Plus de soixante ans après la parution du très controversé roman de Nabokov, le journaliste et écrivain Christophe Tison donne voix à la plus célèbre enfant abusée de la littérature. Lui seul pouvait légitimement écrire ce journal intime imaginaire. Car les abus dont il fut lui-même victime enfant ne relèvent pas de la fiction. Son Journal de L. est l’un des événements de cette rentrée.

Vous connaissez peut-être sa voix, plus que son visage, qu’il pose depuis des années sur de nombreux sujets des JT de Canal+ et depuis quelque temps sur les chroniques internationales de l’émission Les Reporters du dimanche, sur la même chaîne. Mais la voix qu’il a trouvée, aujourd’hui, c’est celle de Lolita. « Il y a deux ans, une maison d’édition franco-russe m’a demandé d’écrire une nouvelle sur le thème du Lolita de Nabokov pour un recueil. J’ai donc relu le roman. Et ce que j’avais pressenti à 17 ans quand j’avais découvert le texte pour la première fois – alors que je sortais moi-même tout juste des griffes de mon prédateur – m’a sauté aux yeux. On n’entend jamais Lolita. Humbert Humbert, son beau-père et bourreau, est le seul et unique narrateur. C’est d’ailleurs l’un des traits de génie de ce roman que de faire de son héros un salaud. Sauf que moi, je m’identifiais très fort à Lolita, car j’étais moi-même un petit Lolito », raconte-t-il doucement en tirant sur sa clope électronique.
Claque littéraire
Cela lui aura pris quarante ans, à Tison, d’oser rétablir une forme d’équité en donnant enfin la parole à celle qui, pourtant, prête son nom au roman de Nabokov. « Le plus dur, ça a été de trouver la fameuse voix de Dolores Haze. Celle d’une petite Américaine des années 1940. De me projeter dans cette époque, juste après guerre, en plein maccarthysme. Une époque de rigueur morale, avec des comités de censure partout. Une époque où les hommes régnaient en maîtres sur l’Amérique. Où les mâles alpha, incarnés par John Wayne ou Gregory Peck, étaient tout-puissants et où une femme seule ne pouvait rien faire. Mais soudain, j’ai imaginé que, comme beaucoup d’adolescentes, et comme moi d’ailleurs à son âge, elle pourrait tenir un journal intime. Une fois que j’ai eu trouvé ça, c’est sorti d’un coup. Je l’ai écrit en quatre mois. » Et le résultat est saisissant. Une claque émotionnelle et littéraire. Une meurtrissure autant qu’une réparation. Sous la plume de Christophe Tison, Lolita crie, hurle, doute, s’apitoie, s’indigne, ironise et se venge, enfin. Elle parle vrai, et trash. Violemment évidemment. Les nerfs à vif, forcément. Comme une enfant malmenée qui aurait grandi trop vite. Comme on parle, sans filtres, à son journal intime. « Moi aussi, dans le mien, j’y parlais de ce que je ne pouvais pas[…]