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"Comment sor­tir du monde" : Marouane Bakhti, une écla­tante nou­velle voix littéraire

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Marouane Bakhti (©Les Nouvelle éditions du réveil)

Avec Comment sor­tir du monde, Marouane Bakhti pro­pose une pre­mière œuvre com­plexe, à la langue tra­vaillée et poé­tique, qui mêle fic­tion et réa­li­té, pour racon­ter le che­min d'acceptation d'un jeune homme gay et musul­man aujourd'hui, jamais vrai­ment à sa place. 

Comment sor­tir du monde, le pre­mier roman du pro­met­teur Marouane Bakhti, 25 ans seule­ment au comp­teur, est une his­toire de ren­contres. Celle du jeune auteur, l'été der­nier, sur une plage de Marseille, avec des ami·es d'ami·es à qui il fait lire des frag­ments de textes, et qui décident de lan­cer la mai­son d'édition Les Nouvelles Éditions du réveil pour le publier. Celle entre les parents du nar­ra­teur du livre, « un Arabe et une fille d'ici » comme il l'écrit, don­nant nais­sance à cet être entre-​deux, tou­jours entre deux mondes, deux cultures, deux socié­tés. Et celle, enfin, libé­ra­trice et répa­ra­trice, du nar­ra­teur avec S., un gar­çon dont il tombe fol­le­ment amou­reux à Paris. 

Ce pre­mier roman, c'est donc tout ça à la fois : un récit d'émancipation, de quête de soi, de retrou­vailles fami­liales et d'amour. Une fuite en avant (« Je vou­lais par­tir à tout prix », peut-​on lire dès la pre­mière phrase) et un retour en arrière (« Je pense au lieu où j'ai gran­di et je dis mer­ci », vers la fin du livre). Une œuvre com­plexe, à la langue tra­vaillée et poé­tique, qui mêle fic­tion et réa­li­té, pour racon­ter le che­min d'acceptation d'un jeune homme gay et musul­man aujourd'hui, jamais vrai­ment à sa place. Il est un temps reje­té par les sien·nes pour sa sexua­li­té, moqué par une par­tie de sa famille pour sa non-​maîtrise de l'arabe, ou mis dans des cases en rai­son de ses ori­gines. Des ori­gines qui lui valent soit d'être har­ce­lé à l'école, soit essen­tia­li­sé lors de rela­tions sexuelles. « Les hommes cherchent en moi la puis­sance sexuelle, on cherche en moi la dou­leur de l'exil. On cherche, on scrute, on renifle déses­pé­ré­ment la sau­va­ge­rie, la pro­pen­sion au drame, la police qui me hait, ou le cra­chat sur le sol, ou la racaille infer­nale qui vient chez toi dans le noir te don­ner du plai­sir », écrit-​il très jus­te­ment au moment de décrire ses mul­tiples ren­contres sexuelles lors de sa mon­tée à la capitale.

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« Parler depuis l'autre côté »

L'identité floue du nar­ra­teur, dont le pré­nom n'est jamais don­né, ajoute à cette sen­sa­tion d'imbrication de l'intime et de l'invention, sciem­ment entre­te­nue par Marouane Bakhti. Le roman­cier, qui a écrit « très tôt » des bouts de récit, tou­jours de manière frag­men­tée, a sou­hai­té « [se] déta­cher de la réa­li­té et de l'exigence de la véri­té, pour créer cette his­toire fic­tion­nelle », explique-​t-​il à Causette. Avant de pour­suivre : « Entretenir le flou est hyper sti­mu­lant dans l'écriture. Jouer avec le "je" dans mon récit per­met de créer des inter­ro­ga­tions. Est-​ce un double de moi ? Ou est-​ce que c'est moi ? Est-​ce mon moi futur ? Mon moi inventé ? »

En créant cette his­toire hybride, à la pre­mière per­sonne, Marouane Bakhti s'inscrit dans cette lignée d'auteurs gays qui mettent en scène leur vie, d'Hervé Guibert à Mathieu Lindon en pas­sant par Guillaume Dustan, en se dis­tin­guant net­te­ment d'eux de par où il écrit : sa non-​blanchité. « Dans les livres de Guillaume Dustan, il existe un affran­chis­se­ment, une liber­té, dans sa manière de racon­ter sa sexua­li­té, et la noir­ceur qui peut y être asso­ciée, observe-​t-​il. Mais quand il parle des corps noirs, c'est abo­mi­nable. Je ne suis pas du tout noir, mais je suis non-​blanc. Comment sor­tir du monde c'est donc pour moi prendre cette place des corps qui n'avaient pas de voix, et par­ler depuis l'autre côté. Dans cette lit­té­ra­ture gay blanche qui était très pré­sente et à laquelle j'ai eu accès, il man­quait quelque chose. Comme s'il y avait un mur, der­rière lequel per­sonne n'allait. J'ai vou­lu aller voir der­rière. » En espé­rant que ce véri­table élan lit­té­raire que repré­sente ce pre­mier roman porte, à son tour, d'autres voix injus­te­ment tues et pas enten­dues. Marouane Bakhti conti­nue lui d'écrire, tou­jours des bribes de texte, dans les notes de son por­table. En atten­dant de for­mer un deuxième roman, peut-​être publié chez Les Nouvelles Éditions du réveil, qui entendent pour­suivre leur aventure.

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