Eduardo Castillo, ex-étudiant de la Sorbonne, a recontacté Michelle Perrot, sa professeure de 94 ans et l’une des plus grandes historiennes contemporaines, pour lui proposer une série d’entretiens sur sa vie et l’objet de ses recherches.
Quarante ans après, un ancien étudiant de la Sorbonne recontacte sa professeure de 94 ans, l’une des plus grandes historiennes contemporaines, et lui propose une série d’entretiens sur sa vie et l’objet de ses recherches. Voilà comment est né ce synthétique récit de l’émancipation des femmes et des féminismes. Une libération sociétale, racontée par Michelle Perrot en tant qu’historienne, et une libération personnelle racontée en tant que femme, à travers ses propres souvenirs. Eduardo Castillo, l’ex-étudiant, a gommé ses questions. Toute la place est donnée au récit de son enseignante. Elle commence par faire une petite « égohistoire » des femmes, c’est-à-dire sur l’origine de leurs créations, l’émergence de leurs revendications – les siennes y compris. Vient ensuite la genèse des « grandes victoires » contre le patriarcat (on croise alors Gisèle Halimi…). Puis Michelle Perrot retrace les grands affrontements intellectuels du féminisme : corps contre genre, universalité contre intersectionnalité. À la lire, on se dit que tout pourrait être moins explosif, plus sororal, si on faisait l’effort du recul historique plus souvent. La spontanéité du ton – oral quoique policé – marche à fond. L’interviewée nous parle du néolithique et, deux pages plus loin, de Claire Bretécher.
De Benoîte Groult aussi (dont on apprend qu’elle a retourné, corrigée, une lettre à Michelle Perrot parce qu’elle n’avait « pas respecté la grammaire féministe qu’elle cherchait à promouvoir ! »), puis des débats méthodologiques entre historien·nes sur le regard à porter sur les femmes : faut-il les étudier en les séparant de l’histoire des hommes ou non ? Ou encore, de lettres d’amour de femmes (qu’elles jettent souvent à la poubelle par autocensure) au wokisme. « Je ne suis pas totalement à l’aise avec ce vocabulaire qui n’est pas celui de ma génération, admet l’historienne, mais j’ai envie d’en savoir plus sur ces concepts. » Rares sont les pointures du monde académique à s’ouvrir avec autant d’honnêteté, de fraîcheur et de simplicité, tout en restant exhaustives. L’ouvrage s’achève sur la lueur d’espoir et « d’optimisme » de l’autrice. « Parce que, écrit Michelle Perrot, dans ma propre vie, j’ai assisté à des changements fondamentaux. » Aux randes dames, la patrie reconnaissante.
Le Temps des féminismes, de Michelle Perrot et Eduardo Castillo. Grasset, 260 pages, 20 euros.