On craque pour Normale, d'Olivier Babinet, Kokon, de Leonie Krippendorff, Relaxe, d’Audrey Ginestet et About Kim Sohee, de July Jung.
Normale
Comment traiter un sujet grave sans tomber dans le pathos ? En adoptant une forme hybride, par exemple entre rêve et réalité… C’est le choix audacieux qu’a fait Olivier Babinet en adaptant Le Monstre du couloir, la pièce si terriblement drôle de David Greig, et il a eu raison.
Déjà auteur du joliment décalé Poissonsexe en 2020, ce cinéaste franco-poétique nous entraîne cette fois dans le sillage de Lucie, 15 ans, qui vit seule avec son père atteint de sclérose en plaques dans une petite ville de la grande banlieue parisienne. Autant dire qu’entre la prise en charge d’un paternel gentiment rock’n’roll, les affres de la puberté et un petit boulot pour arrondir les fins de mois, son quotidien n’est pas facile-facile. Surtout quand une assistante sociale se met à bousculer cet équilibre précaire…
Piochant dans le fantastique, flirtant avec le teen movie comme avec la chronique sociale, le réalisateur nous fait la grâce, heureusement, d’éviter le film dossier. De fait, tout concourt ici pour éviter l’apitoiement. Du travail sur les couleurs et les décors (ni l’époque ni le lieu ne sont clairement identifiés) à l’humour tendre et surréaliste qui tapisse son récit, Normale prend constamment la tangente et c’est bien vu. D’abord, parce que ce doux vagabondage colle idéalement à l’humeur de Lucie, fille prodigue qui trouve une forme d’échappatoire par l’écriture. Et ensuite, parce qu’il permet de retrouver le toujours génial Benoît Poelvoorde dans le rôle du père et la non moins émouvante Justine Lacroix dans celui de Lucie. Un tandem hybride… donc parfait. A.A.
Normale, d’Olivier Babinet. Sortie le 5 avril.
Kokon
Parvenir à être créatif dans un genre archi-rebattu relève à peu près du miracle. On appréciera donc la témérité de Leonie Krippendorff, qui investit après tant d’autres le récit d’apprentissage (même pas peur !), mais aussi son talent, puisque Kokon raconte merveilleusement ce moment charnière du passage à l’âge adulte.
Il est vrai que Nora, son héroïne de 14 ans, se distingue d’emblée. Déjà, par son environnement : toutes les premières fois de cette timide chrysalide (ses premières règles, son premier joint, son premier amour pour une fille un peu plus âgée) se déroulent dans la torpeur d’un été berlinois. Précisément dans le quartier alternatif, populaire et bruyant de Kreuzberg, là même où sa grande sœur de 16 ans lui tient lieu de modèle aléatoire, tandis que sa mère défaillante, gentiment allumée sinon alcoolique, n’y fait que de vagues apparitions. En clair, Nora est livrée à elle-même.
Rien de dramatique pour autant ! Plutôt que de décliner un énième récit de galères et de traumas, la réalisatrice, issue elle-même de ce quartier défavorisé, opte pour une tonalité chaleureuse, raccord avec la température ambiante. Non seulement Nora (épatante Lena Urzendowsky) quitte son cocon approximatif sans trop de dommages, mais ce battement d’ailes – et d’elle – enchante. C’est dire la singularité de ce film atmosphérique, qui fait tout simplement le pari de la liberté et de l’acceptation de soi. A. A.
Kokon, de Leonie Krippendorff. Sortie le 5 avril.
Relaxe
Qui se souvient de l’affaire Tarnac ? Accusé·es de terrorisme pour le sabotage, en 2008, de plusieurs lignes de TGV, huit jeunes militant·es de Corrèze ont fait les frais des lois antiterroristes Sarkozy. La procédure durera dix ans. Parmi ceux et celles soupçonné·es d’appartenir à une mouvance « d’ultragauche anarcho-autonome », les plus visibles (comme Julien Coupat) ont occulté le sort d’autres inculpé·es plus discret·ètes. Notamment celui des femmes poursuivies, comme Manon Glibert, musicienne. La cinéaste Audrey Ginestet, qui est aussi sa belle-sœur, l’a suivie jusqu’au procès qui a blanchi les accusé·es en 2018. Son documentaire Relaxe plonge en immersion auprès de ses proches et de ses soutiens, une communauté soudée de femmes qui a aidé Manon à naviguer dans les méandres infernaux du système judiciaire. C.G.
Relaxe, d’Audrey Ginestet. Sortie le 5 avril.
About Kim Sohee
July Jung est une cinéaste à part dans la sphère effervescente, très masculine, du 7e art coréen. Après A Girl at my Door, polar audacieux qui lui a permis de se faire remarquer en 2014, voilà qu’elle ausculte de nouveau les maux de son pays, la Corée du Sud… Cette fois à travers la trajectoire de Kim Sohee, lycéenne pleine d’espoir brisée par un stage humiliant dans un centre d’appel. Symbole, en somme, d’une jeunesse sacrifiée sur l’autel de l’ultralibéralisme. S’inspirant d’un fait divers, July Jung décline son récit implacable selon deux points de vue (celui de Kim Sohee, puis celui d’une femme flic solitaire et tenace), aux confins du drame social, de l’enquête et du film d’horreur. Bien vu ! About Kim Sohee saisit et captive par la force de son propos et par la sobriété clinique de sa mise en scène. A.A.
About Kim Sohee, de July Jung. Sortie le 5 avril.