Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires.
Il y a des livres avec lesquels on sent tout de suite une communauté d’esprit. Ce livre conjugue deux de mes passions : les listes et la vie des gens (le type qui a des passions aussi vastes que floues…). Clémentine Mélois a collecté durant des années des listes de courses, celles qu’on trouve dans les fonds de Caddies, sur les parkings de Super U, au hasard des trottoirs, puis elle s’est amusée à imaginer qui se cachait derrière chaque liste, qui l’avait écrite, entrer dans l’intimité des gens par un trou de souris, en tirant un tout petit fil qui dépasse, animé de ce même toc qui fait, par exemple, qu’on ne peut pas se retrouver dans un hall de gare sans détailler chaque personne et imaginer pourquoi elle est là, où elle va, retrouver qui, pourquoi cette valise à roulettes là, pourquoi cet air mélancolique ou ces chaussures de mauvais goût (une promo peut-être ?) ? Parce que ces listes, mine de rien, en disent long sur ceux qui les ont rédigées, plus long que n’importe quelle autobiographie, le contenu, la graphie, la mise en page, le support choisi, tout ça dit beaucoup de nous. Alors le principe : sur la page de gauche la liste, la vraie, scannée, et sur la page de droite un texte écrit à la première personne dans lequel l’auteur supposé de la liste dresse un état des lieux, nous livre ses pensées, ses rêves avortés, ses regrets, ses projets, son quotidien, en quelques mots. Un kaléidoscope d’existences tout en touches impressionnistes, de minuscules rapports de vies, et il se dégage de cette galerie une poésie et une humanité folles. C’est drôle, touchant, émouvant, bienveillant, un de ces livres qui vous ferait aimer les gens, c’est dire. Après ça, vous n’irez plus faire vos courses de la même manière. La dame devant vous qui a pris le seul paquet de bananes sans étiquette obligeant la caissière à aller à l’autre bout du magasin, vous ne la maudirez pas, vous aurez envie de la prendre dans vos bras en lui disant « tout va bien, ça va aller, on n’est pas pressés, la vie est belle, vous vouliez être hôtesse de l’air ? Vous pouvez encore, il faut croire en ses rêves ». (Oui bon d’accord, n’exagérons rien, elle aurait quand même pu prendre un paquet avec une étiquette.) Un livre à grappiller, qu’on ouvre au hasard, dans lequel on se balade comme on déambule dans le hall de gare. J’allais écrire « un livre de toilettes », bon ça se dit pas dans une chronique littéraire, c’est pas hyper vendeur, on va pas garder ça, et pourtant si, c’est un livre qui accompagne.
Sinon j’oublie, de Clémentine Mélois. Éd. Grasset, 240 pages, 16 euros.
Fabcaro … en librairie
Fabcaro entame sa deuxième tournée, on passe aux choses sérieuses. Avec le tome 2 de sa série Open Bar, sélection de chroniques illustrées parues dans Les Inrocks, l’inimitable auteur de Zaï zaï zaï zaï continue de nous faire pleurer de rire en poussant encore plus loin le curseur de l’absurde. Au programme : un aspirant locataire incapable de remettre la main sur sa copie d’anglais de 3e (pièce bien sûr cruciale pour son dossier), un SDF malchanceux passé à « ça » de remporter le « top des sans-abri », une actrice invitée sur tous les plateaux télé pour raconter l’histoire étonnante de ce cinéaste qui ne l’a pas violée… Et au moment où on en redemande encore et encore, Fabcaro réapparaît déjà avec un deuxième album tout neuf, prêt à être débouché, coécrit cette fois avec son comparse Fabrice Erre, sur les aventures délirantes du cow-boy Walter Appleduck et de Billy, l’adjoint du shérif un peu crétin. Des albums à planter sous tous les parasols pour faire proliférer nos défenses immunitaires fabcariennes, à base d’esprit critique et de bidonnage à chaque page. Lauren Malka
Open bar – 2e tournée, de Fabcaro. Éd. Delcourt, 56 pages, 12,50 euros.
Walter Appleduck, tome 2, de Fabrice Erre et Fabcaro. Éd. Dupuis, 56 pages,12,50 euros.
Broadway, roman de Fabrice Caro. Éd. Gallimard, coll. Sygne, 19 euros. Sortie le 13 août.