Bruits de couloir, de Lucie Albrecht
La nouvelle génération d’autrices de BD a décidément du talent à revendre. Après Chloé Wary et sa superbe Saison des roses, dont nous vous parlions il y a quelques mois, voici Lucie Albrecht. À 24 ans, la jeune dessinatrice publie Bruits de couloir, l’histoire d’un petit groupe de lycéennes dans un internat. Priscilla, la principale protagoniste, y fait sa rentrée. Elle a l’air super à l’aise comme ça, et pourtant. Elle revient de loin. Si elle se retrouve là, c’est parce qu’elle a été victime de harcèlement scolaire. Bah oui, forcément, elle a osé coucher avec Malik, qui, lui, s’en est sorti avec les félicitations du jury adolescent, tandis que Priscilla, cette fille facile, est passée pour la salope de service. Slutshamée, insultée sur les réseaux sociaux, Priscilla commence à sombrer. Sa mère décide donc de l’envoyer à l’internat. Là, de nouvelles sociabilités se créent. La sororité se mêle aux jalousies, aux tensions, aux coups bas. Et parfois, la victime devient le bourreau… Consentement, violence numérique, naissance du désir, Lucie Albrecht propose une subtile plongée dans l’adolescence d’aujourd’hui. Mais c’est son trait, charbonneux et éminemment contemporain, qui l’emporte sur tout. Lucie Albrecht est déjà grande. Il faudra la suivre de près. S. G.
Bruits de couloir, de Lucie Albrecht. Éd. Vide Cocagne, 144 pages, 17 euros.
Drôles de femmes, de Julie Birmant et Catherine Meurisse
Fine mouche, Julie Birmant a fait un truc dont on est nombreuses à rêver. Elle est allée, au gré de ses interviews de journaliste, rencontrer dix femmes dont le rire est – presque – le métier. Et y a du beau monde ! Yolande Moreau, Tsilla Chelton, Florence Cestac, Michèle Bernier et même Amélie Nothomb… Comédiennes, « stand-upeuses », dessinatrices ou écrivaines, elles ont en commun un sens de l’humour très personnel et un caractère hors normes. Julie Birmant les fait parler, se confier, leur arrache – avec douceur – des secrets et des anecdotes qui rendent ces conversations bien plus précieuses qu’un énième portrait. On y découvre l’étrange père hindouiste de Tsilla Chelton, l’émouvante tristesse joyeuse de Michèle Bernier, l’idylle d’Anémone avec Sempé. Comme c’est Catherine Meurisse qui dessine ces mémorables entretiens, leur poésie, parfois un peu décalée, brille entre deux traits de plume. I. M.
Drôles de femmes, de Julie Birmant et Catherine Meurisse. Éd. Dargaud, 96 pages, 19,99 euros.
Fifiches à gogo, d’Étienne Lécroart
Membre éminent de L’OuBaPo, L’Ouvroir de bande dessinée ‑potentiel, comité qui crée des bandes dessinées sous contrainte artistique volontaire à la manière de l’OuLiPo, Étienne Lécroart exerce (entre autres) son talent depuis un quart de siècle dans le journal Spirou. Il y commet chaque semaine d’hilarantes Fifiches à gogo enfin réunies, c’est notre veine, dans un petit ouvrage délicieux. Un dessin associé à une petite phrase, et la drôlerie opère, à la manière d’un Voutch, d’un Sempé ou d’un Chaval. On y croise Dark Vador vieillissant, assis sur un banc, qui dit à son petit chien qu’il tient en laisse : « Luke, je suis ton pépère. » Un taureau bardé d’aiguilles dans le cabinet d’un acupuncteur qui lui déclare : « Là, relaxez-vous ! Dans quelques minutes, votre phobie des corridas aura disparu. » Un vieux palmipède allongé sur le divan d’un psy et qui s’entend dire : « Hé oui, c’est comme ça. Beaucoup de vilains petits canards deviennent des vilains vieux canards. » À déguster par petites gorgées, tout au long de la vie. S.G.
Fifiches à gogo, d’Étienne Lécroart. Éd. L’Association, 224 pages, 15 euros.
Un bébé nommé désir, de Fanny Lesbros et Pauline Aubry
Mais pourquoi fait-on des enfants ? Bah oui, tiens, quelle drôle d’idée ! C’est la question qu’a commencé à se poser la journaliste Fanny Lesbros, en février 2013. Elle couvre alors les débats et manifestations autour du mariage pour tous et rencontre des hommes et des femmes qui donneraient tout pour assouvir leur désir d’enfant. Au même moment, elle apprend qu’elle est enceinte. Elle qui l’avait toujours souhaité commence à se poser mille questions. Elle essaie donc de comprendre ce qui motive le désir d’être parent. Dans cette enquête dessinée par la talentueuse Pauline Aubry, Fanny Lesbros mêle ses questionnements intimes aux témoignages de nombreuses femmes, en couple avec un homme, avec une femme, ayant des enfants ou pas, qui en souhaitent ou non, et d’autres confrontées à l’infertilité. Elle y ajoute l’éclairage d’experts passionnants comme Yvonne Knibiehler, historienne des femmes et de la maternité, le gynécologue René Frydman, le neuropsychiatre et éthologue Boris Cyrulnik, ou encore la psychothérapeute Rachel Izsak. Qu’est-ce qu’une famille ? Quelle place pour les nullipares dans une société qui valorise tellement la maternité ? Quelle part entre désir véritable et conditionnement ? Un ouvrage aussi complet que divertissant. S. G.
Un bébé nommé désir, de Fanny Lesbros et Pauline Aubry. Éd. Steinkis, 106 pages, 18 euros