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Anne Frank à gauche et Audrey Hepburn à droite © archives créative commons

Anne Frank, l'ombre dou­lou­reuse d'Audrey Hepburn

À l'heure où Ari Folman res­sus­cite Anne Franck dans un des­sin ani­mé, on peut se rap­pe­ler le pre­mier film sur le célèbre Journal. Audrey Hepburn est sol­li­ci­tée pour incar­ner la jeune juive hol­lan­daise dépor­tée et décé­dée en 1945 à Bergen-​Belsen, Audrey Hepburn mais refuse. Histoire d'une pudeur, et d'une proxi­mi­té méconnue.

1958. « I can't », répond Audrey Hepburn à Otto Frank, le père d'Anne, seul sur­vi­vant de la famille, venu lui deman­der en per­sonne d'interpréter sa fille au ciné­ma. La mère d'Audrey avait été une admi­ra­trice bien connue d'Hitler. Comment incar­ner Anne Frank, avec ce pas­sé fami­lial ? Pourtant, cette mère a rat­tra­pé ensuite son aveu­gle­ment par des actes ris­qués de résis­tance. La vraie rai­son du refus d'Audrey est autre : ce sont les liens com­muns entre leurs deux des­tins – à com­men­cer par leur année de nais­sance, 1929 – qui sont trop lourds à por­ter pour l'actrice.

Comme Anne Frank, Audrey Hepburn a pas­sé la guerre aux Pays-​Bas, le pays de sa mère. Audrey arrive d'Angleterre, Anne Frank d'Allemagne. Leurs parents pensent que l'Allemagne nazie res­pec­te­ra la neu­tra­li­té des Pays-​Bas, comme en 1914–1918 ; lourde erreur. La famille d'Anne est juive alle­mande et fuit la mort. La famille d'Audrey, chré­tienne, inter­na­tio­nale, cherche la meilleure vie pos­sible dans une Europe mena­çante. Anne comme Audrey souffrent cruel­le­ment de la guerre, de la faim et de la peur. Les proches assas­si­nés. La mai­greur d'Audrey, sa vie durant, pro­vient de la mal­nu­tri­tion de son enfance. Ses épi­sodes dépres­sifs aus­si. Sa mort d'un can­cer de l'appareil diges­tif, à 63 ans, est due aux séquelles de la faim. Mais elle a réa­li­sé le rêve qu'Anne confiait à « Kitty », son amie de papier : deve­nir une star hol­ly­woo­dienne. Elle est aus­si l'une des pre­mières à décou­vrir ce rêve.

Audrey Hepburn, l'une des pre­mières lec­trices au monde du Journal d'Anne Franck

En 1945, Audrey Hepburn a 16 ans. Elle démé­nage avec sa mère à Amsterdam dans un appar­te­ment qui se trouve en des­sous de celui de l'éditeur auquel Otto Frank a confié le pré­cieux écrit, retrou­vé au len­de­main de la guerre dans l'Annexe intact. L'éditeur appré­cie sa jeune voi­sine et lui donne le texte, son­geant qu'elle y sera sen­sible. « Je ne savais pas ce que j'allais lire. Cela m'a mar­quée à jamais », dira Audrey. « Il y eut des flots de larmes1 ». Une « cathar­sis » : « Cette enfant enfer­mée entre quatre murs avait écrit tout ce que j'avais res­sen­ti ». Une fille comme elle – mais juive, morte en dépor­ta­tion comme 75 % des Juifs néer­lan­dais. Brune aux yeux bruns, née la même année 1929, pas­sion­née de bal­let, comme elle, un tem­pé­ra­ment d'artiste, rêvant des feux de la rampe, et redou­tant de voir ses rêves bri­sés par le joug nazi.

Pour Audrey, Anne est réelle. Elle n'est pas ce mythe qu'elle est deve­nue ensuite. Sa mort aus­si. Elle a été l'une des pre­mières, après sa lec­ture, à rendre visite à l'Annexe où se cachèrent les Frank à Amsterdam. Une des pre­mières à voir les pho­tos de stars accro­chées par la jeune fille dis­pa­rue qui rêvait à Hollywood, bien avant que le lieu ne devienne un musée pour péle­ri­nage de masse. En ce qui concerne le pro­jet de film qu'elle refu­sa, George Stevens finit par le réa­li­ser en 1959, confiant le rôle prin­ci­pal à Millie Perkins. L'oeuvre rem­por­ta trois Oscars. Qui sait si Audrey Hepburn n'a pas incar­né Anne autre­ment qu'en la jouant ? En vivant plu­tôt la vie que celle-​ci avait rêvé d'avoir.

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  1. Les pro­pos cités d'Audrey Hepburn ont été ras­sem­blés par Robert Matzen dans Dutch Girl : Audrey Hepburn and World War II, Mirror Books, 2021.[]
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