse de blues, est tabassée par son mari jaloux. À l’hôpital, elle apprend qu’on doit lui retirer l’utérus. Ursa avait pourtant promis à sa mère et à sa grand-mère qu’elle transmettrait son histoire à ses enfants, celle d’une petite fille d’esclave hantée par les récits de viol et de torture de ses ancêtres. Comment honorer son devoir de mémoire ? Au fil d’un chant argotique et désespéré, Ursa nous raconte sa quête impossible d’indépendance et d’amour. Personnalité mystérieuse, adulée par James Baldwin ou Maya Angelou, Gayl Jones a aussi suscité des réactions hostiles (Audre Lorde entre autres), en raison du regard parfois désobligeant (courant, à cette époque) de certains de ses personnages sur le désir queer. Corregidora est pourtant un livre éprouvant et sublime, qui, comme la voix d’Ursa « sonne dure, met en compote mais donne envie d’écouter quand même ». L.M.
Corregidora, de Gayl Jones, traduit de l’anglais (États-Unis) par Madeleine Nasalik. Éd. Dalva, 270 pages, 21 euros. Sortie le 3 mars. Palmares, paru en 2021 chez Beacon Press, sera édité chez Dalva en 2023.