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Juntas © A.C.

Paris : à la Maison de l’Amérique latine, le pan­théon fémi­nin d’Alicia Paz

L’artiste franco-​mexicaine pro­pose, jusqu’à fin mars, dans le centre cultu­rel d’Amérique latine, son expo­si­tion Juntas, qui célèbre la plu­ra­li­té du fémi­nin à l’aide de la cou­leur bleue comme lien uni­ver­sel. Comme les mers qui nous relient.

À la réflexion, si Alicia Paz devait expli­quer com­ment est né dans son esprit Juntas (« ensemble »), il s’agirait de retour­ner presque trente ans en arrière, lorsqu’elle était étu­diante en art à Paris. En 1993, une expo­si­tion au Musée d'Arts Modernes consa­crée au répu­té peintre alle­mand Gerhard Richter pré­sente sa série Portraits, repré­sen­tant des per­son­na­li­tés du monde lit­té­raire ou scien­ti­fique, réa­li­sée vingt ans aupa­ra­vant : « J’ai été esto­ma­quée, se remémore-​t-​elle lors du ver­nis­sage de Juntas. L’ensemble de ces quarante-​huit tableaux repré­sen­tait des hommes. »

Alors, en 2022, voi­ci Juntas et son œuvre prin­ci­pale du même nom : un accro­chage sur fond bleu pro­fond de quarante-​neuf (un hasard ?) por­traits fémi­nins, mélan­geant visages de femmes célèbres, d’autres qui méri­te­raient de l’être, mais ont été effa­cées de notre mémoire com­mune et, enfin, des ano­nymes, des proches de l’artiste. Dans une mosaïque bleu et blanc tis­sée de fils d’or réa­li­sés au pin­ceau, la roman­cière amé­ri­caine du XIXe siècle Louisa May Alcott semble s’entretenir avec la petite sœur d’Alicia Paz tan­dis que la per­for­meuse cubano-​américaine Ana Mendieta décé­dée en 1985 nous fait de l’œil, repré­sen­tée avec le pos­tiche de mous­tache qu’elle aimait arbo­rer comme pour trou­bler le genre. Bien que l’accrochage soit rela­ti­ve­ment sage, ça grouille et ça sort du cadre (inexis­tant) des tableaux comme pour don­ner l’impression d’un dia­logue entre dif­fé­rentes époques, géo­gra­phies et cultures. « C’est une expo­si­tion mani­feste qui célèbre la soro­ri­té et le bras­sage cultu­rel créa­tif entre femmes, explique Alicia Paz. Un pan­théon de femmes, alors que la France vient seule­ment, avec Joséphine Baker, de pan­théo­ni­ser sa sixième femme. »

Exil et kintsugi

On retrouve ici les marottes d’Alicia Paz déjà explo­rées dans deux expo­si­tions pré­cé­dentes – Rio y Mar et Rivers Makers, toutes deux ins­tal­lées au Royaume-​Uni en 2021 –, for­mant avec Juntas un trip­tyque : l’eau, les pion­nières aven­tu­reuses de la nata­tion (sur le mur bleu, on croise Gertrude Ederle, pre­mière femme à tra­ver­ser la Manche à la nage), les femmes pirates et celles qui ont entre­pris un voyage. « Le point com­mun de ces femmes, c’est qu’elles ont toutes connu, à un moment de leur vie, l’exil, qu’il soit géo­gra­phique ou social, parce que leurs per­son­na­li­tés déran­geaient l’ordre éta­bli. » En ce sens, les lignes d’or qui épousent les formes de cer­tains pro­fils sont une réin­ter­pré­ta­tion du kint­su­gi, cet art japo­nais qui répare à la feuille d’or les objets brisés.

Lire aus­si l Reportage : avec le kint­su­gi, Laetitia Lesaffre répare sym­bo­li­que­ment les femmes vic­times de violences

Quant aux fausses mosaïques bleu et blanc qui consti­tuent le fond des tableaux ou les sil­houettes elles-​mêmes, elles sont une syn­thèse de dif­fé­rents savoir-​faire arti­sa­naux. Les car­reaux azu­le­jos mexi­cains ou espa­gnols, mais aus­si les faïences de Delft, venus des Pays-​Bas jusqu’au Royaume-​Uni. « Je conçois l’identité comme quelque chose d’arborescent », dit la plas­ti­cienne devant une autre œuvre pré­sente à l’exposition. Il s’agit d’Estuario, une sculp­ture d’arbre en bois, dont l’une des faces porte le poème Una lucha de fronteras/​A Struggle of Borders (« Une lutte des fron­tières ») du phi­lo­sophe mexi­cain José Vasconcelos, écrit en anglais et espagnol. 

Des ten­ta­cules de pieuvres comme che­ve­lures fémi­nines, d’immenses col­liers réa­li­sés avec de grosses boules en bois et de la corde marine : une poi­gnée d’autres œuvres fina­lise cette enthou­sias­mante mais trop courte expo­si­tion. On vous en lais­se­ra le plai­sir de la découverte.

Juntas, d’Alicia Paz à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, jusqu’au 31 mars 2022. Entrée libre.

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